Chapitre 17 ~ Le traître

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  Si Robbie avait dû imaginer ce qu’il ressentirait lors de son dernier jour entre les murs pourris de l’orphelinat de Greywall, la nostalgie n’aurait pas fait partie de la liste. Oh que personne ne s’y méprenne, il était ravi de partir – même pour se jeter dans un face-à-face peut-être mortel – mais aussi étonnant que ce fut à ses yeux, et peut-être aussi aux vôtres, Robbie se surprit à penser à certains aspects de Greywall avec regrets. Le grenier. Le fait d’avoir un toit sur la tête qui lui permettait de dormir au sec. Il n’était plus seul à longueur de temps. Grâce à Charlie, La Resistencia, l’orphelinat était pour lui ce qui se rapprochait le plus d’un foyer depuis longtemps.

  La journée s’écoula à la fois avec une lenteur démesurément agaçante et une vivacité peu commune au sein des murs gris et mornes. L’appréhension leur nouait le ventre à tous ; chacun était resté plutôt silencieux passé leur petit échange de la matinée. Robbie eut tout le loisir de ressasser ce qu’il avait découvert tandis que le temps passait interminablement dans la classe de Grant, dans laquelle celle-ci ne se trouvait d’ailleurs pas. Assignés à des travaux silencieux, les orphelins étaient tenus au silence sous peine de sanctions. La bonne blague.

  « Reste éloigné de l’orphelinat, mon ange. Ne t’en approche pas.

  Greywall danger. C’est ton histoire. »

  La voix de sa mère lui tournait en boucle dans la tête, occultant presque tout le reste. Des milliers de questions s’enchevêtrait, et Robbie n’avait pratiquement pas de réponses à fournir au sac de nœud qu’était devenu son existence. Il ne savait d’ailleurs toujours pas s’il croyait à tout ça. Comment pouvait-il admettre que l’histoire qui avait bercé son enfance n’était pas qu’une simple histoire ? Que les Âmes, les Brûleurs faisaient partie intégrante de ce monde, que Charlie et Jamie étaient des Âmes déchues ? Sa mère, et lui-même également ? Et pourquoi alors ne lui avait-elle rien dit, pas une fois ? Il se demanda ce qu’il en était de son père, le bon et généreux Jonathan Hunter.

  Robbie soupira de frustration et de lassitude. Il ne pouvait s’empêcher d’en vouloir à sa mère de l’avoir laissé ainsi dans l’ignorance, avec pour seul héritage des questions à n’en plus finir auxquelles personne ne pourrait jamais répondre, et une mission à laquelle il ne comprenait rien.

  « Trouve les autres. » Bordel, qu’est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ? Visiblement, les autres l’avaient trouvé avant qu’il n’ait eu le temps de faire quoique ce soit. D’abord Charlie, puis Crumpek, enfin Jamie. Sans oublier Max, la petite souris. Il ricana intérieurement. Combien étaient-ils d’autres à Greywall ? Comment était-il supposé « trouver les autres » s’il ne savait même pas comment les distinguer dans la masse ? Lui-même n’avait pas conscience de ce qu’il était. Un orphelin, un moins que rien, à qui il ne restait rien de sa famille.

  Les mains glissées dans les poches de son pantalon grossier – il avait hâte de se débarrasser de son uniforme de prisonnier – il regretta soudain de ne pas avoir pris le temps de récupérer le livre et le vieux manteau de son père. Il n’aurait pas l’occasion de remonter les chercher. Non seulement il était coincé dans cette classe étouffante, contraint à l’immobilité, mais en plus il devrait se plier au rythme insipide de Greywall jusqu’au moment de partir. Pour ne pas attirer l’attention. Ce n’était que lorsque tous seraient enfin endormis que le petit groupe passerait à l’action, et il n’aurait plus le temps de remonter au sommet de l’aile est. Dès que Crumpek serait là, ils devraient filer.

  Lentement mais sûrement, le temps passa. Le dernier bol de porridge avalé, les dernières ablutions faites, les orphelins se séparèrent. Charlie et Tiph d’un côté, Robbie et désormais les garçons de l’autre.

