Le jour du combat fut considéré comme une grande fête par les Ocrelois. Les trois autres rois étaient conviés et allaient certainement amener des ressources qui profiteraient peut-être aux villageois. Si l’espoir poussait les Hommes à croire en des jours meilleurs, la faim, quant à elle, les poussait à envisager les solutions les plus désespérées. C’est pourquoi, les rois vinrent bien entourés, protégés par une armée d’environ deux cents hommes chacune.

Les Safréens furent les premiers sur les lieux. Peuple savant, ils avaient amené de nombreuses potions et autres onguents dont le secret était jalousement gardé. Les autres peuples soupçonnaient une réserve souterraine de mana qui prodiguait sa magie aux plantes servant pour les préparations. Les Nacarantes, quant à eux, excellaient dans la fabrication d’outils. Le souverain ocrelois fut étonné de découvrir une étrange machine facilitant la rédaction de lettres. Peuple du nord aux terres verdoyantes, les Virides arrivèrent en dernier, les charrettes emplies de vivres. Les gardes eurent du mal à repousser le peuple qui tentait de s’en emparer.

Alysia observait les va-et-vient incessants des domestiques, l’esprit vagabond. Elle se demandait ce qui se passerait une fois le combat terminé. Son père la traiterait-il avec égards ? Ou bien continuerait-il à la torturer, qu’importe la perpétuité de sa lignée ?

Elle tourna son regard doré vers les Carrières de métal dont elle distinguait la forme se confondant avec la ligne d’horizon. Même nichée sur le toit de la plus haute tour du sud, elle ne parvenait à voir autre chose que des terres arides, dénuées de vie. Les Terres inconnues ressemblaient-elles à cela ? Que voyaient les Nacarantes depuis l’ouest ?

Jetant un dernier regard au-delà des remparts, elle se promit de trouver par elle-même les réponses à ses questions.

Rän attendait Alysia depuis déjà trois passages de nuages et il commençait à perdre patience. La tension ne l’aidait pas à canaliser ses émotions. Lorsqu’il aperçut enfin quelques mèches bouclées sautiller de l’autre côté du couloir, il reprit des couleurs.

— Enfin, tu es là ! souligna-t-il.

La petite fille releva la tête, essoufflée par une course à travers le château. Ce dernier était immense, de la taille d’un village. Les Terres Ocres avaient la particularité de ne posséder qu’un seul et unique dirigeant, vivant dans une forteresse située à l’extrémité sud. Le reste du peuple se répartissait anarchiquement sur le reste du territoire. Les autres contrées avaient eu la sagesse d’élire plusieurs seigneurs, dont le roi était leur représentant.

— Visiblement, répondit la princesse d’un ton condescendant.

Rän retint un sourire. Il ne perdit pas de temps avec des paroles inutiles et la conduisit dans l’une des pièces annexées à l’arène, où les héritiers potentiels pouvaient se préparer au combat. Alysia ne laissait paraître aucune émotion tandis que Kalis, son frère, qu’elle croisa au détour d’un couloir, arborait un visage fermé, tiraillé par la peur. Son père, le roi, qui se tenait alors aux côtés de son fils, jeta un regard plein de dédain à sa cadette. La jeune fille ne s’en formalisa pas et poursuivit sa marche.

Ils arrivèrent rapidement dans la salle qui leur était réservée. Alysia se dirigea aussitôt vers les armes exposées sur les différents présentoirs. Ne pouvant revêtir d’armure, elle s’attarda sur le meilleur choix possible, optimisant ses chances, déjà élevées, de remporter le combat. La plupart des armes était bien trop lourde pour ses bras frêles. Elle arrêta ainsi sa décision sur un glaive léger, facilement maniable. Rien de bien extravagant ; mais incroyablement efficace.

