— Billet s'il vous plait !

Le contrôleur me tire de ma torpeur.

Par la vitre je regardais défiler le paysage.

Des images si familières.

Vaches qui paissent tranquillement, clochers qui dominent de petits villages... Une succession d'images d'Epinal.

Je croyais les avoir oubliées. Elles me tirent un sourire béat.

Je suis bien de retour chez moi. Pas de doute possible.

Le TGV me ramène à mon point de départ... et j'ai l'impression que tout le chemin parcouru l'a été pour rien. Mon cœur souffre autant qu'il y a dix mois.

Qu'il est loin mon pays, qu'il est loin
Parfois au fond de moi se ranime
L'eau verte du canal du Midi
Et la brique rouge des Minimes

Ô mon pays, ô Toulouse, ô Toulouse

Un mélange d'euphorie et d'angoisse.

Il y a environ dix mois je partais pour un trip autour de la planète. Sac à dos, carte bleue en poche.

Jeune diplomé d'une école d'ingénieur je disais à ceux qui souhaitaient comprendre mon choix que je voulais faire un break avant de me lancer dans la vie professionnelle. Découvrir notre monde, ses paysages. Les populations qui le partagent avec nous. Leur culture, mode de vie...

Beaucoup envièrent ma liberté et selon eux mon courage. D'autres furent indifférents. D'autres encore n'eurent que mépris. Pourquoi retarder une carrière qui ne pourrait être que brillante et ainsi passer à coté, dès maintenant, de juteuses opportunités.

Mes parents s'inquiètèrent. Comme peuvent être inquiets des parents qui voient leur enfant s'éloigner et partir dans l'inconnu.

J'avais mis de l'argent de coté pendant mes jobs d'étudiant, vendu ma voiture et mes parents m'ont aidé financièrement dans la mesure de leurs moyens. Et quelques boulots au cours du voyage me permirent de tenir.
Sans parler de l'accueil chaleureux et de l'hospitalité généreuse que je reçus dans dans bien des contrées.

Ce matin je les ai appelés de Roissy. Ils sont tellement heureux de me revoir et en bonne santé. Moi autant qu'eux.
Mais je ferai une halte avant de les retrouver. Il n'y a aucune obligation à cette halte. Mais j'y tiens. Cela les contraria mais ils acceptèrent ma décision. Ils connaissent mon attachement à Romain et Bintou.

Bintou...

Elle seule connaît la véritable raison de mon départ. Je la lui ai avouée. Romain la devina-t-il ?

J'aime Bintou qui aime Romain !

Et j'aime Romain.

Amour d'un coté. Amitié de l'autre.

Que c'est classique ! Deux amis aiment la même femme.

Ce trip de pays en pays, cet éloignement, ce devait être une thérapie. Je cherchais à m'imuniser.
« Loin des yeux, loin du coeur » J'y crus.

Jusqu'à maintenant.

Assis dans ce train qui me rapproche à grande vitesse de Bintou et Romain je prend conscience de l'échec du traitement. J'ai peur ! Ils m'attendent.

Ils vont m'accueillir à la gare de Toulouse. C'est certain. Je les ai prévenus de mon arrivée. Il m'était impossible de refuser leur pressante invitation.

En avais-je envie ?

Romain est l'ami de toujours. Nous nous sommes connus au collège et depuis nous sommes inséparables. Nous avons suivi les mêmes études. Après le collège, même lycée et même études supérieures.
Nous avons découvert la vie ensemble. Le sport, les jeux vidéo, les bars, les sorties, les filles...

Beaucoup de mes amis sont venus des nuages
Avec soleil et pluie comme simples bagages
Ils ont fait la saison des amitiés sincères
La plus belle saison des quatre de la Terre

Nous avons tout partagé.

Tout... sauf ELLE ! Bintou.

Ses yeux se sont portés sur Romain. Son cœur aussi.