Un monde de couleur
Les Terres Ocres au sud, les Terres Nacarats à l’ouest, les Terres Virides au nord et les Terres Safres à l’est faisaient parties de l’unique région connue où la vie prospérait ; du moins, c’était ce que les récits rapportaient. L’ensemble formait un large cercle délimité par une frontière commune, immense rempart de pierre, protégeant les habitants d’un danger inconnu. En effet, dragons et autres bêtes féroces ne s’approchaient guère des villages frontaliers ; les Inutiles, envoyés dans les Carrières de métal, au sud des Terres Ocres, suffisaient largement à les repaître.
Cette capacité d’accueillir les êtres d’Arkos reposait sur un détail qui avait son importance : le grand Arbre. Ce dernier se situait au centre des Quatre Terres et était lié à une source souterraine recueillant son mana et l’irradiant à travers la région. Chaque année, des tributs de chaque contrée étaient offerts en sacrifice au cours d’une cérémonie. Il s’agissait souvent de femmes ou d’enfants malformés, la faim et la maladie étant des maux bien trop durs à chasser. Les échanges étaient rares le reste du temps. Les Hommes avaient appris à survivre et à conserver leurs précieuses ressources.
A ce jour, une étrange particularité n’était toujours pas expliquée. Chaque être et chaque plante prenant naissance dans l’une de ces quatre terres, en arborait la couleur, plus ou moins prononcée. Ainsi, les Ocrelois avaient la peau dorée, les Nacarantes étaient parés de rouge, les Virides prônaient le vert et les Safre, le bleu.
Pigment de couleur perdu dans la noirceur du Monde, chacun était conscient de l’imminence de la Chute. Les Terres Sombres, celles ayant perdu leur arbre sacré, n’étaient plus que sable noir balayé par des vents dévastateurs. Aucune âme ne régnait en ces lieux dont la corruption menaçait la dernière source de mana.
Les premiers grains étaient déjà visibles à l’est, du haut des remparts, signant le début d’une obscure épopée. L’ouest constituait la seule option possible pour fuir, l’océan s’étendant à perte de vue au nord. Une fois que l’aura noire aurait franchi les remparts, les dernières gouttes de mana seraient absorbées en quelques mois seulement. Les êtres humains, animaux et végétaux n’auraient plus aucune ressource à disposition et finiraient par mourir.
Seulement, aucun des quatre rois ne semblait enclin à déclarer le début de l’exode. En effet, l’Ouest constituait une région inconnue, susceptible de contenir des dangers aussi grands que celui qu’ils fuyaient. Certaines expéditions étaient parties depuis longtemps et n’étaient toujours pas revenues. La solution était-elle pire que le problème ?
— Une légende raconte que l’âme est le reflet d’un dieu. Chaque être vit et agit en fonction de ce reflet qui se répercute dans ses gestes, dans ses pensées. Les habitants des Quatre Terres n’ont plus l’usage de la magie comme ils l’avaient dans des temps plus anciens. Ce pouvoir s’est tari, à l’instar de la source qui coule sous nos pieds. On dit que si un Homme parvenait à en boire, il recouvrirait les pouvoirs de ses ancêtres. Mais à l’instant même où l’eau serait portée à ses lèvres, son corps prendrait la forme et la couleur de son âme.
Alysia écoutait avec attention les paroles de son gardien, ouvrant de grands yeux émerveillés à chaque évocation de la magie. Après la mort de sa mère, elle avait été confiée à un volontaire chargé de son éducation. C’était Rän qui s’était proposé, redoublant de bienveillance et d’acharnement pour parfaire les nombreux talents de la petite princesse.
Kalis, son frère jumeaux, avait quant à lui de nombreux domestiques à sa disposition. Les meilleurs savants lui enseignaient tout ce qu’il y avait à savoir, les meilleurs guerriers peaufinaient son entrainement et les vivres essentielles lui étaient réservées. Rän ne voyait pas cela d’un bon œil. Ainsi s’efforçait-il à satisfaire les besoins de sa protégée.
Néanmoins, Alysia devait sans cesse recourir à des stratagèmes répréhensibles. Très tôt, elle avait appris à voler, à tromper et à corrompre. Elle excellait dans l’art de la ruse et parvenait toujours à ses fins. Le roi était le seul juge dans les Terres Ocres, ce qui ne garantissait en aucun cas des sanctions objectives. Il n’était pas rare qu’elle se fasse surprendre à errer la nuit dans les cuisines. Son père lui offrait toujours la plus terrible des sanctions. Elle aurait parfois préféré la mort lors des séances de torture, mais le souverain veillait à la garder en vie. Affaiblir l’héritière illégitime n’était que la face officielle de ces actes de cruauté ; il prenait plaisir à la voir hurler, nourrissant sa soif de violence.
Rän contempla son prodige. Dans quelques jours, le combat tant attendu aurait lieu. Elle était prête, il le savait. Pourtant, il ne parvenait à contenir l’appréhension qui le taraudait depuis plusieurs mois. Il n’avait jamais été aussi près du but. Bientôt, une femme serait sur le trône, il en était convaincu. Toutes ces années de souffrance, forcé à baisser la tête ; c’en était fini. Il jubilait. La jalousie et la soif de pouvoir d’Alysia jouerait en sa faveur. Elle était prête à faire couler le sang de son jumeau.
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