XIII. La rencontre
Un soir à l’auberge, Alice tirait la bière. Elle avait les yeux rougis à force d’avoir pleuré, car la matrone l’avait battue pour son manque d’entrain. Ses épaules meurtries la tiraillaient et elle peina à soulever son plateau pour apporter les verres aux tables. Sur son passage les cris jaillissaient, moqueurs, siffleurs; ses bas étaient secoués, des mains s’aventuraient là où elles n’auraient jamais dû être; la matrone la regardait d’un mauvais œil qui faisait de bien vilaines promesses.
Mais alors qu’Alice allait rompre enfin, les lumières s’éteignirent, les voix se turent, et les coups devinrent caresses. Son plateau lui glissa des mains et la bière se répandit sur ses pieds, mais cela elle ne le sut jamais. Un homme, un seul homme habitait la pièce; il était beau et grand, Alice sentait son coeur s’enfler, et ressentit pour lui tout le soulagement d'avoir retrouvé une âme perdue. Elle était tombée amoureuse, et le couvait d’un regard qui ne devait pas le laisser s’échapper.
Ce soir-là, Bastien était entré par hasard dans cette auberge. Éreinté par sa journée à l’usine, ivre de chaleur, étourdi par les clameurs de la foule, bousculé par les larges corps amassés dans la pièce, il s’effondra à une table. Il commanda à boire, et deux yeux bleus le servirent que son regard mi-clos rencontra. Il porta son verre à ses lèvres, et bu sans les comprendre les paroles muettes que les yeux bleus versaient dans les siens.
Deux semaines plus tard ils se mariaient. Un chat miaula à tue tête devant la porte de l’église, mais Alice, exaspérée, le chassa. Lorsqu’ils sortirent de l’église, la petite fille fut la première à leur jeter des fleurs, avant d’être emportée par la poigne de son père, tandis que les époux montaient dans une voiture qui les emmena loin de Mauxbourg.
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