Chapitre II

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Au fond cette histoire est sans doute pas si intéressante que ça. C’est vrai, et il faut être honnête ça ne rime sans doute à rien de la raconter.

Mais peut être que quelqu'un saura en tirer quelque chose. Peu importe, de toute façon, la voilà :

Paul. C’est mon prénom. Je ne sais pas qui a eu l’idée de m’appeler ainsi. Mon père ? Ma mère ? Bref..

Je ne vais pas ici raconter toute ma vie, non certainement pas, ça serait trop long, et sans aucun doute trop ennuyeux. Il n’y aura que quelques moments, des instants choisis. Bien sûr il manquera quelques détails, et tout ne sera pas tout à fait conforme à la réalité mais ça devrait être largement suffisant pour comprendre, pas d'inquiétude. Ça ira, oui, tout ira bien…

Bref, c’est l’été, un été particulièrement chaud d’ailleurs. J’en veux pour preuve tous ces médias ne faisant que relater la hausse des températures, le manque d’intempéries, la canicule et toutes ces conneries dont la majorité des gens se foutent royalement en réalité. Cela dit, n’est-ce pas ce qu’ils font tous les ans ? Sans doute que parler toujours des mêmes sujets présente quelque chose de rassurant pour le commun des mortels. Et quoi de plus banal que parler de la météo…

Passons… Me voilà en terrasse d’une brasserie plutôt branchée. L’endroit est propre, sans doute un peu trop d’ailleurs, le service est impeccable et c’est plutôt agréable, mais j’aime quand les choses ne sont pas parfaites, pas lisses.

Je suis le mec assis là en plein soleil, mes Wayfarers sur le nez, en train de fumer une clope, une Camel certainement, ça n’a pas beaucoup d'importance. Je scrute la tasse de café fumante posée sur la table devant moi et je me demande pourquoi j’ai commandé ça. Il fait trop chaud pour boire du café, même si la nuit atroce que je viens de passer tente de me persuader du contraire.

Pour être tout à fait franc, il n’est peut-être pas judicieux de commencer l’histoire ici, c’est même sans doute une incroyable connerie de “la commencer” tout court. Mais peu importe, oui peu importe.

Je bois mon café, je fume, et je patiente. Difficilement, à vrai dire, parce que la patience n’a jamais vraiment été mon truc. Sans cesse, je scrute l'heure sur l'écran de mon téléphone portable, et sans cesse je soupire, exaspéré de ne pas voir arriver mon rendez-vous. Et j'en suis à mon troisième café, et je me dis que ce mec en retard va réussir à m'énerver pour toute la journée. Je lui envoie un SMS, pour lui demander ce qu'il fout, et je n’obtiens aucune réponse, alors je me dis qu'il ne viendra plus. Et peut-être ne lui ai-je pas précisé la bonne heure, ou la bonne adresse, ou plus probablement, peut-être ai-je complètement oublié de donner ce rendez-vous.

Je laisse quelques pièces sur la table afin de payer mes consommations et quitte les lieux d'un pas rapide, et passablement énervé. Encore du temps perdu !

__________

Mon père m'appelle sur mon téléphone mais je ne veux surtout pas répondre. Il laisse un message que je n'écoute même pas. Je suis confortablement installé sur un transat de la terrasse, torse nu, je profite des derniers rayons de soleil de la journée. Cette journée passée à ne rien faire me déprime. Je me sens con de perdre mon temps comme ça... mais je n'ai pas la motivation de réellement me bouger.

J'ai envie de voir quelqu'un ce soir, envie surtout de passer un moment agréable avec un mec canon. J'attrape mon téléphone, et dans le répertoire m'arrête devant le prénom de "Sacha". J'ai un instant d'hésitation. Et finis par composer le numéro.

-Ouais... Me répond une superbe voix.

-Sacha ! C'est Paul. Tu vas bien mec ?

-Paul ? Ça va oui... Mais... Ça fait quoi... Plus de deux mois la dernière fois qu'on s'est vu... J'avais espéré avoir de tes nouvelles avant.

