Chapitre XIV.5

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Quand ils arrivèrent dans le hall de l’immeuble, ils s’empressèrent de franchir les portes. Il n’y avait plus d’humains en vue ; apparemment, ceux qui avaient compris qu’il valait mieux sortir étaient tous partis. En revanche, nombre d’animaux étaient encore dehors, tout autour de l’immeuble : la bataille faisait rage entre eux et une armée de robots qui était venue prendre d’assaut le bâtiment.

Les deux humains et Imalbo se tenaient sur le seuil des portes avec Kryël ; les quatre tigres étaient restés à l’intérieur. Ils voulurent se précipiter vers les animaux qui pourraient les emmener vers l’entrée des souterrains, mais ils n’eurent pas fait un pas qu’une dizaine de bêtes ailées s’abattirent devant eux, raides mortes. Ils levèrent aussitôt la tête : une énorme machine était responsable du carnage, et descendait lentement, pour finalement venir se poser dans la cour de l’immeuble, juste devant eux, dans un vacarme métallique aussi assourdissant que menaçant.

Io et Imalbo étaient restés bouche bée devant ce monstre : gigantesque, il se tenait fermement sur quatre énormes pattes, fléchies pour conférer à la machine une stabilité et une puissance sans pareils. Le corps de métal que supportaient ces pattes pouvait d’ailleurs aussi reposer sur quatre roues impressionnantes, qui lui permettraient de se déplacer à une vitesse phénoménale, sans que nul ne puisse lui échapper. Mais d’aussi colossaux moyens de déplacement ne semblaient guère nécessaires, tant l’armement du monstre était effrayant : des canons pointaient de part et d’autre de l’espèce de cabine supportée par les pattes, une sorte de disque épais, tel une horrible soucoupe volante d’où émergeaient deux énormes yeux mobiles, en plus d’un autre dans le dos, qui servaient à renseigner les divers outils de torture, scies, rasoirs géants ou roues dentées, sur la cible dans laquelle ils devaient trancher vif. Le tout était d’un gris métallique brillant mais assombri par une aura de mort qui dans tout cœur de chair engendrait la haine et la terreur envers une telle machine à tuer.

Et cette machine à tuer faisait face aux humains ; ils ne savaient pas si elle regardait l’immeuble ou eux, mais ils étaient sur son chemin, et nul doute ne pouvait subsister sur ses intentions envers les êtres de chair et d’os, après que les deux énormes roues dentées, telles des mandibules démoniaques, se soient mises à tourner dans un sifflement de cauchemar.

Io et Imalbo se sentaient bien seuls face à l’ennemi : les animaux étaient tous pris dans des combats mortels contre la multitude de robots qui avaient cerné le bâtiment ; et si beaucoup avaient aperçu l’imminence du danger, ils ne pouvaient rien faire, à part redoubler leurs terribles coups de crocs, pour pouvoir au plus vite prêter main forte à leurs alliés. Mais pour l’instant, le seul animal à même de combattre le monstre était le petit Kryël ; et même s’il n’avait peur de rien il avait bien conscience de son impuissance envers toute cette ferraille. Alors les hommes firent face, et pointèrent leurs armes vers le tas de métal. Il y eut des éclairs aveuglants, quantités d’explosions, une épaisse fumée monta du monstre, l’enveloppant de brouillard. Qui se dissipa pour refaire apparaître un métal dont l’éclat n’avait pas été altéré le moins du monde.

« On se taille ! » hurla Imalbo. Ils eurent à peine le temps de courir se jeter à terre chacun à un coin de l’immeuble, Io entraînant Féhna et la protégeant tant bien que mal, que dans un rapide mouvement le robot tourna sur lui-même, pointant deux de ses canons latéraux vers la porte qui abritait les humains avant qu’ils ne s’en sauvent. Il y eut un bruit de tonnerre, une violente onde de choc, et tout un pan de la façade de l’immeuble s’écroula, réduite en poussière.

Les humains pensèrent alors qu’ils allaient mourir, car il suffirait au monstre de tourner ses canons de quelques infimes degrés pour les réduire à néant eux aussi. Mais le vacarme de l’explosion avait fait comprendre aux animaux ce qu’ils devaient faire pour que la cour de l’immeuble ne se transforme pas en un champ fumant de corps ensanglantés : prenant des risques fous, la moitié d’entre eux coururent vers le grand robot, laissant les autres submergés par le nombre affronter les unités d’assaut.

Et le grand robot les vit, avec son œil dans le dos : il se détourna des humains pour leur faire face. Il tenta de faire feu sur la meute en furie qui fonçait vers lui, mais cela ne fit que donner aux humains le temps de se réorganiser : car les animaux évitèrent tous les tirs, sautant à droite, à gauche, sans à peine ralentir dans leur course. Seul un des énormes lions qui avaient servi de montures fut blessé, atteint par des projections de roche, et poursuivit en boitant.

Le monstre fut ainsi rapidement rejoint, et encerclé. Et alors commença le carnage : les animaux ne sachant rien du comportement de leur adversaire, beaucoup se firent dépecer par les lames aiguisées qui fendaient l’air de toute part. Puis ils commencèrent à réagir, et les plus adroits d’entre eux parvinrent à demeurer au contact de l’ennemi tout en évitant ses redoutables armes. Ils pouvaient alors décocher de furieux coups de dents ou de griffes dans les flancs de métal ; mais sans parvenir jamais à entamer une pièce maîtresse, ou à causer des dégâts importants.

