Le premier pilier de la guérison : Se faire aider (suite II)

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L’accompagnement, les bienfaits et les limites d’une hospitalisation

Ma première année de consultation m’a éclairée sur certains points cruciaux de ma toute jeune vie, mais n’a pas suffi à m’épargner l’hospitalisation. Peu de temps après avoir fêté mes dix-sept ans, un peu moins d’un an après le début de mes crises de boulimie, ma première tentative de suicide a sonné l’alarme. Malheureusement, comme je m’en suis bien tirée cette fois-là, en promettant au personnel soignant de ne pas recommencer et de continuer à me faire suivre, ces derniers m’ont relâchée dans la nature sans autre prescription que celle de prendre du repos.

Six mois plus tard, un soir froid et sinistre de janvier, j’ai réitéré avec une seconde tentative. Cette fois, j’ai atterri tout droit au service de l’unité d’addiction de Saint-Jacques de Nantes, aujourd’hui rebaptisé l’espace Salomé. Ce dont je me souviens très clairement de cette arrivée inattendue, au milieu d’autres patients aussi mal en point émotionnellement que moi, c’est avant tout le soulagement d’avoir été reconnue comme malade.

Jusque-là, pour mon entourage, mon anorexie, ma boulimie et mes tentatives de suicide ne leur apparaissaient que comme des moyens détournés de faire mon intéressante, pour attirer l’attention sur moi et me faire cajoler. Cela me renvoyait l’image d’une enfant gâtée, dont les souffrances s’apparentaient à des vétilles. Ma force apparente et ma personnalité rieuse et énergique ne leur permettaient pas de me prendre au sérieux. De fait, je ne me prenais pas au sérieux non plus.

Or, on n’hospitalise pas quelqu’un qui jouit d’une bonne santé. Ainsi, même si en arrivant à Saint-Jacques, je ne percevais toujours pas l’ampleur de mon mal-être intérieur, en face de moi, des personnes en blouse blanche, elles, le reconnaissaient. On écoutait ma douleur, on entendait mes plaintes, on croyait à mon mal-être. Ce ne se résumait pas à des caprices. J’ai d’abord pensé que cette bienveillance et ce regard attentionné et compréhensif allaient m’aider.

Malheureusement, à une époque où les maladies mentales étaient encore connotées négativement, j’ai très vite ressenti le besoin de ne plus être associée à ces « fous » que mon entourage voyait d’un mauvais œil. Je venais d’une famille où personne, en dehors de mon père, n’avait jamais été hospitalisé pour des troubles psy. Et lui, désormais décédé, avait passé toute sa vie d’adulte à être considéré comme un dégénéré. On l’avait rejeté et conspué pour sa folie.

Mis à part cette exception dont il fallait presque taire le nom, personne de mon entourage n’allait ni consulté ni, a fortiori, se faire interner. Cette vision très négative des soins en hôpital psychiatrique ne pouvait que me décourager, d’autant que, dans le cas de mon père, son internement s’était révélé un échec. Je ressentais dès lors une forme de « game over » à être là, avant même d’avoir démarré la partie. Vu le poids de cet antécédent familial, je ne croyais pas que ma guérison fut possible. Et étant donné l’image associée à mon séjour en ces lieux, j’avais plutôt intérêt à ne pas trop jouer le jeu, de peur d’être moi-même vue à l’extérieur comme une dingue irrécupérable.

Ainsi, bien que mélangée aux autres patients, je me suis efforcée de paraître normale, et non plus malade, car je craignais de leur être assimilée. Dès le premier jour de mon arrivée, j’ai cessé les crises de boulimie, m’efforçant de m’alimenter comme il fallait, ni trop, ni trop peu, en oubliant toute possibilité d’évacuer d’éventuels excès dans les toilettes communes. Durant les séances en groupe, je fanfaronnais que j’allais de mieux en mieux. J’oubliais de signifier combien la nourriture m’obsédait encore et de parler des calculs que je faisais dans ma tête pour savoir le nombre de calories ingérées. Taire mes souffrances et mes symptômes pour reprendre une vie ordinaire me paraissaient plus confortable que d’être regardée comme une jeune fille faible et vulnérable, potentiellement au bord de la folie. J’ai à nouveau cessé de prendre mon cas au sérieux. Les cinq semaines d’hospitalisation se sont alors écoulées presque sans heurts, jusqu’à la sortie finale, désastreuse.