  Il fut décidé qu’ils iraient chercher quelques vivres en cuisine juste avant de partir, sans savoir où atterrissait la sortie dénichée par Max. Cela laissait le temps à Francine de quitter les lieux et leur laissait champ libre. Pour Benjamin, ils comptaient sur leur discrétion et un petit coup de chance. Vu ce vers quoi ils plongeaient tête baissée, Robbie espérait bien que la Providence leur accorderait ce petit privilège. Autrement, lui-même n’avait rien contre le fait d’assommer le concierge taciturne. Une façon de lui dire adieu dans les règles de l’art.

  « Ce sera pour mes cheveux, ordure, pensa-t-il en passant la main dans sa tignasse corbeau. »

  Il sortait de la cuisine avec Charlie ; La Resistencia ajustait quelques éléments dans le bureau piégé. Ils avaient décidé de se retrouver dans la bibliothèque. La pièce se trouvait à un endroit stratégique, suffisamment éloignée du bureau, ce qui leur permettrait de rejoindre l’Isoloir en toute tranquillité lorsque la Directrice aurait posé les pieds dans l’orphelinat. Et il leur donnait un espace assez grand pour se retrouver tous au même endroit.

- Jamie saura nous retrouver ? chuchota Robbie dans l’obscurité du réfectoire.

- J’espère… j’espère aussi qu’il ne tombera pas sur Crumpek en nous rejoignant.

- Il est trop tôt, on a encore du temps pour ça.

  Après s’être assurés que la voie était libre, ils s’engagèrent dans le couloir, direction la bibliothèque. Greywall était tranquille ; le moindre craquement résonnait et se répercutait sur les murs de pierres froides. Ils arrivèrent les premiers à la bibliothèque. La salle, d’ordinaire toujours ouverte, était fermée grâce à un gros cadenas.

  Robbie sentit une boule de panique grossir dans son ventre.

  « Évidemment, fallait que ça tombe ce soir. Merde ! »

  L’adolescent se retint tant bien que mal de filer un coup de pied à la porte récalcitrante.

  « La porte n’y es pour rien, mon vieux, lança le criquet un poil suffisant.

- Toi, je te préfère quand tu roupilles, pensa-t-il avec mauvaise humeur. »

- Ça commence bien, on n’est pas encore dehors et on se plante déjà, souffla Charlie.

  Son expression était impassible mais ses yeux étaient noyés de doutes, d’appréhension. Le pli entre ses sourcils ne la quittait plus depuis ce matin. Robbie s’apprêtait à lui répondre lorsque des bruits de pas les firent se figer sur place. Ils se détendirent d’un même mouvement en reconnaissant Jamie, Max perché sur son épaule.

  Sans préambules, il tendit un sac de toile usé à sa sœur, une étoffe repliée et un livre à Robbie.

- Mais comment tu as … ? s’étonna Robbie en reconnaissant le manteau noir de son père.

- À ton avis ? répliqua Jamie, amusé. Ton esprit est plus brouillé que celui de Charlie, mais je ne suis pas sourd.

- Merci, répondit-il d’un air dubitatif.

  Le rouquin inclina la tête en guise de réponse. Charlie s’était chargé de remplir le sac avec leur maigre butin récolté à la cuisine, plus pratique que les baluchons grossiers qu’ils avaient noués avec des torchons.

- Elle quitte les caves dans dix minutes d’après l’estimation de Max. Elle l’a encore cherché dans son abattoir, sans succès. Il dit qu’elle a l’air plutôt remontée.

- Seulement remontée ? On a de la veine pour une fois !

- Super, on a dix minutes pour se planquer ailleurs, marmonna la rouquine.

- Pourquoi ?

  Charlie sursauta malgré elle en se retournant. Robbie enfilait son manteau, sourcils arqués et un sourire de façade sur les lèvres.

- Salut, les gars. J’espère que tout est prêt pour le retour de Sa Majesté.

- Oh, elle va adorer les cotillons et les paillettes, assura Nick.

- Il veut dire la farine et les papiers déchirés, corrigea Ed sur le ton de la confidence.

- C’est pas le moment de plaisanter, les interrompit Charlie, sauf si vous tenez à lui faire la fête dans le couloir.

- Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Tiph.

