Chapitre XIV.3

5 minutes de lecture

« Le Réseau n’est pas seulement un gentil système informatique qui se contente de faciliter les échanges d’informations. C’est en vérité tout un monde, une communauté virtuelle gigantesque de plusieurs milliards d’individus qui sont à la tête de la Société, et méprisent les humains. Le Réseau dirige les Citoyens, c’est lui le véritable chef, et nous ne sommes que des jouets à qui il donne l’illusion d’être heureux dans un monde parfait. Mais pouvons-nous nous satisfaire d’une illusion de bonheur ? Avant tout, nous devons être libres, et tant que le Réseau existera nous ne pourrons l’être. Vous travaillez tous pour le Projet Contrôle, non ? Savez-vous la terrible ironie qui se cache derrière ce nom ?

— Ce n’est qu’un simple projet d’immeubles nouvelle génération, intervint un homme tiré à quatre épingles qui semblait posséder une certaine autorité sur les autres. Nommé Projet Contrôle à cause de la capacité de ces immeubles à contrôler eux-même l’ensemble de leurs installations. N’essayez pas de nous faire croire qu’il s’agit d’autre chose !

— Désolé, reprit Io, mais c’est un peu plus que cela. Nous avons pu arracher certaines informations au Réseau, et ce que nous avons appris n’a rien de réjouissant. Vous travaillez sur des immeubles totalement indépendants, n’est-ce pas ? Destinés à remplacer tout autre système communautaire. Eh bien une fois que ces immeubles seront implantés partout, les humains seront retranchés en petits groupes totalement autonomes, en parfaite autarcie. Les groupes n’auront presque aucun contact entre eux. Et si ce projet a été baptisé Projet Contrôle, c’est bien parce que le Réseau, une fois les humains répartis de cette façon, pourra les contrôler comme il l’entend, sans plus se trouver obligé de leur faire croire en une Société parfaite. Ils devront travailler selon sa volonté, encore plus qu’aujourd’hui, et au moindre signe de révolte, de contestation, que pourra-t-il faire ? Il lui suffira de raser un immeuble, de le couper de tout, de l’abandonner, et personne n’en sera informé. Il pourrait ainsi se débarrasser de tous les éléments néfastes qui lui déplaisent.

— Ce n’est qu’une interprétation possible, reprit l’homme qui était intervenu, mais c’est loin d’être la plus probable, ou la plus raisonnable. Comment pouvez-vous savoir que le Réseau nous ment ? Et quelles sont ces illusions de bonheur ?

— Si je parle d’illusions, c’est parce que nos vies ne nous appartiennent pas : nous n’avons aucun contrôle sur la Société, aucun humain n’est libre de prendre des décisions. Demandez-vous qui dirige, qui choisit ce qu’il convient de faire ? Comme on me l’a répondu lors ma parodie de procès, vous me direz que les décisions sont prises par ceux qui s’y connaissent le mieux en la matière, ceux qui sont vraiment à même de décerner les décisions justes. Oui, mais. Le Réseau a accès à l’absolue totalité des informations de la planète. Qui donc pourrait être mieux placé que lui pour prendre une décision ? Les humains n’ont pas droit au chapitre. Pour le moment, vous êtes heureux, vous vous satisfaites de votre existence plantés devant un écran de télévision, et vous croyant honorés par l’usage que fait la Société de votre force de travail. Mais le Réseau fait ce qu’il veut de chacun d’entre nous. Quand il aura décidé que le temps des illusions sera révolu, alors l’humanité connaîtra de bien sombres jours…

— Tout cela est très bizarre, dit Féhna. Il est vrai que le Réseau déploie beaucoup d’efforts, notamment à travers tous les slogans et la publicité dont il nous abreuve, pour nous persuader de l’équité de la Société. Mais si son seul but était de nous leurrer, si auparavant, quand il n’existait pas, les gens étaient vraiment libres, comment et pourquoi se seraient-ils laissés faire ? Personne n’aurait jamais accepté de vivre dans des illusions de bonheur, à part les faibles, et beaucoup auraient protesté. Comment le Réseau serait-il alors apparu ?

— Je ne sais pas, Féhna, avoua Io. Mais nous cherchons toujours, et nous finirons par savoir, du moins je l’espère.

— Mais comment pourrais-je vous croire, alors ? Ce serait croire l’humanité responsable d’une énorme faiblesse, et il faut des preuves pour cela. »

Imalbo, qui s’était jusque-là tenu à l’écart, par discrétion pour Io ou pour guetter l’arrivée de nouveaux robots, se rapprocha alors et prit la parole :

« Il y a peut-être un endroit où nous pourrons trouver des réponses, dit-il en regardant Féhna. Toutes les données informatiques de ce monde sont possédées par le Réseau, et ce n’est pas là qu’il convient de chercher. Il faut nous rendre dans les endroits les plus anciens, là où l’on peut espérer qu’il existe des traces de l’ancienne civilisation que le Réseau a vaincue. Avec Io, nous avons découvert un tel endroit, profondément enfoui sous terre, le jour où il s’est enfui de l’immeuble dans lequel le Réseau avait voulu lui coudre la bouche à jamais. Il y a tout un labyrinthe de très anciennes galeries là-bas, et nous avons trouvé une salle, surveillée par un monstre étrange qui semblait garder des trésors de temps passés. Le monstre fut terrassé, mais malheureusement nous n’avons pas pu pénétrer dans la salle qu’il gardait, car nous étions blessés. Mais nous pouvons y retourner, et y chercher les réponses que vous demandez.

— Féhna, reprit Io que l’intervention d’Imalbo avait fait reprendre espoir, je ne peux me passer de vous. Je veux vivre pour vous protéger, et pour vous faire connaître le monde que vous méritez. Je vous aime, Féhna, mais je sais que vous ne pourrez que me prendre pour un fou tant que vous n’aurez pas vu de vos propres yeux les peines que le Réseau vous a infligées. » Il se jeta à genoux. « Je vous supplie de nous accompagner ! Vous ne serez pas en sécurité ici ; le Réseau sait de plus combien je tiens à vous et pourrait vous menacer pour me contraindre à me rendre, et je ne pourrais le laissez vous faire du mal. Vous voulez savoir ce qui se cache réellement sous notre Société ? Accompagnez-nous, et vous verrez le mal de vos yeux, et vous comprendrez. Je vous implore de me faire confiance : je ne laisserai rien vous arriver, et vous serez libre de juger quel monde est le meilleur, de celui du Réseau ou de celui que nous vous proposerons. »

Io pleurait en regardant le visage si beau, de grosses larmes coulaient contre ses joues, et il souffrait de la réponse qu’il risquait d’entendre. Il souffrait tant d’ailleurs et craignait tant de voir le refus dans les yeux qui lui étaient les plus chers au monde, qu’il n’avait pas remarqué le regard de Féhna quand elle avait vu les larmes emplir les prunelles de feu de cet homme si étrange. Elle se sentit envahie par une immense vague de sentiments qu’elle ne comprenait pas, peut-être était-ce de la pitié, ou de l’espoir ? Ou l’envie de découvrir un autre monde, d’essayer une autre vie ? Elle lisait le goût de l’aventure dans les yeux de Io, un appel de l’inconnu et du danger qu’elle était tentée de partager…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Kasei ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0