-Ouais disons que j’étais très occupé. Mais là je suis en vacances ! C'est bon, j'ai du temps libre ! Je réponds d'une voix que je veux super chaleureuse.

-Tellement occupé que tu pouvais même pas répondre à mes appels ni mes SMS ? Il demande sceptique.

-Mec je te dis j'étais vraiment trop overbooké ! Rien de personnel, juste que réellement je n'avais aucun instant à consacrer à qui que ce soit !

Même à mes propres oreilles cela sonne faux.

-Mouais... Il finit par répondre.

-Et tu vois là ! Dès que j'ai un moment qui j'appelle ? ... Mais toi mec ! J'avais très envie de te voir !

-Vraiment ?

-Bien sûr !

-J'ai un peu l'impression que tu te fous de ma gueule Paul.

-Mais non, arrête tes conneries ! Alors ça te dit que je passe ? On passe la soirée ensemble... La nuit même si t'en as envie. Ça me ferait plaisir de te voir... vraiment !

Un silence qui semble s'éterniser des heures... Je n'ose plus rien dire... Et finalement Sacha me dit de venir de suite avant de raccrocher rapidement. Parfait !

__________

-Cette nuit j’ai fait un rêve étrange. J’allais être exécuté pour un meurtre que j’avais pas commis. Et tout ça sans aucun jugement, sans l’ombre d’une preuve. Alors c’est débile bien sûr, c’est un rêve donc oui c’est débile évidemment. Mais je tentais de me révolter, d’expliquer que j’étais innocent, mais personne s’en préoccupait ! Je me suis réveillé avec une putain d’angoisse !

Je l’observe et elle fait de même, son regard est braqué sur moi, elle me scrute par-dessus ses lunettes rectangulaires. Et je me pose la question de savoir si elle se rend compte que cette histoire de rêve, je viens tout bonnement de l’inventer.

-Ça veut dire quoi ? Je finis par demander tentant d’afficher une mine sincère sur mon visage.

-Sans doute pas grand-chose. Tu ne viens pas me voir pour que je tente d'interpréter tes rêves Paul. Sinon... Les choses s'améliorent depuis quelque temps ?

Je crois que je n'ai pas envie d'être là. Non j'en suis sûr je n'ai pas envie d'être là. Elle doit s’en rendre compte et c’est pour ça qu’elle m’observe d’une manière si sévère. Je suis affalé sur le fauteuil et je fixe le lacet défait d’une de mes converses, et je me dis que je devrais tout simplement me pencher et renouer ce lacet, mais la motivation me manque, la moindre de mes émotions me dit : “à quoi bon ?”

-Ouais ça va mieux, je dis, sans vraiment y penser.

-La dernière fois tu m'avais parlé d'un sentiment de... solitude.

-J'ai dit ça moi ? Je réponds sur la défensive.

-Oui. C'est écrit là dans mes notes, et si je l'ai écrit dans mes notes, c'est que tu l'as dit.

Qu'est-ce qu'elle a cette thérapeute à toujours me tutoyer. L’endroit est extrêmement laid. Il y a des bibelots partout, le papier peint est immonde, le tout est particulièrement oppressant, et je ne m’y sens pas à mon aise. Ce qui maintenant que j’y pense semble particulièrement contradictoire avec la raison pour laquelle je suis ici...

-Oui, j'ai peut-être dit ça… je finis par avouer.

-Tu l'as dit, c'est certain.

-Bref... Ouais, c'est toujours d'actualité. Enfin vachement moins quand même. Disons que parfois... Le soir notamment quand je suis chez moi. J'aimerais voir du monde, faire des trucs avec du monde.

-Du monde ? C'est à dire avec des amis ? Ou bien une seule personne, proche de toi... Voire très proche, suffirait ?

Je l'observe du coin de l'oeil. Cette vieille peau arrive toujours à taper dans le mille.

-Non... Oui... Je sais pas trop... Je pense que pouvoir sortir avec des amis plus souvent me plairait.

