Le premier pilier de la guérison : Se faire aider (suite V)
L’accompagnement, des paliers à surmonter
Marianne joie de Vivre m’a ouvert la porte de son cabinet avec beaucoup de chaleur. Et c’est vraiment ce dont j’avais besoin à ce moment-là. Nous étions en mai 2015 et je m’apprêtais à fêter mes 33 ans. Ma dernière relation sentimentale s’était arrêtée abruptement, au décès de mon amant, qui avait choisi de se suicider. C’était un véritable coup dur et, quand je suis arrivée chez Marianne, je n’étais plus tout à fait moi-même. Je ressemblais plus à une loque, pauvre chose rincée, essorée par les vicissitudes de la vie, mais Marianne n’en avait cure. Elle s’est montrée extrêmement patiente et adroite avec moi. Sa bonté m’a aussitôt inspiré confiance.
Nous nous voyions une fois par mois environ, pendant deux heures, et je pouvais la contacter par téléphone entre les deux rendez-vous si le besoin se faisait sentir. En plus de ses connaissances en psychothérapie intégrative[1], elle m’a apporté beaucoup de douceur durant cette terrible période et chaque consultation représentait un baume appliqué sur une plaie ouverte. Un an après le début de nos rencontres, remise sur pieds, j’ai fait la connaissance de mon nouvel amant. Je me suis sentie revivre et ce bonheur revenu m’a incitée à cesser les crises. J’ai alors entamé ma seconde période de sevrage. J’en étais heureuse, mais une chose me chagrinait : cet arrêt était corrélé avec l’arrivée d’une nouvelle histoire d’amour dans ma vie. Si cela avait été longtemps mon rêve de jeune fille, de vivre un amour si fort que j’en serais transformée, je réalisais que ce n’était plus la bonne solution. Mon sevrage m’apparaissait soudain bancal, incertain. Qu’allait-il se passer si une rupture advenait ? Je détestais l’idée de quitter une dépendance pour une autre, or, vu comment les choses s’étaient déroulées, c’était exactement ce qui était en train de se passer. Ce nouvel amant qui me remplissait de bonheur m’apparaissait soudain comme un simulacre de mon addiction. Il remplissait mon vide intérieur, mais c’est de ce vide-là dont je voulais me débarrasser. Marianne me rassurait et m’expliquait qu’il n’y avait rien d’anormal à profiter de cette période de liesse pour avancer sur mon chemin de guérison.
Pourtant, cela me chiffonnait toujours. Et, malheureusement, j’avais vu juste.
Trois mois plus tard, le célibat repointait le bout de son nez, et il ne m’aura pas fallu trois semaines avant que les crises ne reviennent avec lui. Cette fois, j’étais amère. J’ai continué à consulter Marianne pendant plusieurs mois encore et j’ai beaucoup aimé tous les échanges que nous avons eus, cependant, mon manque d’avancée me pesait lourdement. Lorsque je me suis retrouvée alitée pendant plusieurs semaines, à cause d’une double hernie discale, la coupe devenue pleine débordait. J’en avais ras-le-bol de la vie, de mes échecs successifs et du développement personnel. En colère contre mon impuissance, j’ai décidé de stopper toute forme de thérapies, aussi bienfaisantes fussent-elles. J’en avais soupé de toujours me ramasser la tronche par terre, malgré tous les efforts que je déployais.
C’est une réalité à prendre en compte dans la thérapie. Évoluer se fait toujours petit à petit, marche après marche, à l’image de l’enseignement du Kaizen, ce concept japonais selon lequel les progrès se font pas à pas, en amélioration continue. Cette philosophie orientale, bien que profondément inspirante, ne seyait pas à ma nature de l’époque, particulièrement impatiente et exigeante.
De plus, entre chaque période de progression où l’on connaît une certaine croissance spirituelle et émotionnelle, il existe forcément des paliers au cours desquels on intègre — on digère — les enseignements assimilés. Pour les personnes comme moi, qui se donnent à fond dans tout ce qu’elles entreprennent, ces passages plus ou moins longs, pouvant aller de quelques semaines à des mois, représentent une difficulté majeure. Et il n’y avait rien de plus terrible à mes yeux que d’avoir le sentiment de faire du sur-place. Pourtant, c’était impossible d’y échapper. J’aurais dû prendre mon mal en patience et me rappeler que même si j’avais l’impression de stagner, ce n’était pas le cas. Pour éviter ces écueils qui privent les patients de beaux résultats, ces derniers doivent être encouragés à persévérer, même quand cela semble inutile. Mon problème à moi c’était que je n’étais pas entourée. Célibataire au long cours depuis mon divorce, j’étais également d’une nature solitaire. De fait, en dehors de ma mère avec qui les relations n’étaient pas toujours au beau fixe, je n’étais pas vraiment soutenue à ce moment-là. Si vous vous retrouvé dans la même situation que moi, persistez. Je sais combien l’on peut se sentir nul quand tous nos efforts paraissent vains, mais il n’en est rien. J’aurais aimé me souvenir des paroles de Véronique, qui m’avait souvent répété, après mon échec avec Nicolle :
— Cela ne sert à rien d’aller vite, Caroline. Arrêter de vouloir tout, tout de suite. Votre dernière thérapie expresse a marché une fois, mais n’a pas duré. Si vous voulez vraiment guérir, vous allez devoir accepter que parfois, il y a des plats, voire des retours en arrière. Mais même si vous faites trois pas en avant et deux pas en arrière, n’oubliez pas que vous allez dans le bon sens. C’est à ce prix que la guérison sera totale et durable.
Bien des individus souffrant de T.C.A. présentent des personnalités perfectionnistes, les obligeant à toujours rechercher la performance. C’est à la fois une qualité, car ils se donnent vraiment les moyens d’y arriver, mais c’est aussi un inconvénient, puisqu’ils risquent d’abandonner s’ils n’obtiennent pas les résultats escomptés. Ces tempéraments intenses, entiers, sont souvent le fait de passionnés et je les encourage à garder cette facette de leur nature profonde, mais je les invite aussi à accepter que, par moments, les choses sont ce qu’elles sont et que cet aspect de la thérapie ne doit pas les décourager.
Marianne, au même titre que Monsieur Bernier, Véronique ou Nicolle, m’a énormément apporté. Je les remercie tous d’avoir été si généreux et bienveillants envers moi et de m’avoir donné de nombreuses clefs de compréhension dans mon cheminement intérieur et dans mon parcours de santé. Après toutes ces belles personnes, il y a eu une dernière rencontre décisive, qui s’est révélée capitale pour ma guérison. Je vous en parle un peu plus loin, dans un des prochains chapitres.
[1] La psychothérapie intégrative utilise, en fonction du contexte, de la pathologie et de la psychologie du patient, un choix de petit nombre de pratiques de psychothérapie, telle que Gestalt, l’hypnose Ericksonnienne, l’analyse transactionnelle, l’E.M.D.R. etc.
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