V. Au loin, les faubourgs

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Sur une branche un merle sifflait; le temps s’était calmé.

Un mince équilibre s’était établi, entre le pâle soleil qui s’étirait à gauche du sentier, et les nuages monotones qui couvraient la droite.

L’eau suintait des campanules sur le bas-côté; le merle sifflait toujours. Un frêle rayon de soleil perça le bout d’une branche; une mouche s’y posa et frotta ses ailes humides. Sur son arbre, le merle fut très vite rejoint par un congénère et ils concertèrent ensemble. Bientôt les moucherons apparurent en nuées sous le nez d’Alice. Les araignées accoururent au bord de leurs toiles alourdies par les gouttes. Les bourdons reprirent leur ronde monotone autour des parfums réminiscents. Devant leurs palais détruits par la pluie, les fourmis ne perdirent pas un instant et entreprirent de tout rebâtir. De part et d’autre, les petits insectes qui se cachaient lors de la pluie sortirent se réchauffer: les oiseaux, moins timides, reprirent leur envol. Toutes les choses enfin, ressuscitaient sous la lueur du soleil déclinant.

Miné de flaques insondables, le chemin était devenu impraticable pour notre princesse. Tâchant d’éviter de souiller ses menus souliers, elle reprit son chemin en effectuant de petits bonds de côté pour rester à sec. Elle parcourut ainsi quelques kilomètres sans aucun village en vue.

Après deux heures de cet exercice, Alice fatiguait, et décida que le temps était venu de faire une pause. Apercevant un rocher devant elle, elle s’y dirigea et se laissa lourdement tomber, et déboucha sa gourde. Elle qui n’avait jamais eu de mal à marcher, voilà que ses mollets la brûlaient à présent, et sa bouche était sèche. Elle qui n’avait jamais éprouvé l’effort physique, regrettait à présent d’en avoir la connaissance, et cette route n’en finissait pas. Combien de temps encore pourrait-elle tenir ?

Tandis qu’elle reprenait doucement son souffle, un son sourd lui parvint. Un son résonnant, métallique, et joyeux, qui lui était familier. Elle se dressa sur son rocher, et tenta d’en trouver l’origine, scrutant l’horizon lointain de la plaine qui l’entourait. Soudain elle trouva; ce son joyeux, c’était celui de cloches ! Et loin, loin au-devant d’elle, elle vit distinctement un minuscule campanile. Victoire ! s’écria-t-elle, la délivrance, enfin. Mais alors qu’elle sautillait sur son rocher, elle perdit l’équilibre, et s’effondra de tout son long dans la boue du chemin. Se relevant tant bien que mal, elle constata que sa robe s’était déchirée le long de sa cuisse, et, pis, que sa gourde s’était déversée sur le chemin.

Mais elle était forte. Elle reprit sa route d’un pas décidé, ne craignant plus la boue, vers les clochers au bout du chemin.

Ledit bout du chemin, cependant, se trouvait beaucoup plus loin qu’Alice le pensait. Après quelques kilomètres supplémentaires, elle était éreintée; ses pas étaient devenus lourds, irréguliers, douloureux, même. A bout de force, elle ne faisait plus l’effort de garder l’équilibre et butait sur chaque pierre qui se glissait sous les pieds. Depuis peu elle avait découvert à ses dépends les propriétés des orties, et à présent ses jambes étaient couvertes de plaies, ses genoux écorchés, ses pieds couverts d’ampoules; elle ne savait plus depuis combien de temps elle avançait ainsi sans répit. Soudain sa jambe nue accrocha la ronce d’un mûrier, elle poussa un cri et s’effondra dans la boue.

A bout de souffle, désespérée, elle fondit en larmes.

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