Chapitre VIII.1
La salle était gigantesque, parce que c’était ici que tous les travailleurs communiquaient avec le Réseau : ils y entraient pour recevoir leurs ordres, et pour faire le rapport de leurs activités au sein du Projet Contrôle.
Elle comportait trois paliers, chacun étant élevé d’un mètre cinquante par rapport au précédent. D’abord, au premier niveau, il y avait un large espace ovale, vers l’avant de la pièce, où les travailleurs se regroupaient pour apprendre leurs affectations dont ils avaient connaissance par des écrans situés en hauteur ; l’ovale faisait environ cinq mètres sur huit. Ensuite, à partir de cet ovale, plusieurs marches conduisaient au deuxième niveau : c’était aussi un ovale, en fait une large ceinture de trois mètres de large qui faisait tout le tour du premier niveau. On y trouvait des ordinateurs aux fonctions assez poussées, sur lesquels les travailleurs faisaient plus que prendre connaissance de leurs tâches : ils procédaient ici directement à toutes sortes de manipulations informatiques, car pour certaines d’entre elles des humains s’avéraient utiles, en accélérant parfois certains processus. Les postes n’étaient pas vraiment nombreux. Mais ils étaient d’une taille considérable et empiétaient sur les marches inférieures, qui elles s’étalaient sur près de deux mètres.
Et enfin, il y avait le troisième niveau ; des marches similaires y menaient mais cette fois, le niveau ne consistait pas en une ceinture de quelques mètres de large : il occupait tout l’espace restant dans la vaste pièce rectangulaire, espace plutôt colossal. C’était là que les postes individuels (très nombreux) étaient installés, là où les ordres étaient distribués directement du Réseau aux travailleurs du Projet Contrôle.
Deux portes donnaient sur la salle : l’une au fond du troisième niveau, donnant sur un ascenseur, et l’autre au premier. En entrant par cette dernière, on traversait sur quelques mètres une sorte de couloir taillé à travers les planchers des deux derniers niveaux, et on arrivait dans l’ovale d’accueil. Le tout dans un beau gris métallique.
Le travail au sein du Projet Contrôle, et donc au sein de cette salle, avait une particularité notable : tout le monde travaillait par « couple », par équipe de deux de façon à éviter la moindre erreur qui pourrait survenir : chaque humain avait la charge de veiller sur son partenaire (en plus de la surveillance constante des abeilles qui normalement étaient partout), de contrôler toutes ses actions tout en l’aidant dans sa tâche.
Dans les deuxième et troisième niveaux de la salle, donc, les travailleurs s’installaient par paires (mixtes ou non) sur les ordinateurs. En fait, ce système requérait deux fois plus d’humains qu’il n’en aurait fallu normalement, car chaque couple effectuait un travail qui aurait très bien pu être fait par un homme (ou une femme) seul ; le travail par couple était ainsi exclusivement destiné à l’obtention d’une sécurité et d’une infaillibilité absolue, les grands projets de la périphérie ne pouvant souffrir d’aucun contretemps.
Et dans le premier niveau, dans l’ovale sur lequel aboutissait l’une des deux portes de la pièce, les équipes étaient définies. Quand l’ordre était donné en fin de journée à un couple de se séparer, le lendemain les travailleurs non affectés se rendaient dans le premier niveau à une heure donnée. Puis ils levaient les yeux et, sur les grands écrans qui surplombaient la porte, ils trouvaient le matricule de la personne avec laquelle ils devaient s’associer, celle avec qui ils allaient mutuellement se surveiller pour le confort de la Société.
Pendant que les autres couples travaillaient, il y avait donc plusieurs humains dans l’ovale d’accueil, une trentaine environ. Beaucoup portaient la blouse blanche de travail qui était d’usage à l’intérieur du Projet Contrôle, mais on trouvait aussi un homme en blouse bleu, gros avec des cheveux laqués qui reluisaient sous les lumières de la salle ; deux femmes et un autre homme étaient habillés dans le costume standard des travailleurs en repos, un complet gris assez lâche qui bien que d’allure plutôt stricte leur conférait une grande aisance de mouvement, les faisant paraître détachés, reposés, heureux ; deux hommes étaient dans la tenue rouge des travailleurs en extérieur, et il y avait même une femme habillée tout en noir, avec un large bandeau de la même couleur lui enserrant la tête, et deux jumeaux si puissamment musclés qu’ils étaient à coup sûr des robots.
Tous, les blancs, le bleu, la noire, les robots, faisaient face à la porte qui se trouvait quelques cinq mètres en avant, et observaient de grands écrans qui se suspendaient entre elle et eux, inclinés de telle sorte que toute information leur bondissait immédiatement jusque dans la prunelle des yeux. Ils regardaient conséquemment vers le haut, et c’est donc seulement le bas de leur vision qui fut brillamment illuminé par la déflagration qui projeta des fragments de la porte 227 jusqu’à leurs pieds.
Ce fut la panique : un homme horrible vêtu d’une armure effrayante bondit à l’intérieur de la salle, et fermement dans ses deux grosses mains il tenait une arme énorme, mortelle, qu’il pointait sur le groupe. La salle 227 poussa un cri d’effroi quand l’homme s’immobilisa en face de la femme en noir, car tout le monde crut qu’il allait tirer, et tuer. La femme n’osait pas bouger, elle était pétrifiée ; n’allait-elle pas mourir ?
Le temps se figea…
Et puis la panique s’accentua encore, et quand le volume sonore des cris des travailleurs doubla, la femme prit ses jambes à son cou, et avec elle tout le groupe de l’ovale d’accueil s’enfuit en hurlant à travers les autres niveaux ; à son passage, la terreur s’empara totalement de tous les autres travailleurs de la salle 227, qui se ruèrent vers la porte opposée à celle par laquelle était entré ce terroriste inhumain qui ne faisait aucun cas de la vie d’autrui. En quelques secondes, Io fut laissé seul.
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