Prologue : la boulimie, un constat affligeant
Nous sommes en 2024 et je fais aujourd’hui un constat affligeant. Malgré toutes nos avancées dans le domaine médical, nous ne savons toujours pas comment guérir la boulimie et, plus généralement, les T.C.A[1]. Mon nouveau médecin traitant me l’a d’ailleurs confirmé lors de notre dernier rendez-vous. Je venais la voir pour un banal souci de genou et, comme c’était notre première rencontre, nous avons fait ensemble le tour de mes antécédents médicaux. Je n’avais rien à lui raconter d’exaltant en dehors de l’opération de ma double hernie discale. Pas de problème d’alcool ni de drogue, pas de cigarettes, et aucune allergie connue.
Le bilan était donc positif et j’avais le sourire aux lèvres. Puis, toute joyeuse et fière de moi, j’ai ajouté :
— Ah ! Et je viens aussi de fêter mes deux ans de sevrage ! Après 26 ans de boulimie, je suis définitivement sortie de cette addiction.
Là, les yeux ronds comme des soucoupes, elle m’a rétorqué du tac-au-tac :
— Mais comment avez-vous fait ?
La question m’a tellement prise au dépourvu que je n’ai pas su quoi lui répondre. J’ai bafouillé que j’avais raconté mon parcours dans un récit autobiographique[2] mais qu’il ne traitait effectivement pas que de la boulimie. En vérité, je ne détenais pas de réponse toute faite à lui apporter dans l’instant pour lui expliquer ma guérison. J’avais réussi mon sevrage, mais je ne pouvais pas en déterminer la cause exacte pour aider les autres patientes qui en souffraient encore. Plusieurs facteurs avaient permis de me libérer de cet engrenage que sont les compulsions.
Étant donné que les rendez-vous chez les généralistes s’avèrent toujours assez courts, nous n’avons pas épilogué sur le sujet, mais je me sentais terriblement frustrée face à cette réalité. En me rhabillant, j’ai demandé à mon nouveau docteur la même chose qu’à mes précédents médecins :
— Avez-vous déjà vu une patiente[3] guérir de cette maladie ? Connaissez-vous des personnes qui s’en sont réellement sorties ?
À l’instar des autres spécialistes que j’avais rencontrés ces vingt dernières années, elle m’a répondu par la négative.
Je savais qu’elle disait vrai. Et ce constat nous affligeait toutes les deux.
En quittant le cabinet médical, j’ai réalisé ce que je savais déjà, mais que je ne voulais pas encore m’avouer à moi-même : je fais aujourd’hui partie des rares chanceux qui réussissent à se débarrasser de cette addiction. On estime les taux de guérison des T.C.A. entre 30 et 50 %. Une personne sur deux vivra la majeure de sa vie en souffrant d’un trouble du comportement alimentaire. Un(e) boulimique sur deux ne guérira pas.
Cela m’a replongé vingt-cinq ans en arrière. Lorsque j’ai été internée à l’hôpital psychiatrique Saint-Jacques de Nantes, au cours de ma dix-septième année, je participais aux réunions de groupe hebdomadaires. Un jour, l’animatrice nous a accueillis le regard sombre, la voix basse. L’une des participantes venait de se suicider. Elle s’était présentée comme boulimique hyperphagique, c’est-à-dire qu’au contraire de moi, elle ne se faisait pas vomir lorsqu’elle mangeait trop. Son image déformée et sa relation de dépendance à la nourriture la dégoûtaient tant qu’elle avait décidé d’en finir. Solenn, la fille d’un célèbre présentateur télé, a été à l’origine de la création de la Maison de Solenn[4] à Paris. Cette jeune fille, devenue malgré elle le symbole de l’anorexie-boulimie, avait elle aussi malheureusement choisi la mort, à 19 ans, tant son addiction l’avait tourmentée.
Voici l’un des terribles visages de la boulimie : si la maladie ne vous tue pas d’elle-même, à cause d’une rupture de l’œsophage ou d’un arrêt cardiaque, liée à l’hypokaliémie, par exemple, vous finissez par vous ôter la vie pour en abréger les souffrances.
Car la boulimie est une souffrance. Mais comme elle appartient à la famille des maladies mentales, on ne peut pas la soigner en avalant simplement quelques comprimés d’anti-douleur. Guérir les T.C.A. ne s’avère pas aussi simple que de réparer une jambe cassée. Les origines de la maladie sont complexes, multiples et variées. Les traitements proposés demeurent souvent inefficaces ou, s’ils le sont, cela demande du temps et de l’investissement, ce qui nécessite une grande motivation que les patients atteints ne possèdent parfois plus. Un cercle vicieux.
