Le premier pilier de la guérison : Se faire aider (suite VI et fin)

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L’accompagnement, le prix à payer

La solitude a été le premier prix à payer de ma guérison. En dehors des thérapeutes que j’ai régulièrement consultés, j’ai traversé de longues périodes sans presque ne plus voir personne. Même si je ne suis pas devenue complètement ermite, plus je me concentrais sur moi et mes objectifs, plus, d’année en année, ma vie sociale se réduisait à peau de chagrin.

Je ne conseille pas aux personnes de rompre les liens avec leurs proches, surtout si ces derniers leur veulent du bien, les soutiennent et s’investissent dans le processus de leur guérison mais, pour ma part, je préférais m’isoler pour avancer plus efficacement. S’il est vrai que l’adage « seul on va plus vite, ensemble, on va plus loin » correspond bien à la dernière partie de mon cheminement, durant la grande majorité de mon parcours, j’ai vraiment ressenti la nécessité de faire le vide autour de moi, notamment pour me tenir à l’écart des personnes négatives, qui ont la fâcheuse tendance de ralentir quiconque veut progresser. On dit souvent à propos des relations de couple, qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné, mais c’est aussi valable pour la famille ou les amis. Si, à l’instar de mon expérience, les gens de votre environnement ne vous tirent pas vers le haut, vous n’avez pas d’obligation morale à les fréquenter.

Si, comme moi, votre objectif est de sortir de l’addiction, vous allez devoir faire des choix et le premier est de vous choisir vous. Vous devez être votre priorité. Si les gens tiennent à vous, ils le respecteront.

Certaines personnes pensent que se confier à ses amis équivaut à parler à un professionnel. Cela pourrait s’avérer vrai si les amis en question possédaient des talents de coaching et étaient prêts à vous aider à prendre du recul et à vous remettre en question, mais ce n’est pas toujours le cas. De mon point de vue, personne autour de moi n’en était capable et je passais plus de temps à remotiver les troupes qu’à être celle que l’on encourageait. Je préférais donc payer une personne une fois par semaine pour discuter avec elle à bâtons rompus pendant une heure et demie à deux heures, plutôt que de me farcir des mondanités qui allaient me bouffer la moitié de mon énergie. Et comme je suis de nature solitaire, en une séance toutes les trois semaines avec Marianne, avec qui je me sentais vraiment sur la même longueur d’onde, j’avais le sentiment d’assouvir mon besoin de relationnel, commun à tous les mortels. Nos échanges me nourrissaient profondément, plus qu’avec n’importe quel autre individu parmi mes proches, et cela me suffisait amplement jusqu’à la rencontre suivante.

Mes proches, quant à eux, ne recherchaient pas particulièrement ma compagnie. En effet, plus j’avançais dans la vie, en remettant constamment en cause tout ce que j’avais appris, plus ils m’assimilaient à une extra-terrestre. J’avais trop d’idées anticonformistes en décalage avec leur mode de vie.

Par exemple, après la naissance de ma fille, passé le délai normal de congé maternité, j’avais refusé de reprendre le travail, espérant vivre sur mes deniers aussi longtemps que possible, afin de passer le maximum de temps avec elle. Je préférais m’investir dans mon rôle de mère plutôt que « faire de l’argent ». D’ailleurs, je n’avais pas besoin de beaucoup pour vivre bien, et je ne rêvais pas du tout de posséder un patrimoine immobilier. Ainsi, je n’avais pas de réelle contrainte à retourner bosser, comme celle de rembourser un crédit. Je n’en ai par ailleurs jamais contracté un seul, ni pour une maison, ni pour une voiture, ou autre. J’étais en vérité peu à l’aise avec cette idée d’emprunt, que je voyais comme une espèce d’épée de Damoclès qui aurait été suspendue au-dessus de ma tête. Là où, passée la trentaine, tant d’individus ambitionnaient de s’acheter un logement, je demeurais davantage attachée à la notion de liberté. Je défendais l’importance de vivre mon existence comme je l’entendais, même si cela signifiait m’occuper de mon enfant « à perte » plutôt que d’investir mon temps et mon argent pour m’enrichir matériellement.

Je voulais réussir ma vie, pas réussir dans la vie.

Cette mentalité, proche de la décroissance, en rebutaient certains qui considéraient que j’étais complètement perchée, en dehors des réalités économiques et des contingences propres à tous les êtres humains. Mais quel était l’intérêt d’avoir mis au monde un enfant si je ne pouvais pas la voir grandir, si je ne pouvais pas savourer sa présence et profiter de chaque étape de son développement ? Je l’ai allaitée durant trois années entières. J’ai assisté à ses premiers mots, à ses premiers pas, à toutes ses fêtes de l’école, à tous ses spectacles, et j’ai participé à des tas d’activités extra-scolaires. Je l’ai emmenée à tous les anniversaires auxquels elle a été invitée. Comme je gérais mon emploi du temps, dès sa plus tendre enfance, nous partions en vacances en dehors des périodes de congés scolaires, forcément plus coûteuses. Nous avons voyagé ensemble en Espagne, dans le Sud de l’Andalousie, puis en Algérie, à Constantine, et enfin à Djerba, en Tunisie. Plus tard, c’est à Londres que nous avons célébré les sept ans de ma fille en visitant les studios de cinéma de la franchise Harry Potter.

