Le premier pilier de la guérison : Se faire aider (suite I)
L’accompagnement, limites et bienfaits d’un suivi psychologique : la théorie du bambou
Tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire qu’un suivi psychologique ne pourra se révéler efficace que si le patient l’entreprend de sa pleine volonté. Forcer quelqu’un à se faire soigner ne sera jamais la solution. Il est préférable de convaincre la personne des bienfaits qu’elle pourra en tirer, en n’omettant pas les difficultés inhérentes au processus. Se serait mentir que de lui annoncer que tout se fera sans heurts. La vérité, c’est que cette aventure vers la guérison ne sera pas toujours une promenade de santé. La personne concernée doit être prête et consciente de ce qui l’attend.
À l’adolescence, j’étais très instable émotionnellement. Les gens de mon entourage (professeurs, amis, famille) me trouvaient au contraire très en avance pour mon âge. Cependant, ils confondaient mon air grave, lié à ma déprime, avec de la maturité. Ainsi, à l’inverse de cette image de jeune fille sérieuse que je véhiculais, je me sentais plutôt complètement paumée. Quand j’ai commencé à me faire suivre pour mes T.C.A., la rebelle en moi refusait d’écouter les conseils que l’on me prodiguait. J’étais comme une sale gosse qui voulait qu’on la laisse faire ses bêtises tranquille. Voilà pourquoi, lors de mes premières séances, qui se déroulaient en face à face, dans un climat un peu empreint de gêne, je ne me sentais pas à l’aise. Je ressortais du cabinet en prétendant que cela ne servait à rien, que personne ne me comprenait et que, de toute façon, je perdais mon temps.
Avec du recul, je regarde le passé différemment et je me souviens que dans l’intimité de ces entretiens à huit clos, à force d’exhumer le passé, il en ressortait de réelles prises de conscience. Sur le coup, comprendre que j’avais été plus un parent pour mon père et ma mère que ces derniers ne l’avaient été pour moi, a été dur à encaisser mais, au moins, cela avait le mérite d’être un point de départ clair et établi. La charge que j’avais le sentiment de porter depuis des années trouvait son origine. Mes douleurs au dos aussi. J’ai aussi réalisé qu’après les décès de mon père et de mon frère, je devenais la seule survivante à porter mon nom de famille. Cette prise de conscience m’a permis de mettre en lumière l’origine de mon insondable sentiment de solitude. Ces éléments aussi anecdotiques que puissants, révélés très tôt au cours de mes séances, n’ont pas été inutiles. Même si comprendre ne résout pas tout dans un premier temps, il est important de savoir d’où l’on part, pour avoir une idée de ce vers quoi l’on va se diriger.
Ce qui a pêché dans mes premières années de consultation se résumerait en un mot : blocage. Emmurée dans ma souffrance, dans ma solitude et mes incompréhensions, je ne laissais personne m’approcher. Lorsque ma mère essayait d’instaurer un dialogue, maladroitement, je la rembarrais sans lui donner une chance. J’avais trop de griefs contre elle, réels ou imaginaires, pour baisser ma garde. Souvent, les parents pensent qu’il est de leur devoir d’aider leurs enfants. Mais dans le cas des troubles de l’humeur et de la dépression, la meilleure façon de les aider reste de déléguer. Nous n’opérerions pas nos propres enfants pour réparer leur jambe cassée, car nous ne sommes pas compétents pour le faire. D’ailleurs, même dans le milieu médical, il est déconseillé aux chirurgiens de s’occuper des membres de leur famille. Ils préfèrent s’en remettre à leurs confrères qui, dépourvus de l’attachement émotionnel qui pourrait biaiser leur jugement, s’avéreront plus objectifs pour accomplir le travail. Il en va de même dans la police, où il est attendu des enquêteurs directement concernés par une affaire sensible, de se récuser, afin de ne pas compromettre l’impartialité du service public, ainsi que leur intégrité, leur éthique morale et professionnelle. En somme, chacun son métier. Dans le cas de T.C.A. comme dans d’autres domaines, quand nous risquons d’être dépassé, il convient de s’en remettre aux personnes ayant le profil adapté.
J’ai personnellement emmené ma fille à trois reprises en consultation, entre quatre et dix ans. J’ai alors jugé que le problème rencontré nécessitait plus que de l’amour et de la compréhension pour trouver sa résolution. Je ne l’ai pas regretté. Très rapidement, tout est revenu dans l’ordre.
