Chapitre XVII.6

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Io voulait profiter de la stupeur générale pour s’éclipser avec Féhna, laissant les autres humains à leurs pensées, qui aboutiraient peut-être, pourquoi pas ? Même si ce serait vraiment une première que de voir une foule réfléchir dans le bon sens.

Mais ils ne partirent pas : le volume de toutes les télés avait soudain doublé, c’était l’heure des informations. Les Citoyens se regroupèrent sous les écrans, immobiles, silencieux. Io ne pouvait plus partir discrètement en marchant parmi tous ces hommes assis ; et il voulait les voir réagir.

Pas de présentateur ; les infos ne commençaient pas comme d’habitude.

« Citoyens ! annonça une voix, mâle et tranquille, rassurante. Nous sommes entrés dans une période de troubles. Une nouvelle armée du Réseau vient d’être anéantie avant même sa sortie de l’usine, retardant encore une fois la libération de votre ville. L’ennemi est plus perfide qu’on ne le pensait : il est diablement malin, et a profité d’informations qui n’auraient jamais dû lui parvenir. C’est pourquoi nous devons tous, encore plus que jamais, rester unis et vigilants face au danger. Personne ne pourra jamais aller à l’encontre de la volonté de plusieurs milliards d’humains, si cette volonté est unique, universelle, et forte ! Aussi le Réseau tient-il à vous faire savoir, une fois de plus, qu’il compte sur vous : il délivrera la ville, mais c’est à vous, Citoyens, qu’il appartient de tenir jusque-là.

» Les tentations en effet sont grandes pour vous, et c’est ce qui rend la lutte noble. Le Réseau est obligé de concentrer son attention sur ses armées et ne peut plus toujours vous soutenir ; qui alors ne songerait à sombrer dans le désespoir, se croyant abandonné et rejeté de sa fidèle Société ? Qui ne serait pas tenté par un meilleur lendemain pour lui seul, quand lutter pour le bien commun devient si dur ? Le Réseau ne peut plus être constamment à vos côtés, mais il sait que jamais vous ne céderez aux ennemis de la Société qui vous poussent à relâcher votre vigilance ; le Réseau vous fait confiance, Citoyens, car il sait combien vous en êtes dignes ! Tenez bon ! »

Il y a des regards qui savent se faire de glace ; quand il s’agit des regards de toute une salle comble, cela devient pesant. Les infos reprenaient normalement, mais sitôt le message de propagande terminé, toutes les têtes se tournèrent vers Io et Féhna, qui eurent vite fait de comprendre que le Réseau avait gagné une fois de plus. Heureusement, ils étaient près de la porte, et purent ainsi échapper à la vingtaine de Citoyens, hommes et femmes, qui se jetèrent à leurs trousses.

Dehors, ils retrouvèrent Imalbo, avec Kryël, qui furent plutôt surpris de les voir ainsi accompagnés ; ils détalèrent, leurs poursuivants sur les talons. Heureusement, les Citoyens n’étaient pas armés ; et quand le groupe de fuyards se réfugia dans la forêt, nul n’osa les suivre. « Le Réseau saura punir les traîtres et les lâches ! » entendirent-ils alors qu’on renonçait à leur capture.

« Tu penses que c’est à cause de nous que le Réseau a envoyé ce discours ? demanda Féhna à Io.

— Non, je ne pense pas. Pour moi, il est évident que le Réseau est conscient de la nécessité absolue qu’il a de garder le soutien de la population. Les animaux ont l’air d’avoir suffisamment paralysé les communications pour que la surveillance du Réseau soit très limitée ; ce n’était qu’un message d’une propagande qui doit en ce moment être très fréquente.

— Les convaincre ne sera pas aisé. »

Ils décidèrent de rester sous le couvert des arbres pendant quelque temps, et de profiter de la situation pour explorer un peu le monde des animaux.

« Et puisque vous n’avez pas vraiment tiré beaucoup d’informations des humains, dit Imalbo, on se renseignera auprès d’eux. Il y a une race de petites créatures ailées qui se chargent de regrouper les renseignements, et qui assurent la communication entre beaucoup d’espèces, notamment entre les guerriers au sol et les tacticiens dans les airs.

