IX. Libre

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A la grande surprise d’Alice, le sergent revint une heure plus tard et ouvrit la porte de la cellule.

« C’est bon, annonça-t-il. Vous êtes libre.»

Alice sortit le cœur battant, et trouva dans le hall la matrone qui l’accueillit à bras ouverts. Alice s’y précipita, pleurant de reconnaissance, et elles rentrèrent à l’auberge bras dessus, bras dessous. Elles montèrent au second étage, où la matrone lui avait préparé une chambre, et, rompue de fatigue par tous les événements de la journée, Alice tomba comme une masse sur le lit sans prendre le temps de se dévêtir. Elle dormit jusqu’au petit matin, et se réveilla aux effluves du petit déjeuner qu’on lui préparait.

La princesse descendit les marches et s’assit à la table de la cuisine. La matrone lui servit un chocolat chaud dans un grand bol en faïence, et lui présenta une assiette de brioche grillée. Tandis qu’Alice se servait, elle s’assit en face et prit un air accablé.

« – Mange, mon enfant, reprends des forces. Ça me fait plaisir.

Alice avait le nez au fond du bol et ne voyait pas la matrone; mais puisque cette dernière avait dit que ça lui faisait plaisir, la princesse dévora deux brioches.

Constatant que la princesse ne l’avait pas vue, la matrone posa ses coudes sur la table, pris sa tête entre ses mains et lâcha un long soupir.

Alice avala goulûment le reste de son chocolat, et son devoir accompli reposa fièrement son bol. C’est alors qu’elle s’aperçut du désespoir qui habitait le visage de la matrone.

– Bonne mère, qu’avez-vous ? Vous avez l’air si triste !

– Oh, ce n’est rien, mon enfant, répondit la mère avec un sourire forcé. Finis ton déjeuner.

– Mais non, mère, je vous en prie ! Dites-moi, qu’est-ce qui vous tracasse ?

– Oh, mon enfant, n’y pense pas. Ce ne sont pas des choses qui devraient inquiéter ta jolie tête, dit la mère en faisant un geste de la main.

Comme Alice n’insistait pas, la mère reprit en soupirant:

– Je pense seulement à ce que dira le petit père quand il sera à la maison ce soir, et qu’il verra que toutes nos économies pour l’avenir de notre petite fille ont disparues…

– Quoi ! Mère, c’est affreux ! dit Alice. Comment est-ce arrivé ?

– Je t’en prie, ne me demande pas, mon enfant. Je suis la seule responsable, dit la mère en détournant le regard.

Alice, respectueuse, ne lui demanda pas bien que la question lui brûla les lèvres. La matrone la regarda du coin de l'œil et ajouta:

– C’est le sergent de police, ce voleur…

– Le sergent ! s’exclama Alice.

Réprimant un sourire, la matrone se pencha tout entière et lui pris les mains.

– Oh ! Pauvre de moi, j’en ai trop dit ! Oui, mon enfant, c’est le sergent le coupable. Pour te libérer immédiatement, pour te sortir de cette misérable cellule, il a exigé des sommes exorbitantes, mais que pouvais-je y faire ? J’ai payé, et maintenant nous voilà sans le sous.

Rongée par le remords, Alice voulait disparaître sous terre. Cette famille avait été si bonne, et voilà qu’elle causait leur ruine !

– Bonne mère, dit-elle avec passion, je vous en supplie, laissez-moi vous aider !

– Non, non mon enfant, il n’y a rien que tu puisses faire. As-tu seulement jamais gagné ta vie ?

Alice baissa le nez, la mère ayant vu juste.

– Nous devrons nous séparer de la bonne. Mais alors, que deviendrons-nous ? Il y a tant de travail !

Alice sauta sur l’occasion.

– Je la remplacerai ! Oh, mère, je vous dois tant ! Donnez-moi sa place, je vous en prie !

– Toi ? Tu le ferais ? dit la matrone avec une feinte surprise.

– Oui, mère !

– Je suppose, murmura la matrone, que l’on pourrait te prendre jusqu’à ce que l’économie du salaire égale la somme perdue…

Elle se leva brusquement et sortit de la cuisine, intimant à Alice de ne pas bouger. Elle revint quelques instants plus tard avec une feuille, une plume et un encrier, et commença à rédiger le contrat.

– Voilà, déclara-t-elle. Signe ici.

– “Je, soussignée… déclare de mon plein gré et pour une durée de…”, lut Alice.

– Que fais-tu ? l’interrompit précipitamment la matrone.

– Eh bien ! Je lis.

– Ah non ! Pas de ça entre nous ! On lira ça ensemble plus tard. Signe, à présent.

Ne voulant pas la froisser, la princesse apposa sa signature en bas du document, et la matrone s’en empara immédiatement.

– Bien, bien, bien… dit-elle, satisfaite. Mettons nous au travail.

Elle se leva

– Suis-moi. Et ne pose pas trop de questions.»

Ce jour-là, la princesse apprit comment s’occuper de l’entretien de l’auberge et de ses occupants. Ce n’était pas un travail particulièrement agréable, mais ce qui déplut le plus à la princesse, c’est que sur la bouche de la matrone, le sourire avait disparu.

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