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— Vous savez choisir vos copains !
Non. Elle me tutoya d'emblée. Ou est-ce flou dans ma tête ?
— Tu sais choisir tes copains !
Une remarque qui pouvait se comprendre de différentes manières.
Soit un copain qui n'hésite pas à soutenir son ami. Solidaire.
Soit un copain dont elle ferait bien son quatre heures.
Parlant de Romain les deux interprétations étaient recevables.
Nous avons enchainé quelques rocks mais déjà Romain s'était immiscé entre nous.
Le coup de foudre ?
Après le détour au bar il avait regagné notre table et le regard de Bintou déviait régulièrement vers l'endroit ou il se trouvait.
Romain n'est pas qu'un beau bébé. C'est aussi un mec génial, je ne peux pas dire le contraire. Il en impose autant par sa stature que par l'aura qu'il dégage.
Je compris que c'était compromis pour moi.
Il ne chercha pas à me la prendre. C'était un contrat implicite entre nous. On ne touchait pas à la conquête du copain. Mais le basculement se passa assez rapidement.
Bintou ne coucha pas le premier soir. Cela peut paraître stupide comme expression, mais c'était notre objectif de drague à l'époque. Nous n'étions pas à la recherche du grand Amour. Uniquement du plaisir à court terme.
Pour nous une femme était une citadelle à conquérir. Citadelle avec des défenses plus ou moins fragiles.
Mais sans prise de tête. Le siège durait le temps qu'il fallait et il nous arrivait souvent de rentrer la queue basse mais toujours le moral au beau fixe.
Et le cas échéant, l'occupation des lieux durait plus ou moins.
Bref, Bintou finit la soirée avec nous et nous la raccompagnâme chez elle avec la promesse de nous revoir et il y eut une courte période de transition pendant laquelle chacun a joué un rôle.
Je poursuivais avec persévérance mes travaux d'approche auprès de Bintou en voyant bien que ce n'était pas moi qu'elle désirait.
Bintou acceptait gentiment mes invitations en espérant secrétement voir Romain. Elle esquivait toujours mes tentatives pour l'enlacer ou l'embrasser.
Et Romain faisait semblant de tenir la chandelle en toute amitiè et en toute innocence.
Rapidement ce ne devint plus tenable et avec Romain nous crevâmes l'abcès qui risquait de contaminer notre amitié.
Bintou quitta mes bras, façon de dire, pour ceux de Romain.
Au début je n'en souffris pas . C'était notre jeu avec les filles. La bonne fortune souriait à l'un ou l'autre. Ou aux deux. Comme je l'ai déjà dit, nous ne cherchions pas d'attache et les relations ainsi nouées étaient plus au moins longues. Une de perdue dix de retrouvées était banalement notre crédo.
Il n'en fut pas de même cette fois là.
Bintou et Romain tombèrent fou amoureux l'un de l'autre.
Et moi de Bintou.
En silence.
Vous pouvez détruire
Tout ce qu'il vous plaira
Elle n'a qu'à ouvrir
L'espace de ses bras
Pour tout reconstruire
Pour tout reconstruire
Je l'aime à mourir
Romain et moi partagions une colocation et Bintou petit à petit imposa sa présence. Ainsi j'eus tout loisir d'envier leur intimité. L'épaisseur des cloisons n'était pas suffisante pour me protéger des gémissements et de paroles si explicites échangées dans l'amour.
J'aurais tant voulu qu'elles me soient adressées... et je me masturbais.
Le lendemain, benoitement, en petite tenue, l'un ou l'autre me demandait :
— Nous ne t'avons pas trop empêché de dormir ?
Ce qui ne freina jamais leur ardeur.
De temps à autre une fille passait la nuit avec moi. Au moins il y avait alors la stéréo !
Mais il est des paroles plus douloureuses que d'autres. Ils échangeaient aussi des « Je t'aime ». Ce sont sans doute les mots qui me firent le plus de mal.
Ils m'excluaient.
Intuition féminine, Bintou a compris assez rapidement que mon cœur battait pour elle. Et je m'en suis ouvert, sur le ton de la plaisanterie.
— Si un jour Romain ne veut plus de toi, je suis là.
— Tu fais du recyclage ?
— Inutile de faire du tri pour trouver des trésors.
Elle embrassa son index et le posa sur mes lèvres. Un geste qui enflamma mon cœur.
Elle ne manquait pas, à l'occasion, de me taquiner, mais jamais elle ne poussa jusqu'à trahir Romain.
Juste de petits bisous coquins sur les joues.
Des enlaçades platoniques.
J'étais le pote de Romain et Bintou me considéra tout naturellement comme son ami. Ma présence ne les génait pas. Embrassades et prises de bec. J'en étais le temoin.
Témoin malheureux mais jamais en façade.
L'illusion craqua devant Bintou quelque temps après leur avoir fait part de ma décision de partir.
Elle ne comprenait pas que je n'associe pas Romain à ce projet.
Impossible de ne pas lui avouer qu'elle était la raison de mon départ. Mon trop d'amour.
— Je comprends mais je ne crois pas que ce soit la bonne solution.
— Je n'en ai pas d'autre en stock.
— Je ne veux pas que tu m'oublies Théo.
— Loin des yeux, loin du coeur.
— Ne dis pas de bêtises.
— Il faut que je t'enlève de ma tête, sinon ça finira mal.
— Et tu dois partir au bout du monde pour cela ? Foutaises.
— J'espère apaiser mon coeur.
— Mais je t'aime aussi Théo.
— Pas comme je t'aime.
— Je t'aime Théo. Ne l'oublie jamais.
Ses yeux se mouillèrent et elle me caressa la joue.
Je ne pus retenir un cri de douleur.
— Putain, non ! Tu aimes Romain.
Et je quittai le salon.
Je suis venu te dire que je m'en vais
Et tes larmes n'y pourront rien changer
Comm' dit si bien Verlaine au vent mauvais
Je suis venu te dire que je m'en vais
Tu t'souviens de jours anciens et tu pleures
Tu suffoques, tu blêmis à présent qu'a sonné l'heure
Des Adieux à jamais
Oui je suis au regret
D'te dire que je m'en vais
Oui je t'aimais, oui mais
Je suis venu te dire que je m'en vais
Tes sanglots longs n'y pourront rien changer
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