— Mais comment les comprendrons-nous ? demanda Io.

— Kryël nous servira d’interprète.

— Il sait parler ? Io n’en croyait pas ses oreilles.

— Oui. C’est juste qu’il n’aime pas ça : il trouve que le langage des humains fait mal à la gorge et lui picote la langue. A part cela, il apprend très vite et il nous comprend de mieux en mieux ; c’est dommage qu’il ne consente à parler qu’en cas de nécessité absolue. Sacré fripouille, va ! »

Kryël voletait autour d’eux en ricanant, content de montrer des talents aussi bien cachés, et heureux aussi de se retrouver dans son élément, dans sa forêt. Il faut dire qu’il avait jusque-là été assez difficile de le nourrir : la pauvre bête refusait toute viande, et n’acceptait seulement que quelques plantes, si bien que les elfes avaient eu du mal à lui remplir la panse. Mais ici, il grignotait des feuilles à droite à gauche, et ne tarda pas à quitter le groupe pour dévorer à pleines dents les fruits ultra-nourrissants avec lesquels la forêt parvenait à maintenir les forces de tous ses protégés.

« Laissons-le, dit Imalbo. Il saura nous retrouver plus tard. »

Le petit groupe s’avança donc parmi les végétaux, explorant le fabuleux monde qui s’était installé là en si peu de temps, et dont tout un futur dépendait. Les troncs des grands arbres étaient assez espacés, si bien qu’ils auraient dû permettre de circuler avec aisance ; mais les feuillages de ces mêmes arbres étaient si touffus, les branches si fortes et les feuilles si énormes, qu’il fallait courber le dos pour avancer, tout en se frayant un chemin entre les buissons qui poussaient un peu partout et étaient aussi touffus et résistants que les grands arbres. En revanche, malgré la difficulté pour les humains de progresser, la forêt n’avait absolument rien de menaçant, d’agressif ou de dangereux. C’était comme un havre de paix parmi la ville de béton et de bruit. Tout y était merveilleusement beau ; et si les feuilles étaient en majorité vertes, jaunes ou rouges, les fruits et les fleurs qui recouvraient jusqu’à la plus petite plante présentaient aux yeux ébahis toutes les couleurs du spectre, dans une harmonie magique. Malgré l’enchevêtrement des végétaux, la lumière baignait tout ; il y avait aussi, comme ils purent le découvrir à plusieurs reprises, de belles clairières, et c’était alors comme la joie au milieu du bonheur, un surplus de magie où les animaux fatigués reconstituaient leurs forces et leur courage.

Il y avait beaucoup d’animaux dans la forêt, mais ils savaient que ce n’était qu’un petit nombre en comparaison de ceux qui étaient partis se battre. Ceux qui étaient ici étaient surtout les mères élevant leurs petits, des petits qui gambadaient partout sous le couvert des arbres, mais qui cesseraient très vite leurs jeux pour affronter la ville. Il y avait aussi des blessés, qui pendant qu’ils se reposaient étaient chargés d’apprendre aux petiots comment réagir face aux robots ; des stratèges massifs et poilus préparaient les grandes batailles à venir, et des lézards-espions accouraient de partout pour les tenir au courant de leurs découvertes. Enfin, il y avait aussi les magnifiques guerriers, les grands lions et les dragons, qui ne pouvaient se nourrir que dans leur chère forêt, et y passaient la nuit avant de repartir à l’aube.

Curieusement, nul ne semblait trop s’intéresser aux humains ; on les évitait poliment. Pourtant, ils auraient pu être des espions, et Io avec son énorme armure un mercenaire du Réseau ; ils marchaient cependant sans être inquiétés.

En fait, ils étaient étroitement surveillés, sans qu’ils s’en rendent compte. Aussi n’eurent-ils pas à chercher les responsables de la communication, se furent ces derniers qui vinrent à eux. Imalbo avait été reconnu par plusieurs anciens, il n’y avait donc pas de problème ; mais Kryël n’était toujours pas revenu.

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