Chapitre 18 ~ Confrontation

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- Bien. Alors, où en étions-nous ?

  Odile Crumpek jubilait. Jamais elle n’aurait imaginé meilleure occasion. La souillon et le bâtard sur son terrain de jeu, accompagné en prime d’une Âme fraîche, presque adulte. Son enveloppe, encore fragile, laissait transparaître ce qu’il était vraiment. Il était encore affaibli de son transfert, parfait. Ils n’avaient aucune chance. Enfin, elle tenait sa revanche sur ces misérables, sur son clan qui l’avait destituée, malmenée, reléguée à l’arrière comme une moins que rien. Elle comptait bien en savourer chaque instant.

  Le bâtard avait fini par lâcher la fille. Les larmes baignaient toujours son visage. Hunter, en revanche, affichait une mine déterminée, les yeux brillant de colère. De douleur aussi. Elle pouvait voir sur son visage l’horreur de l’incendie se rejouer, inlassablement. Et cela lui procurait une joie incommensurable.

- C’était vous ce soir-là ?

  Sa voix n’était qu’un murmure, empli de rage. Le corps de l’adolescent était tendu, tremblant. Elle se ferait un plaisir de le briser. Elle se contenta de sourire de toute ses dents, un sourire mauvais, comme ce qu’elle était. L’odeur écœurante de chair brûlée la ravissait alors qu’elle lisait le dégoût sur le visage des trois mômes.

- POURQUOI ? hurla Hunter à son intention.

  Il ponctua sa question en se précipitant sur elle, le pauvre bâton qu’il tenait à la main levée au-dessus de sa tête. Crumpek saisit la canne sans la moindre difficulté avant que celle-ci ne puisse la toucher. Elle envoya ensuite valser l’adolescent dans la pièce, libérant sa prise sur le manche de bois. Ce dernier présentait des empreintes noircies là où le garçon le tenait encore quelques instants auparavant.

  Le bâtard réprima un grognement de douleur en roulant sur le sol.

- C’est tout ce que tu sais faire, vieille limace desséchée ? Allumer des étincelles et malmener plus petit que toi ? C’est pathétique.

  Une bouffée de rage emplit l’être tout entier de Crumpek. Elle éclata d’un rire froid.

- Tu me rappelles ta mère, cracha-t-elle. Elle était tout aussi virulente que toi dans ses derniers instants. Tout aussi fière de ce qu’elle était. Je regrette de ne pas avoir eu plus de temps pour régler pleinement le compte de cette trainée.

- Ne parle pas d’elle comme…

  Crumpek fondit sur l’adolescent, plongeant ses doigts dans ses cheveux avant de le relever à sa hauteur. Il serra les mâchoires mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il était résistant, mais qu’importe ; elle arriverait à ses fins, peu importe les moyens employés.

- Et pourquoi ne parlerai-je pas de ma chère sœur comme je l’entends ? Oh, tu ignorais nos liens de parenté cher petit Robbie ? Eh bien, te voilà au courant !

  La Brûleuse n’eut pas le temps de savourer l’effet de sa révélation sur son neveu tant haï. D’un mouvement de tête, il lui cracha au visage, une lueur de haine pure noyant ses yeux limpides. Elle le renvoya bouler au sol, martelant de coups son corps roulé en boule, tandis que sa main se mettait à rougeoyer de nouveau.

- Quand je pense qu’une souillure telle que toi possède une partie des pouvoirs du clan, cela me dégoûte. Dommage pour toi que ta chère mère ne t’ait rien appris, cela aurait allonger ta misérable vie de quelques minutes. Tu vas connaître le même sort que tes parents.

- Robbie ! Non !

  C’était la fille qui venait de crier. Sans s’occuper d’elle, elle se pencha vers le visage bravache du bâtard et elle l’aurait touché si un choc ne vint pas arrêter son geste en lui envoyant une onde de douleur dans son corps malmené. Elle se retourna pour toiser l’orpheline aux cheveux de feu qui tenait encore le pauvre parapluie dans ses mains, les bras encore levés en position de défense.

- Pourquoi vous faites tout ça ? Qu’est-ce qu’on vous a fait ?

- Toi, petite garce, il est temps que je te donne la leçon que tu mérites.