Je m'en sors bien là.

-D'après toi ? Tu parviens facilement à créer des liens d'amitiés avec les autres ?

Connasse !

-Ouais... Bien sûr.

-Développe.

-Je suis un mec cool. Tout le monde m'aime bien. Tout roule !

-La dernière fois tu...

-Oh oui ! Je me souviens ce que j'ai dit la dernière fois !

Elle me lance un regard interrogateur.

-Je vous ai dit que je n'avais pas d'amis... enfin, très peu.

-Oui. D'où ma question de savoir si tu parviens à te lier facilement d'amitié avec les autres.

-Vous voulez m'entendre répondre "non" à cette question ?

-Je ne veux rien de particulier, mais cela expliquerait peut-être pourquoi tu te sens seul.

-Vous êtes vraiment sûre que j'ai dit me sentir seul ?

-Paul...

-Bon... Ok. Depuis... Depuis... Vous savez...

-Oui je vois continue...

-Et bien depuis ça... Je dois dire que c'est comme si j'avais changé. J'ai bien plus de mal qu'avant pour... me lier...

-Tu es intimidé ? Tu as peur d'aller vers les autres ?

-Ouais c'est ça ! Je dis. Sachant pertinemment que cela n’est pas la vraie raison.

__________

Quand je sors du cabinet de cette sorcière, je tente d'appeler Clay et ça ne répond toujours pas.

Alors je me rends directement chez mon père, et j'appréhende cette soirée. Et même la voix de Bowie dans les oreilles ne m'aide pas à me donner la dose de courage qu'il faudrait.

Il est presque 19h lorsque je me présente devant le bâtiment où il vit. La boule au ventre, je ne me souviens plus du code pour la porte d'entrée de l'immeuble. Je me demande d'ailleurs si je ne l'ai jamais connu. Pas envie de l'appeler à l'interphone, je me grille une clope en espérant que quelqu'un de l'immeuble passera et pourra m'ouvrir la porte. Mais seulement voilà, personne ne vient. Alors j'appuie sur le bouton en face de son nom. Et sa voix me provient complètement déformée au travers de l'appareil. Une voix effrayante.

-C'est moi... Je dis doucement.

-T'es en retard. Monte !

"Désolé" je dis alors qu'il ne peut plus m'entendre et que je pénètre à l'intérieur. Et là j'ai un moment d'arrêt... Escaliers ou... J'appuie sur le bouton d'appel de l'ascenseur. Mais je finis par monter les marches d'un pas lent, espérant ainsi repousser le moment de la rencontre. Mais j'arrive trop rapidement au troisième étage, la porte de son appartement est déjà ouverte, et j'entends sa voix qui me dit d'entrer alors que je frappe. Je me glisse à l'intérieur, tout est blanc, trop blanc, et je débouche dans le salon, il y fait une chaleur insoutenable, et j'entends du Bach sortir de la chaîne hi-fi et je me demande ce que je fous là. J'entre dans la cuisine et je vois mon père occupé à découper divers aliments. Je vais encore servir de cobaye à ses nouvelles recettes, et ça m'angoisse un peu. Je lui dis bonjour et il ne me répond même pas.

Mon père est un type brillant. Du moins c’est ce que tout le monde s’accorde à dire. Je le considère personnellement plutôt comme un homme froid, calculateur, essentiellement concerné par sa carrière et sa réussite. Alors j’imagine que pour lui c’était important que mon frère et moi réussissons nous aussi. Mais réussir quoi ? Et j’ai bien essayé mais je n’arrive pas à comprendre ce besoin qu’il a de nous voir tout entreprendre et briller par nos exploits.

Je me considère déjà particulièrement chanceux de surmonter tant bien que mal mes problèmes.

-Je suis en retard... Excuse-moi.

-Oui en effet. Il dit sèchement en jetant un regard vers moi. Bon... L'important est que tu sois là. La dernière fois...