Pour moi, tout cela n’avait pas de prix. Je préférais investir dans ces moments uniques, magiques, et créer des souvenirs impalpables, mais inoubliables, que d’acheter du dur. Je trouvais cela plus rentable. Ne pas être dans une course frénétique à la richesse, à la possession, me faisait paraître différente et je me reconnaissais davantage dans des personnages tels que l’Abbé Pierre, Sœur Emmanuelle ou Mère Térésa. En lisant leurs biographies et autobiographies, je me suis reconnue dans le fait que le temps consacré aux gens qui nous aimions était beaucoup plus important que l’argent accumulé. Moi aussi, je voulais mettre l’amour au centre de ma vie. L’amour de ma fille, en particulier, mais aussi celui pour moi-même, celui que je ne m’offrais pas encore complètement, mais que j’apprenais à cultiver. Et pour cela, j’avais besoin de temps.

J’ai compris que l’argent de la prostitution, en m’offrant la possibilité de gagner suffisamment pour me permettre de vivre aisément, tout en ayant beaucoup de temps libre, était un sacré atout. Un atout que je pouvais mettre à profit pour investir en moi plutôt que dans l’immobilier, et qui, je l’espérais, allait me conduire à la guérison.

Les thérapies ont parfois mauvaise presse. Décrites comme chères, car peu ou pas remboursées par la sécurité sociale ou les mutuelles, il est vrai qu’elles ont un coût. Entre 50 et 100 euros de l’heure selon les praticiens, en province[1]. Toutes les séances que j’ai effectuées avec Monsieur Bernier, Nicolle, Véronique, Marianne puis, plus tard, Stéphanie, étaient payantes et l’addition de toutes ces consultations représente un joli pactole. Il y a quelques années, à la fin d’une séance, au moment de payer, je ne retrouvais plus mon portefeuille, enseveli sous le fatras de mon sac.

La psy et moi nous sommes mises à en plaisanter. J’ai déclaré :

— Eh bien, je ne sais pas si c’est mon inconscient qui refuse de payer, mais il faudrait analyser cet acte manqué !

— À mon avis, vous en avez surtout marre de payer pour les autres.

Je venais de passer toute la séance à déblatérer sur ma mère et les souffrances dont j’estimais avoir été la victime. Cette remarque m’a fait réfléchir. C’était la première fois que je me rendais compte que je payais vraiment pour les autres, dans tous les sens du terme. Mes soucis de santé provenaient de l’enfance, ce n’était plus à démontrer. Et cela faisait des années que je le payais littéralement dans mon corps, dans mon cœur, mais aussi, dans mon porte-monnaie. C’est une prise de conscience douloureuse, de s’apercevoir que l’on a souffert et que l’on doit, en plus, débourser pour se réparer, au lieu de faire trinquer les autres. Mais je crois que si je n’avais pas accepté cet état de fait, je n’aurais pas avancé. Rester dans la colère, la rancœur, la vengeance est contre-productif. J’ai donc hoché la tête. Oui, dans une certaine mesure, je payais pour les autres. Mais il était aujourd’hui de ma responsabilité, de mon devoir vis-à-vis de ma fille, de ne pas me retrancher derrière de fausses excuses pour abandonner.

Je devais payer. Je n’ai pas particulièrement de sensibilité envers le bouddhisme, mais la notion de karma m’a toujours interpellée. J’ai le sentiment que nous arrivons dans cette vie avec une mission et peut-être aussi avec des dettes à effacer. Se pouvait-il qu’en 2020 j’étais en train de nettoyer les mauvaises actions d’une existence antérieure ? Cela ne me paraissait pas insensé.

On dit que la santé n’a pas de prix et c’est vrai. Investir de l’argent en vous et votre guérison est de loin le meilleur placement que vous pourrez effectuer. Cela montre que vous vous donnez de la valeur, et c’est une étape importante dans la reconstruction de votre estime de vous-même, souvent mise à rude épreuve quand on est soumis aux affres d’une addiction. Personnellement, malgré les frais que cela a engendré en sept ou huit ans de thérapie, tous spécialistes confondus, c’est un investissement que je n’ai jamais regretté.

Certains possèdent une maison. Moi, j’ai recouvré la santé.

[1] On observe une augmentation de 10 à 20 euros à Paris.

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