Malheureusement, pour l’adolescente en souffrance que j’étais et pour ma mère désemparée, les thérapeutes n’ont pas eu avec moi beaucoup plus de succès qu’elle. Je n’étais pas prête et encore moins coopérante. Dès que ces derniers creusaient un peu plus en profondeur, là où les larmes étaient susceptibles de remonter, je me défilais par une pirouette d’humour sarcastique pour ne pas avoir à revivre les émotions refoulées. Quand je revenais de ma séance, ma mère m’interrogeait, soucieuse de savoir si cela allait mieux. Plutôt que de m’en montrer reconnaissante, je lui en voulais de me regarder comme celle qui avait un problème. J’avais le sentiment d’être le mouton noir de la famille. Une ratée.
Pour éviter de creuser le fossé que la maladie génère entre enfants et parents, je conseille vivement à ces derniers, en vue d’aider leur progéniture, de se faire analyser aussi. Personnellement, je regrette que ma mère s’y soit toujours refusée. Si, comme elle, vous n’en ressentez pas le besoin, faites-le par esprit de solidarité, voire de curiosité. Vous pourriez être surpris de découvrir les trésors insoupçonnés que recèlent votre vie intérieure. Que cela vous procure un mieux-être serait la cerise sur le gâteau, mais dans un premier temps, vous aiderez à coups sûrs la prunelle de vos yeux, en démystifiant la thérapie. De plus, sachant que l’on éduque les enfants et les adolescents par le biais de l’imitation, en montrant l’exemple, vous renforcerez l’aspect positif de la démarche et cela pourrait finir de convaincre la personne réticente à un suivi psychologique. Quand, en tant que parent, on se sent impuissant, démuni, submergé par le sentiment d’avoir les pieds et poings liés, s’impliquer de la sorte dans le processus de guérison de son enfant est à mon sens la plus belle preuve d’amour que l’on peut lui offrir.
Pour reprendre l’exemple de ma fille, en plus de la qualité du soignant chez qui je l’ai amenée, je reste convaincue que si elle s’est montrée aussi coopérante, et que les résultats sont arrivés aussi vite, c’est qu’elle avait déjà entendu parler de mon suivi thérapeutique. Je l’ai toujours évoqué positivement et elle-même a pu en constater les bienfaits sur moi au quotidien, puisque je me montrais plus patiente avec elle, et qu’il m’arrivait de moins en moins de « disjoncter sans raison ».
Face aux blocages émotionnels des personnes atteinte de T.C.A., famille, amis et thérapeutes se doivent de développer des trésors de douceur, de bienveillance et d’ingéniosité pour permettre aux patients de s’ouvrir petit à petit. Créer un climat de confiance exige du temps et de la volonté, mais ce n’est que dans cette ambiance féconde que les résistances les plus profondes pourront céder. Je sais par expérience que lorsqu’on a rencontré la personne capable d’instaurer une relation sincère, une intimité respectueuse, propice aux confidences, l’accompagnement porte ses fruits. Le thérapeute s’obligera à aller au rythme du malade, le seul apte à savoir ce qu’il peut supporter, mais n’hésitera pas à l’inviter à dépasser ses peurs, sans le forcer, sans brutalité, avec tact et compréhension. C’est un juste équilibre à trouver, mais qui sera payant.
Même si mes premières expériences en matière de consultations ne m’ont pas donné le sentiment de fonctionner, elles n’ont pas été vaines, loin de là. Les effets de la thérapie s’assimilent facilement au développement du bambou chinois, connu pour être un exemple de résilience et de patience. Cette plante possède la particularité de développer ses racines sous terre pendant des années — jusqu’à cinq, parfois, avant que n’apparaisse une croissance visible au-dessus du sol. Pendant cette période productive, cette plante consacre toute son énergie à renforcer ses fondations. Cette dynamique lente et souterraine est un prélude essentiel qui montrera toute son efficacité lors de l’éclosion au grand jour. Là, fort de cette base solide, le robuste bambou connaît une expansion spectaculaire en quelques semaines seulement.
Je suis un bambou qui a senti les premiers rayons du soleil il y a maintenant plus de deux ans, après 24 ans* de préparation. Vous êtes des bambous en devenir, en train de peaufiner votre apparition au grand jour. Soyez confiants et sereins, le succès n’est plus très loin.
Voilà pourquoi je considère que le suivi psychologique, sans être l’unique clef de la guérison, est la première marche à gravir vers le mieux-être. Ce sera aussi chaotique que libérateur et, dans un premier temps, à force de faire rejaillir des geysers de souffrance antérieure, vous pourriez vous sentir plus bousculé qu’apaisé. Mais c’est selon moi le moindre mal que vous pourriez redouter. Par soucis d’honnêteté, je préfère vous prévenir, pour que vous puissiez vous accrochez quand cela risque de tanguer. Mais, croyez-moi, cela vaut infiniment le coup.
* J'ai écrit 26 ans au début, mais je vais corriger, car c'est 24 en fait ;-) Signé Caro, la boss des maths :-)
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