Depuis l’arrêt des crises de boulimie, bien évidemment, je revis. Mais j’ai vécu un calvaire pendant 26 ans. Je sais ce que les personnes atteintes d’addiction et plus particulièrement de T.C.A. endurent. En sortant de chez mon médecin, je ne pouvais pas continuer ma vie comme si de rien n’était, sans essayer d’apporter ma contribution pour soigner ce terrible fléau.
Alors, j’ai repris ma plume.
Aujourd’hui, je me dois de partager mon expérience pour transmettre un message d’espoir à ceux et celles qui l’ont perdu. Oui, la boulimie, on peut s’en sortir. Si j’y suis arrivée, vous pouvez y arriver aussi.
Je rédige dès à présent ce livre pour vous raconter le cheminement et les étapes qui m’ont permis de guérir DÉFINITIVEMENT. Vous allez vous rendre compte que, dans cet ouvrage, nous allons parler de beaucoup de choses, mais assez peu de nourriture finalement. Car celle-ci n’est en réalité pas le problème. La boulimie reste la manifestation d’un mal-être bien plus profond, et ne représente que la partie émergée de l’iceberg.
La nourriture n’est pas l’ennemi. C’est avant tout un besoin, mais aussi un plaisir, et ce plaisir vous allez le retrouver dès que vous allez décider d’appliquer quelques modifications à votre état d’esprit et dans votre quotidien. Mon objectif est donc de vous permettre de détourner votre attention de la bouffe en vous concentrant sur quelque chose de beaucoup plus intéressant et productif. Je parle bien sûr de vous et de tout ce qui constitue votre belle personne : vos désirs, vos projets, vos passions, vos envies et vos rêves. En résumé, votre avenir. En terme plus direct, j’appelle ce passage d’un monde à l’autre « switcher ». Il s’agit de vous amener à un profond changement de vision, l’équivalent d’un gros reset qui vous permettra de dezoomer votre attention de votre problème, pour vous concentrer uniquement sur les solutions. Cet élément est crucial et a été pour moi le point de bascule essentiel pour m’aider à m’éloigner progressivement de mon obsession. Nous allons voir tout cela en détail.
Dans ce livre, je m’apprête à vous enseigner ce qui a marché pour moi, tout en vous rappelant à chaque instant comment vous pouvez l’adapter pour vous. Nous avons eu un point en commun : les symptômes tenaces d’une maladie mentale, mais c’est en tenant compte de votre propre individualité que vous allez progresser sur le chemin de votre mieux-être. J’y veillerai tout au long de ma réflexion. Je ne suis pas là pour vous imposer mes idées ou ma façon de penser, mais bien pour vous montrer une voie de réussite, la mienne, dans un domaine où peu de gens en ont à offrir.
Pour cela, je vais vous raconter mes victoires et mes échecs, forcément très nombreux et douloureux, mais toujours instructifs. Comme vous allez pouvoir le constater par vous-même, ces derniers font aussi partie du voyage. Mes avancées ont été lentes et chaotiques, mais si cela m’a pris 26 ans pour quitter le mode survie qui caractérise le fondement d’une addiction, il n’en sera peut-être pas de même pour vous. Je pense que la durée de mon expérience avec la maladie coïncidait avec ma mission de vie : qui mieux que la survivante ayant connu les affres de ce terrible mal pendant si longtemps peut en parler le mieux aujourd’hui ? J’accepte ce fait et je m’en réjouis. Maintenant que cet épisode douloureux est derrière moi, je me sens extrêmement reconnaissante de pouvoir vous amener vous aussi sur la voie du changement.
Cette longue expérience de la souffrance d’une addiction possède au moins un avantage. Être parvenue à guérir malgré mes vingt-six années de cauchemar me permet aujourd’hui de me sentir parfaitement légitime pour vous aider. Avoir relevé un défi de cette taille m’a offert une immense force et une grande confiance en moi. Je me sens désormais à ma place dans ce nouveau rôle d’accompagnante. Puisque j’ai déjà fait ce difficile trajet pour moi-même, je suis à présent capable de vous guider.
Je souhaite de tout cœur, qu’ensemble, nous parvenons à transformer votre obsession actuelle pour la nourriture en un simple souvenir du passé. Je désire vous aider à vous réconcilier avec votre assiette. Et plus généralement avec vous-même. Aujourd’hui, manger n’est plus un problème pour moi. Demain, je suis sûre qu’il en sera de même pour vous.
[1] T.C.A : troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie vomitive, hyperphagie etc...)
[2] Happy endings, du silence de la prostitution à l’expression de soi, le parcours atypique d’une masseuse érotique, disponible chez Amazon en version numérique et brochée.
[3] Les personnes touchées par les TCA, notamment la boulimie, sont majoritairement de sexe féminin. La proportion établie est d’un homme concerné pour huit femmes.
[4] Ouverte en 2004, au sein de l’hôpital Cochin, cette « maison des adolescents » accueillent ces derniers pour les aider à surmonter leurs petits et grands problèmes.
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