  Aucun tremblement dans la voix de la fillette, seule une authentique curiosité, un désir de comprendre. Les larmes marquaient encore les joues de l’enfant, cette enfant dont elle prenait soin lorsqu’elle était encore Odile, l’Âme. Crumpek secoua rageusement la tête et tituba, secouée par un vertige. L’autre se manifestait, troublait sa volonté, essayait de reprendre un tant soi peu de contrôle. Elle tentait de protéger ces enfants infectes.

  Non. Non. NON. Retourne te terrer dans ton trou, misérable, tu n’es plus rien, RIEN tu entends ?! C’est moi qui décide, moi qui contrôle cette enveloppe immonde.

- Pourquoi détestez-vous autant les Âmes ?

- Pourquoi ? Pourquoi ? sursauta Crumpek, rivant ses yeux sur ceux de Charlie. Je vais te dire pourquoi petite sotte. Je veux votre pouvoir. Changer de corps à volonté, ne plus rester dans cette enveloppe vieille et faible. Je veux tout ce que mon clan se refuse à prendre par couardise ! Avec la faculté des Âmes et les pouvoirs des Brûleurs, je serais plus puissante que quiconque. Je pourrai enfin prendre la position qui me revient de droit.

- Quel rapport avec nous ? Avec Robbie ? Si c’est le fils de votre sœur, il est de votre famille…

- C’EST À CAUSE DE LUI ET DE CETTE GARCE QUE J’EN SUIS REDUITE À ÇA AUJOURD’HUI ! explosa-t-elle.

  Elle vit avec satisfaction la môme reculer enfin face à ses hurlements.

- Ma sœur a jeté le déshonneur sur le clan en choisissant d’aimer une Âme. Elle s’est ensuite enfuie lorsque son âme-sœur a été tuée comme elle méritait. Elle s’est cachée sur cette planète, comme une lâche, en utilisant l’unique transfert auquel le clan des Brûleurs est autorisé. Elle a mis au monde un être unique, un sang-mêlé, un bâtard, qu’on m’a chargé de retrouver au sacrifice de tout ce que je possédais. Je suis prisonnière de corps pollué pour le reste de mes jours, à cause de cette vermine soi-disant exceptionnelle.

  Elle ne supportait pas le regard que l’enfant dardait sur elle. Qu’était-ce ? Du mépris, de l’horreur, de la pitié ? Qu’était-elle pour la juger ? Sa colère l’emplissait tout entière maintenant, une envie et un besoin irrépressible de les tuer la submergea. Elle commencerait par la fille et le garçon, avant de régler son compte au bâtard, qu’il voie ses amis mourir, vidé de toute énergie vitale avant de le tuer lui aussi.

- Robbie a raison, dit-elle en la regardant droit dans les yeux, vous êtes pathétique. Vous n’êtes qu’un monstre que même votre propre clan rejette. Vous me répugnez. Tuer les nôtres ne vous rendra pas plus forte, seulement plus horrible que vous ne l’êtes déjà.

- Les nôtres ? Comment n’ai-je pas vu plus tôt que tu étais l’une des leurs, abjecte enfant.

- Vous ne me faites pas peur.

- Ainsi soit-il, ce seront tes derniers mots sur cette terre, souillon.

  Les évènements se précipitèrent soudain. Crumpek se jeta sur la jeune fille la main levée, paume ouverte dans l’attente de sa flamme destructrice. Lui enlever cette arrogance pour ensuite mieux aspirer son essence d’Âme, l’assimiler. C’est ce moment que choisit Odile pour se manifester plus violemment qu’elle ne l’avait fait depuis des années. Elle emplit si brusquement l’être entier de Crumpek que les rôles s’inversèrent durant quelques secondes, Odile fut aux commandes tandis que La Brûleuse subissait sa volonté, écrasée.

  Elle revint cependant vite aux commandes, plus hargneuse que jamais, le feu dans sa main plus ardent que les flammes de l’enfer. Son hésitation cependant permit au garçon plus âgé de s’interposer entre elle et la fillette, et c’est lui qui essuya le contact brûlant. Il hurla. Au même moment, quatre coups s’abattirent dans son dos, venant de quatre points différents. La douleur sourde lui fit relâcher sa prise tandis qu’Odile lançait un nouvel assaut, moins puissant cependant que le précédent ; ses forces diminuaient.

