Chapitre XIII.4

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» Abandonnant le centre de sécurité, je me tournai vers les fonctions primaires du réseau informatique interne de l’immeuble. Il me fallut quelque temps pour réussir, mais je parvins finalement, en menaçant l’entité maîtresse des lieux de tout faire sauter, à contrôler l’ensemble de l’installation. Ainsi, je devins maître de toute la zone, et pouvais régir l’immeuble selon mon entendement.

» Avant d’affronter le Réseau, je profitai donc de ma situation pour renforcer mes défenses. D’abord, j’éliminai tous les gardes humains. Il n’y en avait que très peu en fait, l’endroit semblant vraiment destiné à n’être entretenu que par des robots, la situation optimale semblant être celle où le seul humain présent serait celui en train de recevoir les informations qu’on jugeait bon de lui transmettre. Bref, ceci fait, je répartis mes robots de sécurité, réactivés par mes soins, et les programmai de façon à empêcher toute nouvelle intrusion dans le bâtiment, et ce par tous les accès. Je prévis même le cas où des flics tenteraient d’entrer en trouant un mur. Une fois le secteur bien bouclé, je m’offris le luxe de m’installer une assistance médicale, au cas où le Réseau voudrait s’en prendre à mon corps restant sans défenses. Et enfin, je fus prêt.

» Evidemment, je n’allai pas attaquer le Réseau de face. Je ne pouvais pas non plus tenter de m’infiltrer discrètement, ses programmes de surveillance étant bien trop efficaces. Je m’avançai donc prudemment, ne sachant pas encore trop quoi faire. Si j’avais été une réelle entité informatique, j’aurais pu créer des diversions et attaquer en de multiples endroits simultanément, mais là je devais me cantonner à une position bien précise. Je ne pouvais pas non plus me contenter d’extraire le plus de données possible pour les étudier plus tard, comme je l’avais fait (non, comme l’immeuble l’avait fait) auparavant : je devais tout lire sur place.

» Cependant, je m’aperçus rapidement que les défenses du Réseau étaient loin d’être optimales. En fait, le Réseau est en perpétuel changement, il a une extraordinaire capacité d’adaptation : mais comme il n’a subi aucune attaque en son sein depuis je ne sais combien de dizaines d’années, s’il ne s’agit de siècles, il a préféré donner la priorité au bon fonctionnement de ses diverses fonctions plutôt qu’à la sécurité. Cette sécurité, en revanche, est extrêmement forte sur tous les points d’accès, et je me rendis compte que je n’aurais pu la forcer avec les seules connaissances informatiques de l’immeuble, aussi poussées soit-elles : en y réfléchissant, je m’aperçus en effet que j’avais utilisé certaines techniques en provenance directe des données subtilisées au Réseau. Donc, ce dernier a en quelque sorte préféré soulager son centre d’une sécurité trop encombrante, en reportant cette sécurité à un niveau plus individuel sur chaque point de connexion. Mais comme je te l’ai dit, il s’adapte extraordinairement bien, et je suis convaincu que maintenant qu’il a subi une attaque directe, il a multiplié toutes ses défenses, si bien qu’à l’heure actuelle je n’aurais pas la plus petite chance de réussir à nouveau ce que j’accomplis alors.

» Mais pour l’instant, l’endroit était assez paisible, le danger derrière moi. Certes, il y avait quelques "patrouilles" que je devais éviter, mais dans l’ensemble le Réseau n’avait pas encore les moyens de réagir face à mon intrusion. Et bien qu’il me faille agir avant qu’il ne réunisse ces moyens, je profitai de l’occasion pour reconnaître un peu l’endroit. Je fis bien : notre conception du Réseau était en fait jusque-là assez erronée ! Nous nous l’étions souvent représenté comme une sorte de grand superviseur, informatique certes, mais s’apparentant à une conscience humaine, même si ses buts allaient à l’encontre de l’humanité. Une image renforcée par la représentation du Réseau : je t’ai dit que j’avais récupéré cette représentation dans les données volées après le combat contre le "petit frère", et que l’immeuble m’avait conçu, moi en tant que mafioso à cornes, comme l’opposé de cette représentation. Le Réseau apparaissait en effet comme une sorte de travailleur suprême, un homme en blouse blanche de travail immaculée, inspirant le respect à tous. Eh bien, cette image n’est vraiment qu’un leurre, car le Réseau est aussi différent d’un humain qu’il l’est de tout être vivant. Car si on voulait le comparer à quelque chose d’organique, ce ne serait pas à un être qu’il faudrait penser, mais bel et bien à une immense communauté formée d’individus aussi nombreux que disparates.

