Chapitre I.3

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Une fois réunies, les quatre abeilles se répartirent les tâches ; la nouvelle arrivante allait devoir réaliser des cerces parallèles au sol, à deux mètres quarante au-dessus de lui, avec comme centre l’O.C. et d’un rayon égal à la moitié de celui de la pièce. En bref, elle allait tourner en rond… Mais la petite abeille aimait bien faire des cercles, d’autant que ce parcours simple lui laissait le loisir de se consacrer à son nouveau passe-temps : la réflexion.

« Pour commencer, pensait-elle en observant la myriade de Citoyens qui défilait sous ses pattes, en quoi les humains nous sont-ils supérieurs ? A question facile, réponse facile : Les humains sont supérieurs à toute autre forme de vie par leur intelligence hors du commun. Cependant, qu’entend-on par "forme de vie" ? Car, après tout, je suis reliée au Réseau Informatique, … »

Premier tour de la pièce.

« … et mon cerveau électronique est capable d’opérer n’importe quel calcul des milliers de fois plus rapidement que le cerveau biologique des humains ; et si j’en avais besoin, j’aurais instantanément accès à la plus grosse banque de données de la planète : j’ai donc potentiellement plus de facultés et de connaissances qu’eux. Même les humains robotisés n’ont pas de telles capacités : ils sont en effet semblables… »

Deuxième tour.

« … en tous points à un Citoyen normal ; seule leur endurance est accrue. Pourquoi alors travaillons-nous pour la Société des humains ? Pourquoi tous les animaux survivants travaillent-ils pour eux ? Il est vrai que, même si ce travail nous satisfait pleinement, nous n’avons guère le choix. Par exemple, si un chien (électronique, cela va de soit) s’écartait de sa tâche de réconfort… »

Fin du troisième tour.

« … et d’assistance auprès de l’homme, s’il lui venait à l’esprit de s’occuper, disons, de considérations politiques : son cerveau, fonctionnant alors à un régime beaucoup plus élevé, émettrait une grande quantité d’ondes diverses ; ces ondes seraient alors détectées par un capteur spécial, qui permet que tout chien ayant d’absurdes vocations de philosophe soit désactivé sur-le-champ. Je me demande d’ailleurs s’il en est de même avec… »

Le robot de nettoyage surgit de sa cavité murale pour récupérer le corps sans vie de l’abeille. La salle devait rester propre, et une fois de plus il allait pouvoir prouver à la Société que son efficacité était inégalable ! Dès la désactivation de l’abeille de surveillance par le Réseau Informatique, il avait reçu de ce dernier une série d’informations lui permettant d’agir au mieux ; il avait notamment connaissance du point précis occupé par l’abeille lors de sa chute, et des capteurs lui permettraient de détecter toute pièce électronique se trouvant à proximité.

Il se rua vers son objectif, s’apprêtant à le saisir de ses deux bras télescopiques, longs colliers de perles terminés par une pince aspirante, qui allaient déposer le cadavre dans l’incinérateur situé sur son dos. Le robot fonçait de toute la vitesse de ses quatre pattes à ressorts, quand… Quelque chose n'allait pas ! Il venait de s’apercevoir que l’abeille, au lieu de venir souiller le sol dont il assurait la parfaite propreté, était restée accrochée sur l’épaule d’un humain, qui, ne se doutant de rien, traversait la salle à grands pas.

N’allait-il pouvoir se rendre utile à la Société ? L’impureté que constituait le corps de cette maudite abeille ne pourrait-elle être éliminée ? Il restait encore une possibilité… oui ! Le robot ne pouvait se résoudre à rentrer bredouille. Il se dirigea vers l’un des pieds de l’humain, qui poursuivait son chemin en toute insouciance. S’il savait qu’il véhiculait une impureté ! Mais celle-ci allait être détruite : le robot allait se servir de ses pinces pour gravir la jambe de l’homme, puis activer les ventouses situées sous ses pattes pour atteindre l’épaule, et enfin, l’abeille. Il grimpa donc sur la chaussure, assura fermement sa prise sur la cheville, et pinça le pantalon auquel il allait se suspendre, quand soudain la jambe cessa d’effectuer son mouvement régulier de balancier, pour se déplacer d’une façon totalement désordonnée qui faillit bien faire tomber le robot.


En effet, le propriétaire de cette jambe au comportement quelque peu suspect était plutôt surpris de voir un robot de nettoyage, habituellement une tranquille boîte grise montée sur ressorts se déplaçant nonchalamment le long du plancher, montrer autant de fougue à vouloir s’approprier un membre auquel, on le comprendra, l’humain était particulièrement attaché.

Il se mit donc à secouer son pied en tous sens, jusqu’à ce qu’enfin, au prix d’un violent effort, le petit robot trop effronté soit projeté dans les airs (il n’avait d’ailleurs pas lâché prise, non, jamais il n’aurait faibli dans sa tâche ; seulement, le pantalon avait craqué…). Et ce fut après un long vol plané qu’il vint se fractionner en mille morceaux contre le cube noir de l’Ordinateur Central. Toutes les pièces métalliques constituant le robot se détachèrent sous le choc, et l’une des fines perles qui formaient les bras télescopiques fut projetée à l’intérieur même de l’O.C. par une des petites trappes d’aération situées sur le dessus du cube.

La petite perle métallique ricocha contre les innombrables composants de la machine, puis vint finalement se loger en douceur contre une grosse puce électronique. Et, avant que les services de protection internes de l’ordinateur ne désintègrent l’intruse, agissant encore plus vite que le second robot de nettoyage qui avait en un tour de main fait disparaître toute trace de son confrère (morceau de pantalon compris), la petite perle eut le temps de mettre en contact deux des fines pattes d’or de la puce, provoquant un court-circuit extrêmement bref, mais non sans conséquences.

En effet, dans l’immense chaîne de données de l’ordinateur, dans cette succession interminable d’informations binaires, un « un » fut changé en « zéro ». Cela pouvait sembler assez minime, comme conséquence... Mais cela suffît pour que sur l’un des quatre cents terminaux de la salle, un « cinq » soit changé… en « quatre », et ainsi une heure de service se trouvait avancée de dix minutes. Et à partir de là, tout pouvait arriver.

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