Chapitre 1 : Félicitations

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Après être revenue de chez mon médecin traitant, j’ai commencé à effectuer des recherches sur les T.C.A. pour savoir ce qu’il existait en septembre 2024 comme structures médicales ou propositions de soins. Au-delà de la faiblesse de solutions apportées par l’hôpital public, faute de places et de moyens financiers, limitant son offre à des hospitalisations qui, selon mon expérience, ne règleront pas le problème, je n’ai trouvé que les contacts de quelques groupes de parole, de soutien et d’entraide, dont les permanences téléphoniques ont malheureusement sonné dans le vide.

Je n’étais pas surprise par cette situation effarante, la même qu’il y a plus de 25 ans, mais je suis restée atterrée que rien ou presque n'ait changé. Et en découvrant les nombreux témoignages sur la toile, ceux de personnes touchées par la maladie, se racontant sur des lignes et des lignes, j’ai constaté qu’il n’y avait pas non plus d’évolution positive de la part de certains professionnels de santé, qui n’hésitent toujours pas à incriminer les malades de ne pas réussir à se contrôler ou à se discipliner.

Comme si cela suffisait à résoudre tous les problèmes !

Une fois encore, j'ai plongé dans le passé, un retour en arrière violent où les mots à vif de ces personnes désespérées ont fait écho aux derniers mois ayant précédé mon sevrage.

Nous étions alors en mars 2022 et je souffrais énormément de la gorge. Les crises de boulimie avaient beau être moins fréquentes, chacune d’entre elles me laissait un peu plus sur le carreau. J’en étais arrivée à un stade où, malgré l’espacement des vomissements, ma gorge était devenue tellement douloureuse que, par moments, je ne pouvais même plus boire une gorgée d’eau. Je devais attendre un certain temps après les crises, parfois quelques heures, parfois un ou deux jours, afin que ma trachée se rétablisse et que je puisse à nouveau me réalimenter normalement.

Très inquiète à ce sujet, j’ai contacté les spécialistes recommandés par mon ancien médecin traitant, pour quelques examens complémentaires. Le premier, s’occupant de la sphère O.R.L., n’a rien relevé d’anormal. Le second, un gastro-entérologue un peu pressé, m’a aussitôt proposé un examen plus poussé, une endoscopie du tube digestif. Malgré le côté effrayant de ce procédé très invasif, il m’a rassurée et j’ai accepté, la peur au ventre. Mal m’en a pris. Au-delà de l’inconfort lié à l’introduction du tuyau dans la partie haute de mon tube digestif, celui-ci m’a aussitôt provoqué une douleur aigüe qui a aggravé la sensibilité de mes lésions préexistantes. Résultat, alors que j’étais parvenue à calmer les irritations de ma gorge les jours précédents, à la fin de l’intervention, je souffrais plus que jamais. Paniquée, j’ai alors demandé au spécialiste ce qui déconnait.

Réponse : je ne vois rien d’anormal.

Je me suis énervée, lui expliquant que je ressentais présentement une horrible douleur dans la gorge, la même que celle que j’expérimentais après chaque crise, mais en pire. Je détestais évoquer mon addiction, même avec le corps médical, pourtant, devant ce monsieur un peu froid, je reconnus que les vomissements provoqués se trouvaient sûrement en être la cause. Mon problème désormais était que je craignais que quelque chose de plus grave soit en train de se développer.

— Vous vous faîtes vomir ? m’a-t-il demandé, comme s’il venait de l’apprendre.

— Oui, je vous l’ai dit lors de notre précédent entretien. Je souffre de boulimie vomitive.

— Eh bien arrêtez !

Son ton était sec, sans aucune empathie.

— Vous croyez que je n’essaie pas ? Vous croyez que cela est si simple ?

Après tant d’années de lutte vaine, j’éprouvais beaucoup de colère et de découragement.

— Si vous ne cessez pas, les douleurs ne disparaîtront pas. L’examen est normal, je ne peux rien faire de plus pour vous.

Je suis repartie de l’hôpital la mort dans l’âme, la gorge en feu, munie d’une prescription de doliprane, à renouveler toutes les quatre heures.

Je me revois encore dans la voiture, complètement anéantie. Une boulangerie se tenait non loin de là. Après quelques instants de doute, de résistance, j’ai quitté le parking, la boule au ventre. Je ne pouvais pas, mais l’idée m’obsédait. En temps normal, j’y serais entrée pour m’approvisionner en viennoiseries, les seuls aliments que ma gorge tolérait encore. Cela faisait déjà plusieurs mois que je ne mangeais plus que des choses moelleuses, facilement réduites en bouillie. Je ne m’autorisais plus de pizzas, de pain ou autre aliment qu’il fallait broyer pour leur permettre de glisser vers l’estomac. Comme sous l’effet de la crise nous avons tendance à ingurgiter la bouffe plutôt qu’à la mâcher avec précaution, avec les aliments trop solides, je risquais soit de m’étouffer, par le biais d’une fausse route, soit de m’irriter davantage en avalant de trop grosses bouchées mal mastiquées.