L’une des autres raisons qui, pour moi, ne m’a pas permis de m’investir pleinement dans le processus de guérison, a été la gestion de « l’après ». Quand on souffre d’une maladie mentale, le quotidien, pessimiste et douloureux, s’avère à l’opposé de la joie et du bien-être procurés dans une existence épanouissante. Et l’hospitalisation nous plonge encore plus profondément dans ce mal de vivre. Entre les séances de groupe et les consultations individuelles, tout tourne autour de nos problèmes et de nos difficultés et, cerise sur le gâteau, dans le cas des T.C.A., de la bouffe. On est pesé, nos repas sont contrôlés et l’ensemble de nos activités tournent autour de ces traumatismes qu’il faut évacuer. Certes, cette étape est nécessaire mais ensuite, que se passe-t-il ?

À un moment, j’avais le sentiment d’être en boucle, petit hamster tournant sans arrêt dans sa roue des malheurs. Trop, c’est trop. La nourriture, j’y pensais constamment lorsque j’étais chez moi et je n’avais qu’un seul souhait ici, oublier. Je répétais souvent que si je le pouvais, je préférerais me faire lobotomiser ou, à tout du moins, perdre définitivement la mémoire.

La nourriture, comme toute obsession, monopolisait tout mon temps, toute mon énergie et toutes mes pensées. Je saturais complètement. Et en arrivant à l’hôpital, elle demeurait omniprésente. Les patients en parlaient constamment, se refilant leur meilleur tuyau pour évacuer les selles, brûler des calories ou cacher les aliments pour duper le personnel de santé. Ma partenaire de chambrée, une adorable petite anorexique aux cheveux courts décolorés, laissait la fenêtre ouverte à longueur de temps (au cœur de l’hiver), pour forcer son corps à dépenser le plus de calories possible. L’hôpital, au même titre que la prison, était une école du vice. Voilà pourquoi je dis souvent que j’en suis ressortie pire qu’à mon arrivée, parce qu’en fréquentant toutes ces petites malades aussi intoxiquées que moi par leur obsession, elles m’avaient remotivée à aller plus loin dans mes travers.

En y entrant, j’avais espéré y trouver un havre de paix, mais cinq semaines plus tard, après ces trente-cinq interminables jours de frustration alimentaire, livrée à moi-même et reboostée comme jamais pour devenir plus maigre en mangeant plus et e vomissant, je me suis retrouvée dans le chaos le plus complet.

À l’instar de la prison, dont on sait combien la gestion de la sortie est primordiale et déterminante pour éviter la rechute, l’hospitalisation devrait aussi, et surtout, se concentrer sur l’après. Quelles seront les vraies motivations qui vont permettre de garder le cap ? À Saint-Jacques, ma vie se limitait à dormir, manger et lire pour essayer de faire passer le temps. La décision de me déscolariser « pour mon bien », pour m’éviter toute pression supplémentaire, m’apparaissait bonne sur le coup. Mais en y réfléchissant, je constate combien le vide qui m’attendait dehors m’a été tout aussi néfaste.

J’arrivais bientôt sur mes 18 ans et l’avenir me terrorisait. Je ne possédais aucune perspective intéressante, aucun but vers lequel me diriger, aucun objectif à atteindre, ni aucun défi à relever. Vouloir guérir une personne de ses T.C.A. en omettant de préparer son futur est aussi efficace que d’apposer un plâtre sur une jambe de bois. Je ne possédais aucune raison valable de me lever le matin. Ma vie n’avait tout simplement pas de sens.

Alors, je suis ressortie de Saint-Jacques comme j’y étais entrée, déséquilibrée et instable. J’ai maintenu la façade pendant quelques semaines avant de replonger violemment dans mes T.CA. Les gens me croyaient guérie mais je me cachais, toujours par peur des jugements, et je nourrissais une honte toujours plus grande d’être celle que j’étais devenue. J’allais toujours aussi mal, voire encore un peu plus, mais je me suis convaincue que ma guérison s’apparentait à une utopie et qu’à ce titre, j’allais devoir vivre ainsi, à me faire vomir quotidiennement, durant le reste de ma vie.

Mais vous qui me lisez, dans l’espoir de trouver une solution à vos problèmes, sachez que la honte doit changer de camp. Vous n’avez pas à vous sentir coupable, sale et honteux d’être tombé dans les T.C.A. Si votre entourage vous juge et vous regarde de travers, pardonnez-lui cette incompréhension liée à la désinformation au sujet de la santé mentale. Et souvenez-vous que votre douleur est légitime et a besoin d’être entendue. Tournez-vous dès à présent vers des personnes compétentes, qui sauront voir la courageuse personne que vous êtes actuellement.

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