- Charlie, le seau !

  Déséquilibrée, une nouvelle salve d’attaque lui martelant le corps, elle hurla de rage en tombant sur ses genoux. Oh, ces sales mioches allaient payer cet affront. Crumpek n’eut cependant pas le temps de se relever : un objet froid et étriqué s’abattit sur son crâne, lui coupant la vue et lui meurtrissant le nez. Elle ne voyait plus que l’obscurité, les sons étaient déformés.

  Elle perçut des bruits de pas précipités, des chocs sourds dans son dos. Puis plus rien. Rien que le silence qui l’enrobait, ses propres hurlements étouffés par son casque imposé qui lui meurtrissait le visage. Quand elle parvint enfin à l’enlever, elle était seule dans l’alcôve, toujours à genoux sur le sol terreux. Les mioches avaient réussi à affaisser la poutre maintenant l’entrée ; elle ne savait par quel miracle elle n’avait pas fini emmurée.

- Je les tuerai. Je les tuerai tous.

  « Non. C’est fini Crumpek. Tu as échoué. J’aurai au moins réussi à sauver ces enfants, même si ça ne rachète pas la vie des autres. C’est fini. »

- Tais-toi ! Je les retrouverai et ils paieront ! Ils ne doivent pas être loin.

  Maudite voix. Maudite Odile qui s’était révélée plus résistante qu’elle ne l’aurait cru, pourtant parasitée dans son propre corps. Crumpek titubait, plus affaiblie qu’elle ne voulait le reconnaître, son corps bouillonnant encore littéralement de rage. Les coups reçus à répétition, l’inanition subie depuis plusieurs jours, ses méfaits commis ces dernières années, tout cela avait affaibli son corps.

- Je les tuerai, répéta-t-elle encore.

  Cette fois néanmoins, la voix d’Odile se tut. C’est une autre voix qui résonna dans l’obscurité, une voix qu’elle connaissait bien et méprisait sans pouvoir l’exprimer. Une fois qui la fit se figeait avant qu’elle ne puisse sortir de cette pièce, témoin de son échec.

- Quel gâchis, Crumpek. Nous comptions tellement sur les résultats de vos recherches.

  Le Rayonnant. Crumpek serra les dents.

- Vous nous avez menti. Le jeune Hunter était présent depuis plusieurs jours au sein de l’orphelinat.

- Monsieur, je…

- Taisez-vous donc. Regardez le fiasco que vous nous laissez sur les bras, tout ces enfants mutilés au service de votre folie, le temps que vous nous avez fait perdre. Vous êtes finie, Crumpek. Vous ne me laissez pas le choix.

  Crumpek mit une seconde de trop pour comprendre le sens sous-jacent des propos du Rayonnant. Elle tenta de lever les bras pour se protéger, de faire sortir son feu, mais Odile acheva son insubordination en bloquant de son mieux l’énergie de La Brûleuse. Le Rayonnant porta son coup qui atteignit Crumpek en pleine poitrine ; elle n’eut même pas le temps d’hurler. Le feu la dévora de l’intérieure, la puissance du chef de clan si importante que tout fut terminé en quelques secondes.

  Sa tâche accomplie, Le Rayonnant secoua son manteau de la poussière qui s’y trouvait et quitta les lieux sans un regard en arrière pour la femme qu’il venait d’éliminer. Il traversa le cimetière d’orphelins sacrifiés pour une cause futile et insensée sans l’ombre d’une émotion sur son visage sculptural. Pour ce qui était des fuyards, peu lui importait ce qu’ils devenaient. Malgré son incompétence et sa démence, Crumpek avait semé les graines de l’avenir dans l’esprit du jeune Hunter et de ses amis. Il finirait par se retrouver à la Croisée des Chemins, il le savait. Le sentait. Enfin satisfait, le chef du clan ressortit à l’air libre et prit le chemin de son lieu de résidence sur cette terre.

  Ainsi s’éteignit Crumpek, libérant par la même façon l’Âme Odile de son emprise.

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