Chapitre VII.3
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Il continua sa descente. Les données n’étaient pas stockées en haut avec l’Ordinateur Central mais tout en bas, dans l’avant-dernier sous-sol : il n’avait donc finalement pas pris une si mauvaise direction.
Les alarmes rugissaient autour de lui, devant lui et derrière lui. Elles semblaient surtout très fortes près de lui ; mais à la réflexion, les alarmes lointaines étaient les plus assourdissantes. D’ailleurs, elles étaient désormais les seules à rugir. Et encore, ce n’était plus qu’un son très faible, qui venait de laisser la place au silence total.
Io ne pouvait plus descendre, les escaliers s’étaient arrêtés à un sous-sol encore bien au-dessus de sa destination finale, et il ne savait pas où ils se poursuivaient. Il était dans un sous-sol immense, parfaitement silencieux, et, chose étrange, la visière de son casque ne répondait plus. Il ne savait donc vraiment plus où aller.
Il commença à explorer lentement les lieux, mais tous les couloirs se ressemblaient, et comme toute sa vie durant les chemins avaient été tout tracés et tout indiqués devant lui, il avait un bien piètre sens de l’orientation. Il tournait d’ailleurs en rond sans s’en rendre compte, passant devant les mêmes portes grises donnant sur les mêmes pièces grises reliées par les mêmes couloirs gris. Jamais il ne rencontrait personne, aucun travailleur mais non plus aucun garde ni aucun robot, et les alarmes étaient toujours muettes.
Il ne pouvait cependant errer indéfiniment parmi ce labyrinthe de murs et de portes, portes qu’il avait d’ailleurs trouvées fermées de plus en plus souvent avant que toutes ne lui refusent le passage. Non, quelque chose devait forcément arriver. Il se disait : « Que j’arrive à sortir d’ici, ou que je sois réduit en pièces, mais qu’il se passe quelque chose ! »
Et justement un événement se produisit. Les murs du long couloir dans lequel il marchait impatiemment commencèrent à se rapprocher, d’abord imperceptiblement puis de plus en plus vite. « Eh bien voilà : il se passe enfin quelque chose ! » Il se mit à courir de toute la vitesse de ses jambes, et bien que son armure aidait à lui conférer une plus grande force d’appui sur le sol, il manqua de peu être réduit à l’épaisseur d’une crêpe entre les deux parois. Il sauta au dernier moment à travers un espace entre les murs d’à peine cinquante centimètres, mais il était intact.
Etrangement cependant, là où il atterrit, Io brûlait.
Il pensa d’abord qu’il était tombé dans une sorte de réduit, une petite salle bâtie spécialement pour l’incinérer, mais en fait il avait simplement débouché dans un autre couloir, et c’était tout ce couloir qui brûlait, de hautes flammes jaunes, rouges et bleues très jolies. Et qui ne lui faisaient aucun mal d’ailleurs, son armure intégrale le protégeant parfaitement du feu pour peu qu’il ne reste pas exposé trop longtemps.
« Cet endroit en sans doute un piège destiné uniquement aux ouvriers qui travaillent ici, se dit-il, qui eux ne peuvent venir avec une armure. Ils pensent sans doute que personne d’étranger au bâtiment ne peut s’introduire jusqu’ici ; mais alors je ne savais pas que la Société avait si peu confiance en ses travailleurs, d’autant que personne ne se rebelle jamais. A moins qu’on ait peur que les immeubles de la périphérie soient touchés par la corruption, mais qui à part moi s’est jamais opposé au système établi ? Personne, c’est impossible. »
Io quitta ses réflexions existentielles pour se dépêcher de sortir des flammes, il n’avait tout de même pas envie de finir brûlé. Il n’était donc plus au beau milieu d’un brasier intense, les murs avaient l’air de rester à peu près immobiles, mais il ne parvenait toujours pas à trouver les escaliers. Quelle importance ? Même s’il savait où ils étaient, les robots qui l’encerclaient maintenant l’auraient empêché de les rejoindre.
C’est qu’il y en avait tout de même beaucoup, sortis d’il ne savait où. En fait, cela l’énerva. « Ce n’est tout de même pas possible ! Mais est-ce que vous vous rendez compte ? hurla-t-il aux créatures mécaniques. Je suis là pour m’amuser, moi ! Je veux changer de vie, alors j’aimerais quand même qu’il se passe quelques trucs intéressants. Et à cause de vous, c’est toujours pareil, toujours la même chose ! Depuis que je suis entré ici, vous me courez après, ça vous avez le droit et je râlerais d’ailleurs aussi si vous ne le faisiez pas, mais je ne sais comment vous vous débrouillez pour que je m’en tire toujours de la même façon ! C’est d’un monotone… »
Un robot a souvent l’air idiot, et ceux-là n’avaient pas vraiment l’air d’avoir saisi toute la portée du discours de Io. Alors, avec une lassitude exacerbée, il leva le bras, appuya deux fois sur la gâchette (puisque c’était la seule alternative qu’on lui laissait), et plongea vers un groupe de robots. Logiquement, il aurait dû atterrir sur leurs canons de métal, mais voilà, son premier tir les avaient volatilisés, alors il ne restait que le plancher pour le recevoir, et comme son second tir avait fait un énorme trou dedans il se retrouva à l’étage du dessous. Enfin.
Les robots n’osèrent pas sauter par le trou, ils préférèrent l’arroser de leurs lasers jusqu’à ce qu’il se mette à l’abri. Avant de repartir, Io décida d’inspecter le reste de ses munitions. Pour la plupart de ses fonctions, l’arme se rechargeait elle-même, mais certaines choses comme le fil auquel il s’était suspendu, ou la roquette qu’il avait lancée afin d’avoir assez de souffle pour être projeté dans la cage d’ascenseur, tout cela ne pourrait être réutilisé. Mais il lui restait encore quelques grenades pour les robots, du gaz lacrymogène en grande quantité, de l’insecticide pour les abeilles... mais... « Il n’y avait pas d’abeilles dans le bâtiment ! s’exclama Io. Ce n’est pas normal. Imalbo n’en a pas besoin car il peut tout surveiller lui-même. Idem pour son petit frère. Mais ce bâtiment du Projet Contrôle, même s’il est chargé de concevoir de tels immeubles aussi bien équipés, lui-même ne possède aucun système de surveillance de ce genre. S’il était un minimum sécurisé et qu’il ne comptait pas uniquement sur le secret pour assurer sa protection, je ne serais d’ailleurs sans doute pas là. » Il y avait quelque chose qui lui échappait, décidément. « Mais il n’y a pas d’abeilles. Il y en a forcément eu à un moment ou un autre. Où sont-elles passées ? Le Réseau croit-il que les travailleurs d’ici n’ont pas besoin d’être surveillés ? Si c’était ça, l’étage au-dessus de ma tête avec tous ces pièges n’aurait pas lieu d’être. C’est à n’y rien comprendre ; il faudra que j’en touche un mot à Imalbo. »
Pour l’instant, il fallait qu’il continue à descendre.
Et pourquoi avait-il fallu qu’il entre dans cette fichue pièce 227 ?
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