X. Des fenêtres ouvertes
IdéaI
J’avais encore le goût de ses lèvres sur les miennes, le feu dans les joues et le désir qui me brûlait le bas-ventre quand elle a décidé de reprendre la route. Enfouie dans le grand siège de ma voiture, elle m’a paru si frêle tout à coup. Elle fixait le décor par la vitre, sans vouloir me regarder et déjà ses yeux posés sur moi me manquaient. J’ai roulé sans prévoir de destination, pour que le temps passé avec elle ne s’arrête pas.
Sur la route, elle n’a pas dit un mot. Le silence nous entourait de sa chaleur. Il y a des silences qui provoquent la gêne, d’autres, le désir. Dans ma tête se bousculaient des mots, des idées, des images, pourtant, mes lèvres se sont tues.
- Quels sont tes plans ? m’a-t-elle demandé, m'éloignant soudainement de toutes mes images imaginaires.
- Mes plans pour quoi ? Pour ce soir, enfin, plutôt, cette nuit ?
T’embrasser encore, songeai-je.
- Non, pour la vie. Pour ta vie.
- Mmh. Je veux juste être heureux, ai-je soufflé.
- Réponse facile, s’est-elle moquée.
- Réponse sincère !
- Je te l’accorde. Alors comment tu comptes t’y prendre ? Une belle maison, une belle voiture, une belle femme ?
- Mmh. Je veux juste déjeuner les matins. Mes parents sont tellement pressés par le boulot qu’ils n’ont jamais eu le temps de le faire. C’est ça le bonheur, un café, des croissants et avoir le luxe de s’accorder du temps pour soi.
- Il me plaît plutôt bien, ton plan.
- Je veux continuer à écrire, aussi.
- Ça te fait quoi, d’écrire ?
- Ça me démange. Ça me défoule. C’est mon moment de bonheur. De liberté. Me décharger de tout, dans les pages d’un bouquin. Romancer les passages de ma vie qui ne le sont pas assez à mon goût. Jouer avec les mots pour trouver ceux qui traduisent parfaitement une émotion, une ambiance, une idée. C'est une extase.
- Il faut que je t’avoue que j’ai bien envie de te lire. Tu te vends assez bien.
- J’ai quelques exemplaires dans mon coffre, je t’en donnerai un.
- Marché conclu.
- Et toi petite, quels sont tes plans ?
- De grandes fenêtres. Énormes. Et toujours ouvertes.
- Je le signalerai à notre architecte.
Alors que je roulais sans destination, me laissant guider depuis de longues minutes par la nuit, elle a soudainement et brusquement rebondi du siège :
- Passe par là, s’il te plaît !
- Là ? A gauche ?
- Oui, devant la pharmacie, je voudrais juste aller au bout de la rue.
On s’est arrêté devant une grande villa qui semblait abandonnée. Vétuste. Dans l’allée, quelques morceaux de volets cassés trainaient par terre, entre plusieurs déchets. Du bois, du verre brisé, et des sachets de nourriture pour chien. La boîte aux lettres débordait de courriers et une plante avait même commencé à s’y installer. Quel taudis. Elle est sortie du véhicule pour s’approcher d’une autre voiture dont des coups avaient ondulé la tôle sur chaque flanc et où des griffes avaient retiré une bonne partie de la couleur. Aïe . Enjambant les déchets sur son chemin, elle a passé sa main doucement, frôlant les roues et le moteur, semblant vouloir vérifier si la vieille machine avait été mise en marche récemment. Que fais-tu, petite ? La rue était complètement déserte, seule la lune pouvait l’éclairer dans cette nuit bien entamée. En revenant sur ses pas, du haut de ses talons qui se frayaient toujours un chemin dans les décombres et prenant son air le plus distingué, elle a adressé deux doigts d’honneur en direction des maisons voisines.
J’ai ri, seul dans ma voiture.
Je n’ai aucune idée de ce que tu fais, petite. Tu avais raison, je ne te connais pas et j’adore ça.
Ses mains tremblaient lorsqu’elle est remontée dans la voiture et lorsqu’elle a vu mes yeux se poser sur elles, elle a feint que le froid avait causé cela.
- Brrr. Quel froid !
- Je vois ça, répondais-je, de manière complice.
- Merci pour..., elle hésitait, l'arrêt. On peut s'en aller, chef.
Elle m’a souri, de la même innocence et joie de vivre qu’elle l’avait fait durant toute la soirée et mon cœur a voulu exploser à nouveau.
- Vraiment, il est parfaitement flingué ton sourire, petite.
- Arrête de me draguer, m’a-t-elle défiée.
- Je ne peux pas te le promettre.
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