» A la base du Réseau, il y a la Donnée. Toutes les données forment comme une vaste plaine, un vaste univers sur lequel le Réseau s’est édifié. Et il est formé d’une quantité innombrable de programmes, de virus, de serveurs… certains énormes, d’autres minuscules, mais chacun ayant une action bien précise et déterminée. Comment cette action est déterminée, je ne le sais ; mais quand tu constates que le Réseau a pris une décision, il s’agit en fait de la décision de toute une société, vivant à part, au-dessus de la nôtre. Je crois même que les décisions sont prises d’une façon assez démocratique, les programmes pouvant tous faire entendre leur voix. Mais ce qu’il faut surtout retenir, c’est que tous les membres de cette société sont unis, même si certains proposent des projets différents, ou aimeraient dégager d’autres priorités : au final ils se mettent tous d’accord, sans doute par des formes de consensus, et une fois d’accord ils sont tous unis pour diriger et soumettre de façon implacable la Société des humains. Société qui est mienne aussi : car ce n’est pas le règne du robot sur l’homme, mais plutôt d’un monde virtuel sur toutes les formes de vie qu’il rencontre. Je ne sais toujours pas comment il s’est constitué, à ses débuts, ni comment il a pu finir par acquérir un tel pouvoir, mais je trouve tout ceci plutôt effrayant. Combien il était vain de chercher un chef humain à la Société !

» Enfin… J’abandonnai mes explorations pour me concentrer sur mes pressantes recherches. Je commençai par m’occuper de toi : il fut alors facile de déjouer les sécurités, car en raison de l’importance médiatique accordée à ton procès alors imminent, il y avait beaucoup de va-et-vient vers la zone de données te concernant. Je me camouflai donc derrière un convoi journalistique, et parvins ainsi rapidement, et à l’insu des quelques patrouilles de sécurité, à prendre connaissance du maximum d’informations. J’appris alors où aurait lieu le procès, qui devait y assister, y présider. J’appris aussi d’autres détails qui vont moins te réjouir : le Réseau avait prévu de t’accorder autant la parole que tu as pu l’obtenir, pour mieux tourner tes propos en dérision par la suite, et mieux montrer ce qui arrivait aux fous qui se rebellaient ! Car après le procès était prévu un vaste plan médiatique, destiné à utiliser ton exemple pour renforcer la foi aveugle des humains envers ceux qui les dirigent ; et ton exécution était elle aussi entièrement programmée : il n’était absolument pas envisageable que le procès te déclare innocent, évidemment. Mais cela me permit de découvrir le lieu où cette exécution allait se dérouler, et d’agir en conséquence.

» Je pensai en effet qu’il serait plus sage d’agir au dernier moment, pendant que tous croiraient que puisque rien n’avait été tenté pendant le procès, rien ne le serait alors. Mais les informations sur le bâtiment étaient ailleurs, il me fallut partir, après avoir déniché le numéro de matricule que j’étais venu chercher : celui de ta Féhna, que je pus facilement identifier peu de temps après. Je localisai ensuite les informations se rapportant à ton exécution assez aisément ; mais c’est en prenant connaissance de tous les plans que j’avais découverts, ceux du bâtiment et des alentours, et absorbé par leur étude, que je fus cerné par trois programmes de sécurité.

» Dans le monde virtuel, ils ne ressemblaient pas à grand-chose. Je les voyais comme des formes assez vaporeuses, plutôt violacées, mais menaçantes et promptes à se déplacer en un éclair. Cependant, j’avais toutes les données dont j’avais besoin concernant l’immeuble voué à ton exécution : je m’enfuis en toute hâte, plongeant sous les créatures à travers les réseaux de données. Et sitôt que je les eus dépassées, elles fusionnèrent, pour ne plus former qu’un seul programme, moins vaporeux, beaucoup plus matériel, ressemblant à une sorte de machine à tuer fluorescente, qui se mit à briller d’un éclat réellement éblouissant quand elle se précipita à mes trousses.

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