Chapitre XIII.3
» Je me retrouvai donc au-dehors, dans la rue. J’avais décidé d’agir en plein jour, car de toute façon l’immeuble constituant ma destination ne devait normalement pas être très fréquenté, et encore moins par des humains. Et si le Réseau s’attendait à une attaque de ce genre, il l’attendrait plutôt la nuit. J’ai fait pas mal de chemin accroché sur le toit d’un bus, sur lequel j’étais parvenu à monter sans me faire repérer : une poignée d’abeilles avaient apparemment été remises en circulation, mais elles volaient très haut et n’étaient pas en nombre suffisant. Ainsi, je parvins assez rapidement à proximité de ma destination, et parcourus le reste du chemin à pied. Dans la rue, je me protégeais tant bien que mal des abeilles mais je ne pouvais évidemment pas éviter tous les piétons : cependant, nul ne fit le moindre geste dans ma direction. Je te jure que j’étais pourtant habillé comme tu me vois en ce moment : en imper noir tel un bandit des temps passés, comme on n’en voit vraiment plus, et avec toujours mon chapeau mou, et mes deux cornes ! Je veux bien que les gens acceptent l’idée que leurs semblables puissent s’habiller comme ils le veulent, mais de là à trouver normal quelqu’un avec des cornes sur les tempes, tel un vrai démon ! Décidément, plus rien ne les surprend.
— Rien à redouter donc de la population, aussi terrorisée puisse-t-elle être par nos actions, nota Io.
— Rien du tout, en effet, reprit Imalbo. Donc, j’arrivai finalement devant le bâtiment. En fait, j’étais probablement déjà repéré par quelques abeilles, mais je m’en souciais peu pour le moment. Ce qui m’intéressait plus, en revanche, c’était de trouver un moyen d’entrer : impossible de me mêler à la foule passant par les portes, car absolument personne n’entrait dans l’immeuble. Ces portes constituaient pourtant la seule entrée, et il me fallait passer par là. Comment faire pour entrer sans se faire repérer ? Je réfléchis alors activement : quelles seraient mes intentions une fois à l’intérieur ? Détruire les principales sécurités, prendre le contrôle des autres, et, s’il y avait des gardes humains, les endormir à coups de sulfateuse. J’allais avoir du mal à faire tout ça discrètement.
» Inutile donc d’essayer de franchir les portes sans me faire voir, si c’était pour tout faire sauter ensuite. Je commençai ainsi par faire sauter lesdites portes.
» Et j’avais de la chance d’avoir ma sulfateuse à la main en entrant, car ils étaient tous au courant de mon arrivée. Pour l’entrée discrète, c’était vraiment complètement raté ! Les portes étaient encerclées par des gardes (on dirait quand même qu’ils envoient toujours les humains en première ligne !), qui voulurent trouer mon superbe imper ! En cuir presque véritable, en plus : il était donc tout à fait légitime que je les fasse roupiller quelque temps. Puis, comme dans presque toutes tes missions l’objectif se trouvait soit tout en haut, soit tout en bas, je me dirigeai vers le sommet du bâtiment. L’endroit était plutôt bien protégé, en fait, et j’eus vraiment du mal à parvenir jusqu’en haut. Ce furent surtout les robots qui me posèrent problème. Mais bon, je finis par arriver à destination à peu près entier, même si un de ces satanés imbéciles mécaniques est quand même parvenu à bousiller complètement mon chapeau. En fait, je n’ai pas perdu de temps à les éliminer : j’ai foncé en évitant les tirs, jusqu’à ce que je trouve ce que je cherchais. C’était une grande salle, au centre de l’avant-dernier étage : elle abritait une sorte de siège mécanique, destiné comme prévu à une connexion humain/Réseau.
» Il n’y avait que deux robots dans la salle, un de chaque côté de la porte, et je les éliminai rapidement, après m’être jeté à terre pour éviter leurs tirs. Mais tous ceux devant lesquels j’avais fui pendant mon ascension étaient derrière moi, je pouvais les entendre arriver. Je me saisis alors de tous les meubles qui me passaient par la main, en général de grosses armoires métalliques, et les entassai dans le couloir de façon à bloquer la porte. Je tentai en même temps de faire fondre le métal avec le laser de ma sulfateuse, de façon à ce que les meubles se collent les uns aux autres, et finissent par former une barrière assez compacte. Mais cette dernière ne tiendrait pas longtemps : déjà les robots me poursuivant étaient de l’autre côté, et commençaient à tenter de passer. Même si, en tant que simples robots de sécurité, ils n’avaient pas les outils nécessaires pour forer mon barrage, ils avaient quelques lasers et explosifs, et je devais faire vite, à tout prix.