Au-delà de la porte en fer, elle pouvait entendre les cris de la foule venue assister à l’exécution. Le peuple tapait des pieds et des mains dans les gradins, créant une vibration qui la faisait jubiler. Un premier clairon sonna la fin de la préparation. Elle vint se placer devant la porte, non sans échanger un dernier regard avec Rän, resté silencieux dans un coin de la pièce. Il hocha la tête en signe d’encouragement, puis sortit par un couloir menant à la tribune officielle. De là, il pourrait observer le combat en présence du roi et de ses conseillers.

Alysia se retrouva seule. Un sourire en biais collé à ses lèvres, elle franchit le seuil au deuxième clairon, tandis que les cris redoublaient d’intensité. Elle venait de pénétrer dans l’arène. Un sentiment de puissance la saisit alors qu’elle contemplait la grandeur de l’espace. Les gradins s’étendaient en demi-cercle en face d’elle. Elle chercha du regard son gardien. Il se trouvait sur sa droite, en première loge. Il était impassible ; le roi, arrogant comme à l’accoutumée.

Kalis avançait à contre-cœur vers elle, plongé dans la contemplation du sol poussiéreux. Il ressemblait en tout point à Alysia, hormis ses cheveux coupés beaucoup plus courts et imprégnés d’une épaisse sueur. Sa peau mordorée était crispée dans une expression de résignation. Une chose était sûre, il n’avait jamais tué.

La cadette se repaîtrait de sa peur, le toisant avec une gourmandise malsaine. Elle, avait déjà ôté la vie à de nombreuses reprises, dans l’arrière cours du château. Rän lui apportait des villageois mâles inutiles dont la disparition importait peu. Sa première fois avait dépassé toutes ses espérances. Ce sentiment de puissance, l’odeur du sang, les cris, tout se mélangeait en une divine chaleur dans son cœur.

Le clairon retentit une dernière fois. Alysia s’élança la première, franchissant les derniers mètres qui la séparaient de son frère. Elle poussa un cri de rage au moment même où leurs armes s’entrechoquèrent dans un crissement métallique. Kalis para ses premiers coups avec agilité. Quelques attaques plus tard, il se dégagea, tentant d’apaiser son souffle qui devenait erratique. Cela ne plut pas à la princesse qui redoubla la force de ses coups.

Dans une ultime parade, elle désarma son godiche de frère, projetant son épée dans les airs. Puis, elle vint placer la pointe de sa lame contre la gorge de Kalis. Il tomba à genoux, la suppliant de lui laisser la vie sauve. Elle prit quelques instants pour toiser son adversaire qui pleurait désormais à chaudes larmes.

— Quel gamin, cracha-t-elle.

Elle le contourna pour se positionner dans son dos, le tranchant du glaive contre la carotide palpitante, et lui agrippa les cheveux pour le forcer à relever la tête. Après un regard soutenu à son père, elle trancha la peau tendre d’où jaillit un sang vermeil. Kalis tomba face contre terre dans la stupeur générale. L’arène était devenue silencieuse. Il ne fallut pas longtemps pour que la vie s’échappe du corps enfantin, son sang imprégnant l’atmosphère d’une odeur métallique.

Alysia se présenta devant la tribune d’où l’observait le souverain en compagnie des trois autres rois. Rän bombait le torse, les bras croisés sur sa poitrine, targuant les qualités de sa protégée à qui voulait l’entendre. Le souverain des Terres Ocres, quant à lui, semblait plongé dans une réflexion intense, ne sachant pas s’il devait pleurer son fils, ou bien la victoire de sa fille. Une veine palpitait sur son front, battant la mesure des nuages qui filaient depuis sa défaite cuisante. Comment avait-elle pu gagner ? Il avait pourtant engagé Rän afin d’assurer à son fils l’accès au trône !

Il se retira sans manière dans ses appartements privés, laissant ses devoirs d’hôte à ses conseillers. S’adossant contre un mur, il pouvait entendre son cœur qui s’affolait. La déception n’était pas la seule convive à s’infiltrer dans son sang ; la peur, était l’invitée d’honneur.