« Il faut faire quelque chose ! hurla Imalbo par-dessus le tumulte, alors que les trois humains s’étaient regroupés à l’abri des débris de l’immeuble. Quelques décharges électriques bien placées devraient pouvoir les aider… Ils finiront par l’avoir, je pense, mais ils ne sont pas encore assez nombreux pour se permettre de subir d’aussi lourdes pertes !

— N’y vas pas ! le retint Io. Tu n’as pratiquement rien pour te protéger. J’ai mon armure, et c’est donc à moi d’y aller, je pourrai au moins survivre à un tir de laser. Toi, reste ici et protège Féhna. »

Avant qu’Imalbo ait pu répondre quoi que ce soit, Io s’était élancé par-dessus les débris, en compagnie de Kryël voletant au-dessus de sa tête, prêt à tout. Dans le vacarme, il n’entendit pas Féhna lui crier de revenir.

Quand Io arriva auprès du robot, plusieurs animaux étaient parvenus à monter sur son dos, et il bougeait dans tous les sens, secouant ses pattes puissantes pour les renverser et empêcher les autres de les rejoindre. Io profita du tumulte pour se jeter dans la bataille ; les animaux lui frayaient un passage pour qu’il puisse arroser d’énergie électrique les pieds du monstre, et tenter de le faire tomber. Mais le blindage était trop épais, et l’arme de Io inefficace. Il se retrouva alors en plein dans le carnage, sans arme pour se défendre ou se protéger ; les énormes roues dentées le rasaient de près. Soudain, le robot fit un mouvement plus brusque que les précédents, et un fauve fut éjecté de son dos ; il roula sur le sol, assommé, avant de venir heurter Io, qui fut projeté vers une lame tournoyante qu’il ne parvint à éviter qu’en se jetant ventre à terre entre les quatre pattes de métal, juste sous le corps du monstre.

Ce dernier ayant repris ses grands mouvements saccadés, les pattes bougeaient frénétiquement, et Io, s’il était momentanément à l’abri de certaines des lames affûtées, devait lutter pour ne pas se faire écraser. Alors que sa position devenait de plus en plus précaire, et qu’un choc dans son dos l’avait fait tomber à genoux parmi la poussière, une idée lui traversa l’esprit : il prit son arme à deux mains, son courage de la même façon, et plongea entre les deux colonnes de métal de l’arrière du monstre, se retournant pour effectuer une longue glissade le long du sol ; sur le dos, il visa soigneusement, et verrouilla son arme sur l’œil dorsal de l’ennemi avant de presser la détente, libérant une roquette explosive qui atteignit la cible en plein centre, pulvérisant les précieux capteurs optiques.

Essouflé, Io vit comment les animaux, une fois qu’ils eurent compris les effets de l’explosion, surent prendre avantage de la situation : ils se ruèrent tous derrière le robot, et bien que celui-ci ne cesse de tourner sur lui-même pour tenter d’apercevoir ses adversaires, ils parvinrent à rester dans son dos, et à si bien s’acharner sur les pattes arrière qu’ils finirent par en briser une, en taillant avec leurs crocs dans le métal comme dans de la chair.

Le robot ne tomba pas, mais il fut contraint de replier ses pattes inutilisables et de descendre ses roues. Il pouvait toujours se déplacer grâce à elles, mais ses mouvements était considérablement réduits, il lui fallait une éternité pour faire demi-tour : les animaux furent sans pitié, et profitèrent au maximum de la faiblesse de leur adversaire, continuant à s’acharner sur son dos aveugle, arrachant les couches de blindage avant d’entamer les câbles électriques. Même le petit Kryël se rendait utile, voletant autour des deux yeux mobiles et paralysant encore le tas de métal vivant, le gênant et l’énervant tant qu’il semblait à peine contrôler ses mouvements en essayant d’échapper à l’infernale boule de poils rouges, qui ne manquait pas d’ailleurs de croquer à pleines dents dans les grands yeux quand l’occasion se présentait.

Enfin, il y eut un grand « clac ! » suivi d’un éclair bleu scintillant, très bref, qui parcourut tout l’arrière de la machine avant que les deux roues arrières ne se bloquent. Le robot bougeait encore, mais ne décrivait plus que des cercles sur lui-même, sans plus jamais changer de sens, tel un automate détraqué. Les animaux alors se ruèrent sur lui une dernière fois, arrachant les lames et les roues dentées, détruisant les scies, les lasers et les canons pendant que Io, qui s’était relevé, faisait feu partout où la couche de blindage avait été perforée. Cela ne dura pas très longtemps : il y eut un autre « clac ! », suivi du même éclair, qui immobilisa cette fois les roues avant, puis une toute petite explosion, plus semblable au bruit d’un ballon qui se dégonfle, libéra une épaisse fumée noire de la tête de métal, et la machine s’éteignit.

Io retourna auprès de Féhna, pour s’assurer qu’elle n’avait rien, et elle le serra fort dans ses bras, tellement elle avait eu peur qu’une des horribles lames ne l’atteigne.

Les unités d’assaut avaient pour la plupart elles aussi été mises en pièces ; quand les fauves qui s’étaient occupés du grand robot revinrent vers elles, la victoire fut vite remportée. Mais les animaux avaient bien d’autres exploits à accomplir, et devaient prendre soin de leur forêt : les humains allaient continuer seuls. Trois lions noirs les accompagnèrent toutefois, les remmenant à toute allure vers l’intérieur de la ville, avec bien sûr Kryël, et deux dragons bleus qui restaient dans le ciel pour prévenir tout danger, et croquer quelques abeilles.

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