» Je me jetai sur le fauteuil de connexion. Imagine-toi la chaise de la mort sur laquelle tu as bien failli finir ta vie, rajoute des câbles partout, plus un gros casque en haut du dossier, et tu auras une vision assez précise de ce que c’était. Aussi gros, et aussi repoussant, du moins pour un humain. Je m’installai, attachai les diverses fixations de sécurité, même si je voyais mal pourquoi j’aurais besoin de m’immobiliser ainsi, puis je rabattis le casque sur ma tête. Automatiquement, il sécréta une substance visqueuse, qui vint appuyer contre mon crâne avec une pression étonnante, pendant que quelques électrodes se positionnaient sous mes cheveux, et qu’une aiguille, ou je ne sais quoi d’autre, s’insérait dans mon cou, renforçant la connexion. J’allais partir, et déjà les robots avaient presque perforé la première couche de métal de ma barrière de fortune : il allait falloir que je trouve le moyen de les désactiver au plus vite, sans quoi quand ils entreraient dans la pièce je serais totalement à leur merci, inerte sur mon siège, un corps sans vie dont l’âme serait restée perdue dans l’immensité du Réseau.
» Mais pour le moment, je n’avais pas encore à m’occuper de ce grand Réseau : investir le système informatique interne de l’immeuble allait déjà être suffisamment difficile ! Heureusement, je bénéficiais de toutes les connaissances de mon créateur, et même s’il me manquait quelques réflexes, je m’étais bien entraîné, et me trouvais assez à l’aise dans cet environnement informatique. J’avais en effet bel et bien quitté mon corps, et me trouvais juste au-dessus, dans le casque de métal.
» Là, la première difficulté, et non des moindres, fut de progresser au sein de ce qui s’apparentait à un sens unique : en effet, ce fauteuil était uniquement destiné à fournir des informations à un humain, et ce dernier n’était supposé avoir aucun contrôle, aucune liberté de se procurer quelque donnée que ce soit par ses propres moyens. Mais aussi petites qu’elles étaient, de nombreuses voies se dirigeaient néanmoins du casque vers le réseau informatique, la plupart servant à surveiller les fonctions vitales du cerveau en train de recevoir ses infos. Ce fut donc par là que je pénétrai ; et une fois parvenu réellement dans le réseau, la circulation se faisait normalement à plusieurs voies, je pus me diriger plus aisément. Tant mieux d’ailleurs, car j’étais pressé ! Je ne pouvais plus me servir des sens de mon corps pour savoir si les robots allaient bientôt pouvoir entrer, mais je m’imaginais facilement ce que je pourrais entendre. Enfin, après diverses manipulations bien trop abstraites et pointues pour que je te les représente dans les détails, je paralysai les défenses informatiques du centre de sécurité, puis j’investis celui-ci. Le plus rapidement possible, je tentai de localiser les robots me menaçant.
» Il n’était que temps ! Ils venaient de pénétrer dans la pièce, l’un d’eux pointait un laser vers ma gorge. Vite, j’en pris possession, et détournai le tir vers un autre robot, qui s’effondra. Avec le contrôle de l’unité qui avait manqué me tuer, je détruisis les robots présents dans la pièce, qui n’étaient pas du tout programmés pour réagir face à une telle situation, et bloquai l’entrée des autres. Puis, je quittai ce robot, et cherchai le moyen de tous les désactiver. Cela me prit quelques précieuses secondes, mais j’y parvins enfin, juste au moment où ils commençaient à réagir et à se diriger à nouveau vers mon corps immobile. Je les laissai alors ainsi, tous les robots de l’immeuble, des forces de sécurité jusqu’aux nettoyeurs, pantelants, désactivés. Mais je m’inquiétais de la présence d’autres gardes humains dans le bâtiment.
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