- Cette foutue porte refuse de s’ouvrir, les informa Robbie en posant brièvement la main sur le bras de Charlie. C’est quoi ça ?

  Il désigna d’un geste les parapluies et cannes que La Resistencia tenait en main.

- On s’est dit que ça pourrait être utile. Ça ne l’embrochera pas mais on pourra au moins essayer de l’assommer avec.

- Brillant. Fred, passe-moi ta canne s’il-te-plaît. Charlie, mets tes mains en coupe sous la serrure. Un peu plus bas. Parfait.

  Sous le regard éberlué des autres, Robbie leva la canne au-dessus de sa tête et assena un coup sec sur le mécanisme rouillé, qui se décrocha du panneau de bois sans plus de résistance pour atterrir dans les mains de la rouquine. Tiph grimaça légèrement ; la crainte d’être entendus probablement, mais Robbie se contrefichait du bruit potentiel.

- Brillant toi-même, le gratifia Fred.

- Allez, les enfants, tout le monde là-dedans.

  Charlie et Robbie entrèrent les derniers. La Resistencia s’était regroupée autour de Jamie et Max. Leurs expressions trahissaient l’ahurissement qui les habitait. Cependant, à part quelques exclamations incrédules l’heure n’était pas aux questions, les orphelins le savait bien.

- La porte ferme plus totalement, mais ça vaudra mieux que de faire le pied de grue dans le couloir, murmura Robbie à Charlie.

- Et maintenant, on attend.

- Maintenant, on attend.

  Ils poussèrent un soupir de concert, qui les fit rire légèrement.

- J’en reviens pas de ce qu’on s’apprête à faire, dit Charlie après un bref moment de silence.

- Ça va aller ?

- Evidemment. On n’a pas vraiment le choix, si ? Et puis, … Robbie ça va ?

  L’adolescent était devenu livide sous le rayon de lune qui traversait la fenêtre ; une mince pellicule de transpiration luisait sur son front, et ses membres étaient agités de tremblements. Il se sentit tout d’un coup fébrile, tous les sens en alerte. Une vague de panique lui brûlait les veines, pareille à celle qu’il avait ressentie la veille dans les tunnels.

  « Il n’y avait pas que toi là-dessous. »

  « Merde, pensa-t-il. Merde, merde, merde. »

- On bouge. Tout de suite.

  Max émit de légers couinements, comme si lui aussi sentait ce qui était en route. Un regard échangé avec Charlie lui confirma qu’elle avait compris ; le même effroi se lisait dans ses prunelles stellaires. Les autres frémirent, et lui emboitèrent le pas sans un mot. Ou du moins, s’ils parlèrent, Robbie n’en entendit pas un mot. Il était dans un état second. Seul son instinct le guidait. Le sentiment d’oppression qui l’avait étreint la première nuit passée à Greywall se mêla au trouble qui l’habitait depuis son arrivée. Le sentiment d’être pris au piège. Il refusait de se faire de nouveau attraper comme un lapin sans défense. Il sortirait par tous les moyens. Il les sortirait de ce trou, peu importe les conséquences.

  « Et que feras-tu si ces moyens compromettent ta propre liberté, demanda insidieusement le criquet. »

  Robbie ignora soigneusement la question, buté. « On sortira d’ici, pensa-t-il rageusement. Il le faut. »

  Le groupe atteignit l’Isoloir sans encombre et en silence. Robbie dut s’y reprendre à deux fois avant de réussir à enfoncer la clé dans la serrure rouillée. La porte s’ouvrit à la volée et ils pénétrèrent dans la petite pièce exiguë et froide. Le remue-ménage dérangea les rats qui décampèrent en tous sens entre leurs jambes. Robbie entendit une ou deux exclamations de dégoût tandis qu’il s’affairait à dégager l’entrée du passage à l’aide de Nick. Ed, juste derrière eux, sortit une bougie de sa poche et entreprit de l’allumer.

  L’un après l’autre, ils se glissèrent dans le passage. Il ne resta bientôt plus que Jamie, Charlie et Robbie dans l’Isoloir.

- Quand faut y aller…

  Et Jamie s’engouffra dans le passage à son tour.