-S'il te plaît, Papa... Je lui coupe la parole tentant de ne pas avoir une voix trop effrontée. Ne parlons pas de la dernière fois.

-Comme tu voudras.

La musique change, passant à Strauss, et j'ai l'impression d'être au concert du nouvel an.

-Comment va ta mère ?

En a-t-il seulement quelque chose à faire de ma mère… Quel est l'intérêt de divorcer si c’est pour demander des nouvelles sans cesse. Ou bien est-ce que c’est un moyen de me faire chier, ou bien de meubler la conversation, peut-être avons-nous tellement peu de chose à nous dire, et tellement peu en commun, que c’est bien le seul sujet qui nous lie encore un tant soit peu, ma mère… Quelle angoisse.

-Aucune idée... Je dis sans réfléchir.

-Comment ça aucune idée ? Tu ne vis plus avec elle ?

-Si... On ne parle pas beaucoup en ce moment.

De nouveau ce regard... Celui-là même que je n'ai jamais réussi à déchiffrer. Et ce silence, ce mec a le don pour placer des silences... Gênants... Je ne vais peut-être pas survivre à cette soirée finalement.

On s'installe tous les deux à table, et au moment où je me demande à quoi rime cette mascarade, il me demande comment se passent mes études. Et comme je ne peux pas décemment lui dire que c’est bien là le dernier de mes soucis, je lui réponds en toute simplicité que “tout va bien”. Cette réponse semble lui convenir, et encore une fois je suis impressionné par sa capacité à ne rien en avoir à foutre de ma vie. Il nous sert à tous les deux un verre de vin, et je m’empresse d’y tremper mes lèvres sous l’oeil inquisiteur de mon père, tellement fier de sortir ses grands crus, et tellement triste de ne pas me voir en profiter comme il se doit.

-Tu as vu le match hier soir ?

Je ne suis même pas sûr qu’il attende réellement une réponse à cette question, mais je lui dis que non.

-Dommage, il me dit après avoir bu une gorgée de vin. C’était un bon match.

Se rend-t-il compte que je me contrefous des résultats de son équipe favorite.

L’ambiance est pesante, comme à chaque fois que nous sommes réunis seulement tous les deux. A force, je n’y fais plus vraiment attention, mais je ne peux pas dire que ça ne m'attriste pas, cette impression de dîner en tête à tête avec un parfait inconnu.

Je ne l’écoute qu’à moitié, les yeux fixés sur mon verre. J’ai à ce moment précis très envie de fuir de cet endroit, mais je ne le fais pas, surtout pas… Toujours paraître bien, en forme, fort. Ne jamais laisser entrevoir la moindre émotion.

-T’as des nouvelles de ton grand frère ?

-Non. Je réponds simplement.

-Sa copine est enceinte. Il dit d’une voix dure comme s’il annonçait un drame.

-Oh. Oui, si, il me l’a dit. Et… C’est pas une bonne nouvelle ? je demande.

-Si sans doute… Mais je n’ai toujours pas compris pourquoi ils ne se mariaient pas.

-Pour quoi faire ?

-S’il l’aime ? C’est mieux de se marier.

-Il n’a sans doute pas besoin de ça pour lui prouver qu’il l’aime.

Je me retiens de lui dire que son mariage à lui n’est pas un modèle de réussite, je finis mon verre d’un trait, je n’ai pas envie de parler de ça avec lui mais je sais pertinemment que mon père a du mal avec Manon la copine de mon frère, alors qu’elle et moi nous apprécions beaucoup. De plus parler de mon frère que je n’ai que trop peu l’occasion de voir me rend nostalgique et triste. Je mange sans plaisir, et me contente d’échanger des banalités avec mon père. Je remarque qu’il boit beaucoup, et je suis ravi de faire de même. Pas de dessert, pas de café. Ce fut rapide, avant que je parte il m’annonce qu’il a été heureux de me voir, j’aimerais lui dire que ce n’est pas l’impression que cela donne, mais je lui dis juste que moi aussi… j’ai été heureux de le voir.

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