D’ordinaire, je serais ressortie de la boulangerie, les bras chargés de sacs, et j’aurais redémarré la voiture, la place du passager avant bien garnie de nourriture. Les sacs en papier kraft auraient été éventrés au préalable, me permettant d’y piocher sans quitter la route des yeux. J’aurais mangé en conduisant et continué ainsi une fois arrivée à la maison, des heures durant. Mais cette fois-ci, je ne pouvais pas. Je souffrais tant que je devais éviter de trop déglutir ma salive pour ne pas solliciter ma gorge amochée.

Mes examens avaient beau s’être révélés rassurants, je redoutais que la boulimie finisse par me tuer. Et pour cause. Même si j’étais contrainte de m’abstenir cette fois-ci, je pensais déjà à ma prochaine crise. Rien ne m’arrêtait. À défaut de m’y adonner sur le coup, je la programmais désormais dans ma tête. « Dès que je n’aurais plus mal, je recommencerai... »

Les mots du chirurgien ont résonné longtemps en moi, m’accablant un peu plus à chaque kilomètre avalé. Même si je savais qu’au fond, il avait raison, je lui en voulais de m’avoir traitée sans égard, sans compassion. Je me répétais en boucle que je ne le faisais pas exprès, que je n’y pouvais rien. Certes, j’étais celle qui mangeait et vomissait et je pouvais donc être celle qui arrêtait de le faire, mais :

JE N’Y ARRIVAIS PAS.

La peur et l’angoisse de mourir ne me quittaient plus ces derniers mois, pourtant je demeurais incapable de dire stop. Cette impuissance s’apparentait à de la torture mentale qui me donnait souvent le sentiment d’être folle. Et le manque d’empathie ou de soutien de la part des médecins amplifiait le phénomène car, à nos yeux de malades, ce sont les seuls en capacité de nous aider. Nous autres patients nous attendons à trouver chez les sachants les mots qui sauront nous guérir, ces mots qui peut-être provoqueront en nous un déclic, un sursaut de volonté, voire un miracle mais, en réalité, la plupart du temps, nous ne recevons que mépris et déconsidération.

ARRÊTER !

Si c’était si facile...

Avec du recul, j’ai tendance à penser que par ce comportement dur, volontairement provocateur, eux aussi espèrent nous réveiller de notre cauchemar. Qu’il s’agisse de méchanceté gratuite ou de maladresse, le résultat est souvent le même : cela ne nous aide pas.

Alors que faire ?

À vous qui me lisez le cœur rempli de désespoir, je vous comprends. Pour avoir traversé cet enfer et connu ce manque d’humanité de la part de certains médecins, ou bien encore des gens de ma famille ou de mes amis, je vous comprends. Et je tiens à vous dire que vous êtes extraordinaires. Si jamais personne ne vous l’a dit jusqu’à aujourd’hui, permettez-moi de vous le rappeler. Permettez-moi aussi de vous rappeler que :

— Non, vous n’êtes pas fautifs.

— Non, vous ne faîtes pas exprès.

— Non, vous ne manquez pas de volonté.

— Non, vous ne manquez pas de courage.

— Non, vous n’êtes pas faibles ou défaillants.

— Non, vous n’êtes ni fous, ni folles.

Bien au contraire. À mes yeux, vous êtes extrêmement courageux, forts et persévérants. Votre lecture actuelle reflète votre désir profond de vous en sortir coûte que coûte. Votre principal problème aujourd’hui est de ne pas savoir COMMENT y parvenir.

Comme moi, vous avez tout essayé. Comme moi, vous êtes allés voir des psychiatres, des psychologues, des thérapeutes en toute genre, parfois des très bons, et parfois malheureusement de très mauvais. Vous avez essayé de vous contrôler, sans succès, malgré toutes les promesses que vous vous êtes fait d’arrêter les crises. Le soir, vous vous êtes endormis en pleurant en vous jurant de ne jamais plus recommencer. Vous avez peut-être même prié pour faire cesser ce cauchemar. Le matin, dès votre réveil, quand l’image de la nourriture est apparue à votre esprit, vous vous êtes fait des serments afin de ne plus jamais vous laisser aller aux compulsions. Toute la journée, vous avez résisté, encore et encore mais, au fil des heures, vous avez fini par abandonner la lutte, vaincus par plus fort que vous.

Croyez-moi, vous êtes courageux, forts et persévérants et je vous félicite pour cela.

Je sais toute l’énergie que vous avez déployée pour guérir, pour trouver des solutions et toute la peine que cela vous cause aujourd’hui de ne pas avoir réussi.

Vous êtes tellement admirables !

Je vous admire au même titre qu’avec du recul, j’admire la petite Caroline qui a fourni tant d’efforts pour sortir la tête de l’eau. Nous sommes des survivants, des warriors, des guerriers.

Faites-moi plaisir : relevez la tête et soyez fiers de vous.

Vous avez toute ma sympathie et ma considération, et je vous prie de croire que ce que je suis parvenue à accomplir, vous pouvez l’accomplir aussi. Toute cette énergie du désespoir que vous avez manifestée jusque-là, toute cette détermination qui vous a portés jusqu’ici, aujourd’hui, vous allez pouvoir les exploiter pour vous transformer et transformer votre vie. Voilà pourquoi je vous félicite encore. Bravo pour votre ténacité et votre acharnement. Avec un tel état d’esprit et une telle rage de vivre, bientôt, vous allez enfin obtenir vos premiers résultats.

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