- Je crois que j’aurais préféré sauter du toit, avoua Charlie tandis qu’elle contemplait l’obscurité devant elle.

- On n’y restera pas longtemps, c’est promis. On ressortira. Tous ensemble.

  Charlie hocha la tête, et inspira profondément.

- Les étoiles ne craignent pas l’obscurité, murmura-t-elle, si bas que Robbie faillit ne pas l’entendre.

  Ils rampèrent pour rejoindre les autres dans le dédale de caves qui courait sous Greywall. Robbie, ragaillardi par les mots de Charlie, avait pris soin de replacer comme il pouvait le lit qui faisait barrage devant l’entrée.

  « Depuis quand les lits empêchent les monstres de passer ?

- Bonne question. »

  Ça ne tiendrait pas longtemps, c’était sûr, mais cela rassura un peu l’adolescent ; un obstacle de plus ne pouvait pas faire de mal.

  Le groupe se mit en marche, dans la moiteur terreuse des sous-sols. Jamie ouvrait la marche, guidé par les indications de Max. Les orphelins avançaient en file indienne, s’agrippant aux épaules ou aux vêtements de celui qui se trouvait devant. D’un commun accord, Fred avait été placé en tête, entre Jamie et Ed. Suivaient Nick, Tiph, Charlie et enfin Robbie. Leur progression était rapide, tout comme les battements de cœur de Robbie. Son malaise s’était atténué mais continuait de lui tordre l’estomac, comme si celui-ci attendait le bon moment pour exploser et l’étouffer.

  L’on entendait que leurs bruits de pas et le bruit de leur respiration. Personne ne prononçait un mot, concentrés qu’ils étaient pour ne pas trébucher et ce qui les guettait peut-être dans l’obscurité. Les épaules de Charlie étaient crispées sous la main de Robbie ; il l’entendait respirer profondément, comme si elle essayait de garder son calme. Il pressa légèrement son épaule pour la rassurer mais elle ne se détendait pas. Il savait qu’elle ne se calmerait complètement qu’une fois à l’air libre.

  Ils arrivèrent bientôt à un croisement. Robbie n’avait pas pu aller jusque là dans son exploration. Il reposait entièrement sur Max désormais, et bien qu’il lui fasse confiance, il n’aimait pas cette impression de dépendance qui s’accrochait à lui comme des toiles d’araignée. Cela le faisait se sentir vulnérable et il détestait ça.

- Le chemin pour sortir est sur la droite, leur indiqua Jamie. À gauche, c’est… vous savez quoi.

  Un frisson les parcoururent tous, d’horreur pour la Resistencia, de rage pour Robbie.

- C’est ici que nos chemins se séparent chers amis. On se retrouve là-haut. Soyez prudents.

  Robbie avait articulé ces mots les dents serrées, la désagréable sensation d’être une proie de nouveau présente dans sa poitrine.

- Pourquoi on fait bande à part, déjà ? Ah oui, c’est trop dangereux, lâcha Nick.

- Les gars, on s’en tient au plan. On n’a pas de temps à perdre.

- C’est plus sûr comme ça, ajouta Charlie. On se rejoint dans pas longtemps.

  Jamie ne dit rien tandis qu’il transférait Max sur l’épaule de Tiph. Ce dernier colla le bout de son museau de rongeur contre le nez du rouquin un moment, comme pour lui souhaiter bonne chance.

- Mais…

- Fred, c’est bon, coupa Tiph. Venez les gars, on s’en tient au plan.

  La blondinette adressa un clin d’œil discret aux garçons, presque imperceptible. Charlie et Robbie échangèrent un regard ; il haussa les épaules.

- Faites gaffe surtout.

  La Resistencia tourna les talons et s’engagea dans le conduit de droite. Le trio les regarda s’éloigner dans le noir, jusqu’à ce que Charlie pousse un soupir.

- Allons-y, je suis à deux doigts de les suivre.

  Et elle prit la tête dans le couloir de gauche. Robbie lui emboita le pas, suivi de Jamie, bien silencieux depuis leur entrée dans l’Isoloir. Une odeur écœurante se substitua brusquement à l’humidité et le moisi environnant. Une odeur qui prit Robbie à la gorge et lui souleva l’estomac. Jamie tituba et faillit tomber, se retenant de justesse au mur.

