Rencontre
La chaîne d'infos rediffusait en boucle une nouvelle qui me fit bondir sur mes pieds. Enfin ! Notre président avait annoncé le déconfinement et la reprise progressive de l'activité économique ! J'allais pouvoir retourner au bureau et m'en sortir sans avoir complètement perdu les pédales ! Le virus était encore présent, dehors, et je prenais très au sérieux la menace qu'il faisait planer au-dessus de nos têtes. Mais pouvoir sortir à nouveau de chez moi et rester loin de mon appartement durant la journée m'éloignerait de la folie qui me guettait. J'avais quand même imaginé que quelqu'un s'était introduit chez moi, sondant mon âme, et satisfaisant mes désirs, même les plus noirs. Je repensai aux oiseaux morts et mes intestins se nouèrent violemment. Et si c'était elle ? Non ! S'en était assez ! Demain, à six heures, j'allais me lever et reprendre le cours de ma vie là où il s'était arrêté, le 17 mars, il y avait bientôt cinquante-cinq jours. Mes voisins fêtèrent la nouvelle bruyamment jusque tard dans la nuit, et pour une fois je n'en fus pas gêné le moins du monde. Moi, j’étais au lit, heureux et impatient de retrouver mon exigeante et intraitable supérieure ainsi que mes collègues aux vies banales et à l'humour sans saveur.
En plein milieu des ténèbres nocturnes, je fus réveillé par un bruissement léger. Des pas feutrés s’approchaient doucement du pied de mon lit et s'y arrêtèrent. Je n'entendis plus un bruit, et le marchand de sable s'apprêtait à souffler une pleine poignée de son sable sur mes yeux déjà lourds quand je sentis une main se poser sur ma cheville droite. Mes yeux s’ouvrirent aussitôt et mon esprit devint aussi alerte et affûté que celui d'une panthère. Je ne bougeais pas un cil et retenais mon souffle, mais mon cœur lui s'emballa comme un cheval effarouché. Le toucher de la main était celui de doigts fins et légers dont la caresse était tendre mais aussi froide qu'un vent d'hiver. Les doigts pianotèrent sur mon mollet, remontant le long de ma jambe. Une autre main se joignit à elle, plus rapide, plus passionnée. Et une respiration lente. Suave. Comme le souffle d'une épouse éprise de son homme. Elle remonta rapidement de ma taille à ma poitrine et s'y arrêta, accélérant pour s'unir au rythme effréné de mon cœur. L'excitation et la peur que j'éprouvais étaient si fortes que je sentais mon esprit sur le point de céder. Les mains s'activèrent, gagnant en assurance et en fougue, et s'attardaient sur chaque parcelle de mon corps. Mais quand l'une d'elle remonta le long de mon torse et déposa un à un ses doigts autour de ma gorge, la peur prit l'ascendant sur moi. Fini l'excitation. Il n'y avait plus que l'effroi, l'horreur, et le souffle glacial de la Mort sur ma nuque. Je me débattis farouchement et fis mine de crier, mais la main posée sur mon cou me fit taire avant même que le moindre son ne s'échappa de ma bouche. Je sentis un corps svelte, et pourtant incroyablement lourd s'asseoir sur ma poitrine et m'immobiliser. Une main de fer maintenait mon bras droit avec une force inouïe et l'autre m'empêchait de hurler. La terreur rendait ma trachée aussi sèche que du papier et chaque respiration me donnait l'horrible impression qu'on frottait du verre pilé contre ses parois. Le souffle suave se changea en un gémissement glaçant, presque inaudible. Il s'approcha de mon oreille et y murmura d'une voix douce emplie de douleur des mots que j'étais incapable de comprendre. Elle les répéta trois fois, avec la même tristesse. Je tendis mon cou et luttai contre la douleur pour lui dire : "Laisse... moi... en paix, … je... t'en... sup..." Une quinte de toux épouvantable me secoua violemment. Ma respiration n'était plus qu'un râle lugubre et le poids de mon admiratrice infernale m'étouffait. J'allais mourir. Probablement de peur avant que l'asphyxie ne me tue. Un sanglot suraigu retentit dans toute la pièce, je sentis une larme si froide qu'elle me brûla comme un tison ardent tomber sur ma poitrine, et le poids qui me plaquait sur mon matelas s'envola. Ma gorge libérée, je respirais fébrilement, remplissant gauchement mes poumons d'air tel un nouveau-né. Cette fois, je ne cherchais pas à allumer la lumière. A voir. Je n’en avais pas besoin. Ce que j’avais éprouvé était trop intense pour ne pas être réel, peu importe ce qu’auraient voulu en dire mes yeux ou ma raison.
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