Le second pilier de la guérison : L'introspection (suite I)
Qu’est-ce que les croyances ?
Les croyances sont des pensées récurrentes, profondément ancrées en nous, et souvent inconscientes. Voilà pourquoi il n’est pas toujours facile de les débusquer. Par principe, elles ne sont ni vraies, ni fausses. Elles reflètent seulement notre vérité du moment et il y a probablement autant de vérités qu’il y a d’individus sur Terre. Elles peuvent évoluer tout au long de la vie, souvent naturellement, parfois en les remettant en cause.
Les croyances dîtes positives sont facilement reconnaissables. Elles nous font du bien, nous valorisent et nous permettent de nous épanouir et de progresser. Les croyances dîtes négatives, quant à elles, nous font du mal. Elles s’apparentent à des boulets aux pieds, qui nous enchaînent, nous entraînent vers le fond ou nous empêchent d’avancer.
Les pensées et les croyances représentent l’équivalent du système d’exploitation d’un ordinateur. Depuis notre naissance, elles fabriquent les programmes de notre inconscient et de notre conscient, pour nous permettre de fonctionner sans trop nous poser de question, du moment de notre lever à celui de notre coucher. Elles créent des automatismes qui nous facilitent la vie, via nos routines, en nous permettant d’acquérir et d’exploiter des compétences utiles au quotidien. C’est grâce à ces circuits neuronaux que nous ne devons pas réapprendre tous les jours à cuisiner, à manger, à nous laver ou à conduire. Notre cerveau travaille pour nous, à notre avantage, pour nous aider.
Globalement, notre système d’exploitation s’actualise avec l’âge. L’être humain évolue naturellement entre le début et la fin de sa vie et son mode de pensées avec lui. Pour certains, c’est même ce qu’on appelle la sagesse. Pour d’autres, on parlera simplement de maturité.
Si vous avez grandi en étant aimé et choyé, et que vous n’avez pas vécu enfant d’évènements trop traumatisants, vous possédez probablement une majorité de croyances positives. À l’inverse, si vous avez été maltraité ou si vous avez connu des choses affreuses, il y a malheureusement un grand risque pour que vous ayez été nourri de croyances négatives.
Pour ma part, je me plaçais entre les deux. J’ai eu la chance d’être une enfant désirée, attendue et dont on n’a pris soin par bien des côtés. J’ai été convenablement nourrie, blanchie, gâtée, aux Noëls comme aux anniversaires. J’ai passé mes vacances d’été à la mer, celles d’hiver à la montagne et mes week-ends à la campagne. J’ai ri et j’ai pleuré, comme n’importe quelle enfant normale, mais mes parents m’ont souvent consolée. J’ai aussi vécu des moments difficiles, tels que la séparation de mes parents, qui a conduit ma mère a tenté de se suicider, ce qui m’a séparée d’elle pendant plusieurs semaines. J’ai traversé de terribles épreuves, telles que la mort de mon frère ou le suicide de mon père. De ces quinze premières années, j’ai conservé quelques beaux souvenirs, mais aussi pas mal de déconvenues. Des blessures qui ont pris de l’ampleur avec l’âge et que j’ai racontées dans mon précédent ouvrage [1].
Je pense donc que, toute jeune, je possédais autant de croyances négatives que positives.
Mes principaux problèmes de santé mentale sont advenus après la mort accidentelle de mon frère. Là, n’ayons pas peur des mots, j’ai vécu un véritable traumatisme. C’est à ce moment-là que je suis passée en mode « survie ». Dans un cas comme celui-là, notre discours intérieur peut changer radicalement. Le choc entraîne une modification profonde de certaines de nos pensées qui, en s’inscrivant dans la durée, vont devenir de nouvelles croyances, bien souvent délétères et nocives pour notre équilibre.
Je vous donne un exemple concret d’une croyance post-traumatique que j’ai développée à 14 ans, après le décès de mon frère, survenu lors d’un accident de voiture. Cet évènement tragique a été si soudain et violent que mon esprit a aussitôt enregistré une nouvelle pensée : « Conduire est dangereux ». Jusque-là, je considérais que la route était sûre, d’autant que mon père, excellent conducteur de car chez Drouin, détenait presque tous ses permis, sa fierté. Je garde d’excellents souvenirs de nos road trip sur la quatre-voix. Petite, j’adorais qu’il me trimballe partout dans sa vieille Renault 21. Mais peu après la mort de mon frangin, tout avait changé. J’ai commencé à m’inquiéter dès que ma mère ne rentrait pas à l’heure à la maison. Passée l’horaire habituelle de son arrivée, je paniquais. Plutôt que de mettre son retard sur le compte d’un empêchement, ou des bouchons, je l’imaginais se tuant sur le chemin de retour après son travail.
Plus tard, à dix-sept ans et demi, lorsque j’ai démarré les leçons pour passer le permis, je ne me sentais vraiment pas en confiance dans une voiture. En conséquence, particulièrement stressée, je me montrais maladroite et rapidement déconcentrée. Vu mes faibles compétences, j’ai écopé d’une trentaine d’heures de conduite, qui ne semblaient pas encore suffisantes pour me permettre d’apprivoiser le véhicule. J’ai raté mon premier essai. L’inspecteur m’a ajournée, mais j’en étais presque soulagée. J’avais l’impression que je pouvais me tuer ou tuer n’importe qui à tout instant. Je ne voulais plus poursuivre mon apprentissage, devenu source d’anxiété.