- Ça va ? lui demanda Charlie.

- J’ai connu mieux. Avançons, on approche.

  Robbie frémit en entendant ces mots ; quelques pas plus loin, en effet, ils débouchèrent dans une sorte de salle ouverte des deux côtés. En face de l’ouverture par laquelle ils arrivèrent se trouvait une autre entrée. L’odeur était insupportable. Charlie plaqua une main contre sa bouche et son nez, Jamie se laissa aller contre le mur. Robbie avança, les mâchoires et les poings serrés. À leurs pieds étaient dispersés des os humains. Ceux des précédentes victimes de Crumpek. Dans le coin qui leur était opposé, Nolan était encore reconnaissable, une expression de souffrance infinie marquée sur ses traits en décomposition.

  Saisis d’horreur, plus aucun d’entre ne prononcèrent un mot, n’osèrent respirer. Comment une telle monstruosité avait pu se produire sous leurs pieds, telle était la question qu’ils se posaient, debout et vivants dans l’atmosphère de mort. Robbie sentit ses membres s’engourdirent quelque peu sous l’horreur.

  Reste éloigné de l’orphelinat, mon ange. Ne t’en approche pas.

  Maintenant il savait pourquoi. Il voyait pourquoi. Le cimetière qu’il avait sous les yeux lui paraissait irréel, pourtant bien tangible. La tête lui tournait. Les sensations qui le secouaient faisaient écho à la nuit de l’incendie, lorsqu’il s’était retrouvé devant le corps de son père rongé par les flammes, les cris de sa mère résonnant dans ses oreilles, lui hurlant de fuir. Comme un automate, il avança jusqu’au bout de la pièce, longea le petit couloir et atterrit dans le cul de sac repéré par Max. Il repéra la poutre de bois vermoulu maintenant de façon précaire l’ouverture de la porte. Charlie et Jamie, aussi pâle l’un que l’autre, le rejoignirent à leur tour dans l’alcôve. Il lut dans leurs yeux la même répugnance, la même peur. La même soif de vengeance à l’encontre de la mégère qui se prétendait directrice d’un orphelinat.

« D’un abattoir plutôt. »

- Tu crois que ça va marcher ? lui demanda Charlie.

  Jamie s’était de nouveau appuyé de dos contre le mur ; le visage maculé d’une fine couche de sueur, il paraissait aussi mal que le soir de son arrivée. Robbie avisa le parapluie dans les mains crispées de la rouquine dont les yeux brillaient dans l’obscurité. Il resserra sa prise sur la canne qu’il avait gardée après le départ de La Resistencia.

- On a l’effet de surprise avec nous, affirma-t-il, ça prendra la sorcière au dépourvu. On devrait pouvoir prendre l’avantage.

- J’ai un mauvais pressentiment.

  « Ouais, moi aussi, Charlie.

- Mais je ne te le dirais pas pour ne pas paraître plus froussard que je le suis, nargua le criquet.

- La ferme, toi. Facile de faire le malin de là où t’es.

- Si j’étais toi, je ficherais le camp fissa, conclut la petite voix avant de disparaître. »

- Si je dis « on déguerpit », vous ne voudrez rien entendre je suppose ? risqua Jamie.

  Ni Charlie, ni Robbie n’eurent le temps de répondre.

- Vous nous quittez déjà ? Allons, après tout le mal que vous vous êtes donné, chers enfants.

  Les traits de Jamie se décomposèrent ; Robbie et Charlie firent volte-face pour se retrouver face à l’apparition de cauchemar dont la voix, dans la pénombre, avait fait dégringoler les tripes de Robbie dans ses pieds, paralysant dans le même temps ses jambes. Crumpek se tenait dans l’embrassure de la sortie. Leur bloquant le passage.

  L’adolescent se rendit compte seulement à cet instant de sa bêtise. Ils étaient bloqués dans la salle sans issue, leur piège s’était refermé sur eux. Robbie maudit sa stupidité, tenta de garder son calme et de réfléchir le plus possible. Hors de question que cette harpie touche au moindre de leurs cheveux.

