III. Le prince charmant

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Dans la forêt sombre les branches éraflaient ses joues. Les oiseaux se turent, les feuilles se figèrent; la lumière retint son souffle.

Dans la forêt sombre murmurait le tumulte de ses sabots. Il approche ! Silence !

Dans la forêt sombre quelqu’un s'essouffle. Quelqu’un cours, quelqu’un s’affole !

Dans la forêt sombre les sabots sont clairs. Quelqu’un crie, la voix haut perchée !

Dans la forêt sombre, quelqu’un arrive ! Il est partout ! Presque là !

Il est ici ! Le voilà !

Le voilà ! Qu’il est beau !

Dans la forêt sombre un cheval surgit, un héros fier le chevauchant. C’était le prince, le prince charmant, tout de blanc vêtu, aux sabots d’argent.

Quel spectacle, mes aïeux ! Quelle vision, mes enfants ! Il était le prince, plus que superbe, tout à fait merveilleux, il était le seul et l’unique prince charmant. Sur son fier destrier aux naseaux frémissant, le voilà qui… Mais… Où est-il passé ? Ah, le voilà ! Prince, pas si vite ! Sur son destrier disais-je… Mais ! Prince, restez-ici ! Arrêtez-vous, voyons ! Allons prince, prince ! Revenez !

Le prince essoufflé tentait par tous les moyens de s’enfoncer dans la forêt drue, battant de son épée les épais fourrés. Son cheval paniqué jetait son regard de tous les côtés. Prince, je vous en prie ! Arrêtez-vous, un instant !

Le prince m’entendit. Il leva la tête, cheveux en batailles, pupilles dilatées. Son front fondant en grosses gouttes de sueur, il hurla, la voix haut perchée.

« – Qui… - toussant, se raclant la gorge - qui va là ?

– Le narrateur, expliqua le chat de Cheshire perché sur une branche.

Le prince poussa un cri d’effroi, perdit l’équilibre et tomba de sa monture qui détala dans les broussailles. Il se redressa aussitôt face au chat, battant l’air de son épée, le bras fébrile.

– Qui… Qui êtes-vous ? cria-t-il

– Je…

– Ah ! Ça parle vraiment ! hurla le prince, qui lâcha son épée au sol et courut se réfugier derrière un arbre.

– Je suis le chat de Cheshire, repris le chat de Cheshire légèrement vexé, et je ne vous veux aucun mal.

– Parle donc, démon ! Je n’écoute jamais les chats qui parlent ! lança le prince terrifié et toujours caché derrière son arbre.

– … Je ne vous veux aucun mal, donc, poursuivit le chat à présent sensiblement vexé, et le narrateur était en train de vous conter.

– Le narrateur ! Quel narrateur ? Répéta le pauvre prince perdu. Je suis narré, moi ?

– Oui.

– Cessez immédiatement !

FIN.

Mais non, mais non. Voici donc, chers lecteurs, le prince, qui s’en va délivrer la princesse.

– Délivrer ! Délivrer ! Mais vous n’y pensez pas ! se défendit le prince. C’est bien trop dangereux.

– Justement, tu es brave, lui apprit le chat.

– Brave, moi ! Ah ! Laissez-moi rire, railla le prince, et il rit. Moi, brave ! Ha ! Elle est bien bonne !

S’il avait eu des sourcils, le chat les aurait froncés.

– Quoi ! prince, bien entendu que tu es brave, dit-il. Tu es le prince charmant, il est attendu que tu sois brave; c’est même la première de tes qualités.

– Ah oui, c’est facile hein ! Sois brave, sois beau, sois fort ! rétorqua le prince. Et si je ne le suis pas, brave ? Et si je ne veux pas ? Et si je ne pouvais pas ?

Le prince aperçut quelque chose derrière le chat.

– Et si j’en étais incapable, hein ! Vous y avez pensé, à ça ! Voilà ! Je suis incapable. Je suis un couard, un pleutre, allez-y ! Traitez-moi de tous les noms ! J’ai les genoux qui flanchent devant les falaises, j’ai peur des hommes, je ne me suis jamais battu, je m’aime trop pour me blesser.

La chose grandissait. Les pupilles du prince se dilatèrent.

– Je ne veux pas, vous m’entendez ? Fichez-moi la paix ! Je.. Je refuse ! C’est trop facile pour vous, d’exiger du prince de l’héroïsme, et de s’identifier à lui à la fin de l’histoire. Fais-ci ! Fais-ça ! Non …

La sueur perlait sur son front. La chose était immense, elle était opaque, elle était obscure, elle était si noire que le soleil s’enfuit et que la lune fit la morte.

– Non … Pitié… gémit le prince, pitié !

Le chat, inconscient de ce qui se passait dans son dos, regarda perplexe le prince fléchir les genoux.

Une peur avide lui dévorait le visage, une horreur sans nom habitait ses yeux, sa bouche poissait de larmes, il était terrorisé. C’était le prince, il était pitoyable.

La chose tendait le bras.

– Pitié … Non … Pas moi … suppliait le prince.

Pourtant il était pétrifié. Il ne se débattait pas, ne courait pas; tétanisé, il regardait la main s’approcher.
Elle le saisit à la gorge.

– A moi ! A moi ! hurla le prince »

Il fit volte face et fut englouti par les branches crochues de la forêt dense. Le chat se retourna aussitôt, mais ne vit rien. Il regarda devant lui à nouveau, mais le prince avait disparu.

C’était le jour dans la forêt, les oiseaux chantaient.

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