Mais ma pensée ne s’est pas arrêtée là. Le « conduire est dangereux » s’est transformé progressivement en « la vie est dangereuse » et là... le stress s’est installé en moi et ne m’a plus quitté.
À 18 ans, terrorisée par l’avenir, qui s’annonçait forcément sombre, je ne pensais plus qu’à la mort, celle que je redoutais et celle à laquelle j’aspirais parfois comme un soulagement de mes peines. Mes trois tentatives de suicide ratées, entre 17 et 20 ans, reflétaient bien mon état d’esprit de l’époque. Pour apaiser ma peur de mourir, ou ma peur de perdre d’autres personnes de ma famille (ma mère, notamment), je recherchais des solutions pour me calmer. Manger a été l’une de mes réponses. Évidemment, j’ai pris du poids, ce qui posait problème à une autre de mes croyances : celle qui m’affirmait que je devais être mince. Ainsi, pour contrer cette fatalité, dès l’âge de 16 ans, j’ai commencé à me faire vomir. Puis, les crises ne suffisant plus à me faire oublier mes angoisses, j’ai commencé à prendre des anxiolytiques et des anti-dépresseurs, vers 17 ans. Ne supportant pas les effets de ces derniers, je les ai arrêtés. Ce sont alors des troubles du sommeil qui se sont manifestés à l’heure du coucher, troubles que les somnifères ont parfaitement maîtrisé.
Résultat, à 21 ans, pour soulager mon angoisse de la mort, du danger et de tout ce qui pouvait m’arriver de mal en général, sur la route ou ailleurs, je suis devenue accroc à la bouffe, au Zopiclone [2] et au Xanax [3].
Si j’avais pu être prise en charge correctement et efficacement dans les semaines qui ont suivi la mort de mon frère, avant que mes symptômes post-traumatiques ne se développent, j’aurais pu réaliser qu’un accident de voiture est un évènement terrible, mais rare et exceptionnel, au même titre que d’autres évènements terribles, mais rares et exceptionnels. J’aurais pu comprendre que même si cela survient encore trop souvent sur les routes, la grande majorité des conducteurs n'en mourront pas. J’aurais pu analyser que si on enlevait les facteurs aggravants, que sont la vitesse et l’alcool au volant, il y avait assez peu de risques que quelque chose de cet ordre se produise à nouveau. Malheureusement, je n’ai pas effectué ce travail d’introspection de mes pensées, pour inverser ma vision pessimiste et anxiogène de l’époque.
Aujourd’hui, je suis pourtant la preuve vivante que la route, même s’il elle tue, n’est pas aussi dangereuse que ça. J’ai 42 ans, je conduis depuis 24 ans et je n’ai jamais eu d’accidents de voiture. La vie, elle non plus, ne s’est pas montrée aussi dangereuse que ça. Après la mort de mon frère, j’ai vécu d’autres épreuves, mais aucune ne m’a mise complètement à terre, car j’ai toujours trouvé la force de me relever. La vie ne s’est pas non plus révélée aussi cruelle que je l’avais imaginée à l’adolescence, lorsque je pensais régulièrement à la mort comme un soulagement, et je sais désormais que j’ai eu tort de redouter des malheurs qui ne sont finalement, et heureusement, jamais arrivés.
Voilà le pouvoir des croyances limitantes sur notre existence. Elles nous dirigent, elles nous contrôlent et elles peuvent nous faire complètement dérailler. Plutôt que d’entretenir la terrible pensée que la vie allait forcément me faire souffrir, j’aurais préféré me raccrocher à un autre adage, beaucoup plus approprié, que je vous communique dès à présent :
« La vie ne nous envoie aucune épreuve que nous ne puissions surmonter. »
Je crois profondément que cette déclaration fait entièrement sens dans le cas de la boulimie. Oui, actuellement, vous traversez une épreuve très difficile à surmonter, mais je peux vous assurer que, si vous vous offrez le cadeau de regarder les choses sous un autre prisme, demain, dans quelques mois et dans quelques années, vous réaliserez que vous étiez capable d’y faire face. Cette épreuve ne vous tuera pas. Vous pouvez relever ce défi. D’ailleurs, avez-vous d’autres choix ?
Pour en finir avec la boulimie, votre défi va donc consister à connaître par cœur votre discours intérieur. Pour cela, la première étape, pour vous, va être de découvrir quelles sont les croyances qui vous tirent vers le haut, pour vous concentrer dessus, et ensuite, de faire la chasse à celles qui vous bloquent, afin de vous en débarrasser. Celles-ci, une fois remises en question, libéreront de la place pour d’autres croyances plus belles qu’il ne tiendra qu’à vous de cultiver.
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[2] Médicament de la catégorie des somnifères.
[3] Médicament de la catégorie des anxiolytiques.
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