- Je vois que vous avez déjà vu vos petits amis dans la salle précédente. Ils seront ravis d’avoir de la compagnie, j’en suis certaine.

  Aucun ne répondit. Le temps semblait comme suspendu.

- Eh bien, vermines, on a perdu sa langue ? ria Crumpek. Je dois vous dire que je suis ravie de voir ici, cela me facilite la tâche. Si vous étiez sorti, j’aurais dû vous ramener moi-même ici, faire du grabuge à l’extérieur. De cette façon, tout ça restera entre les murs de ce merveilleux orphelinat.

- Votre courage vous honore, Madame, cracha Robbie avec le plus de mépris dont il était capable.

  Charlie, qui s’était rapprochée de lui le plus doucement du monde, lui saisit le poignet et serra en guise d’avertissement. « Tais-toi, idiot. » Voilà ce que voulait dire ce contact. Doucement, il se dégagea de sa prise.

  Un éclair de haine traversa les prunelles incandescentes de la directrice. La rouquine tressaillit à ses côtés en voyant le masque d’horreur dont se parait le visage de la vieille femme, les traits accentués par la lumière tremblotante de la bougie qu’elle tenait au creux de sa main. Non. En regardant mieux, Robbie constata que ce n’était pas une bougie. La flamme vacillante flottait littéralement dans la main du monstre.

- Joli tour de passe-passe, lança-t-il à nouveau, décidé à la pousser dans ses retranchements et à garder contenance.

  Crumpek esquissa un sourire carnassier, d’une cruauté pure et froide. L’assurance feinte de Robbie se fissura un bref instant, avant qu’il ne se reprenne, le sourcil droit arqué et un mince sourire moqueur sur le visage.

- C’est un tour de passe-passe de cette nature qui a pris la vie de ta catin de mère il y cinq ans, avorton. Tu ne souris plus, Hunter ? Tu ne t’attendais pas à celle-là je parie, ricana-t-elle.

  Il avait l’impression d’avoir reçu un boulet de canon en plein cœur. Il dut lutter pour rester sur ces jambes, tandis que ce qu’il venait d’entendre se frayait un chemin dans son cerveau, ravivant des souvenirs et des émotions qu’il avait enterrés au plus profond de lui-même. Des larmes amères lui montèrent aux yeux. Le rire de Crumpek lui vrillait les oreilles, attisant sa rage, son désir de la faire taire une fois pour toute. Un feu d’une violence inouïe lui brûlait les veines. Robbie aurait fini par se jeter sur Crumpek si Charlie n’avait pas interrompu son délire.

- Viktor ?

  Un mouvement attira son regard au sol, et remonta vers la main libre de Crumpek. Main qui en fait n’était pas totalement libre. L’obscurité l’avait dissimulé jusque là mais à la question de la rouquine, Crumpek se fit un plaisir d’illuminer ce qu’elle tenait dans sa poigne acérée : un Viktor pâle comme la mort, les yeux complètement hagards, barbouillé de sang sur le front.

- Eh oui, souillon. C’est bien notre cher Viktor ! Cette larve, incapable d’autre chose que de se traîner dans les pattes des mieux lotis afin de leur soutirer des avantages pour améliorer sa condition. Même si cela implique de sacrifier ses chers camarades. Dis-leur Viktor, dis-leur que c’est toi qui les as entendus parler de leur projet et qui est venu me prévenir. Aller, vermine crasseuse et flasque, dis-leur !

  Crumpek était incontrôlable, hystérique. Elle envoya valdinguer l’orphelin à ses pieds, son visage heurtant la poussière.

- Que dirais-tu d’une petite démonstration Hunter ?

  Le temps que Robbie comprenne ce qu’elle voulait dire, il était trop tard. Il eut tout juste le temps de retenir Charlie à bras le corps alors qu’elle tentait de se jeter sur le corps frêle de l’orphelin. D’un geste, Crumpek dirigea la flamme de sa main sur Viktor, qui hurla. La Brûleuse n’arrêta que lorsqu’il ne resta qu’une enveloppe calcinée, les cris depuis longtemps éteints. Le visage de Charlie ruisselait de larmes, Robbie tremblait de tout ses membres.

  Viktor était mort.

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