Les sept différences

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Malgré leur apparente netteté, certains souvenirs peuvent faire douter de leur réalité. C’est le cas de ce repas de famille, une veille de Noël, dans mon enfance. Ou plutôt devrais-je dire : c’est le cas de ces deux repas de famille venus se superposer dans mon souvenir. Cinq années les séparent mais seuls d’infimes détails les distinguent. Maintenant que je suis adulte, j’y repense avec amusement à chaque réveillon en dégustant ma part de bûche aux fruits rouges.


Les deux soirées ont pour cadre le théâtre de l’ordinaire : le salon chez mes parents, dans sa version ‘catalogue pour classes moyennes’. Le petit coup d’aspirateur de Maman a gommé tous nos dessins inachevés, nos jouets mal rangés, nos chaussures qui traînaient. Mon champ de vision, à l’instant de ces souvenirs, est optimal : depuis l’angle de la pièce, coincé en bout de table au sommet d’une chaise rehaussée, je distinguais tout.

La grande table de ferme remplissait toute la diagonale, pour des raisons aussi pratiques qu’esthétiquement discutables. Sur la nappe vert sapin, autour des éternelles assiettes en porcelaine et de leurs couverts en argent, des serviettes d’un coloris uniformément laid avaient remplacé celles aux feuilles de houx sur lesquels je feignais de me piquer les doigts. Les deux années, trois vraies branches trouvaient néanmoins leur place dans les décorations, discrètement disposées autour d’une bougie, hors de ma portée.

La vieille cheminée, à ma gauche, avait été nettoyée pour accueillir les cadeaux du lendemain. La magie de Noël en avait retiré les guirlandes de toiles d’araignée pour les magnifier sur le sapin, juste à côté. D’une année sur l’autre, leur disposition sur les branches de l’arbre en plastique avait changé : elle s’accordait à l’humeur de ma mère au moment de les accrocher.

À côté du sapin s’ouvrait une fenêtre dont les rideaux de dentelle blanche encadraient l’obscurité des nuits d’hiver. Au pied du mur, un meuble bas servait de bibliothèque – lorsqu’il n’accueillait pas mes dessins en cours ou les Lego de mon frère. Les ouvrages culturels de mon père y étaient rangés avec soin ; aucun d’eux n’avait bougé en cinq ans, comme en attestait l’uniforme couche de poussière les recouvrant.

Dans l’angle opposé à ma place trônait le buffet, jouxtant la porte de la cuisine – le coffre au trésor de ma mère et son royaume. Elle rangeait dans le premier tout l’héritage ménager et régnait sur le second en souveraine exclusive – gare à celui qui aurait déranger le contenu d’un tiroir à la recherche de friandises cachées. De cette porte parvenaient tous les fumets annonçant le menu. Malheureusement, entre mes deux souvenirs, rien ne distinguait les arômes : nous avions dîné d’un velouté aux morilles – tous les adultes en extase désapprouvant mon écœurement – d’une oie farcie aux poires – pour ceux qui ont fini leur velouté ! – et d’un soufflé aux fruits rouges – spécialité de Maman qu’on regrettait de ne pas goûter plus souvent.

Enfin, à droite de la pièce, le coin détente reliait la porte de la cuisine et celle du couloir : le canapé gris sur lequel reposaient les manteaux des convives – le chat y avait certainement trouvé refuge ; le meuble à liqueurs que Papa n’ouvrait que les soirs d’épuisement – j’entendais les charnières grincer chaque nuit d’hiver ; et la table basse, si vide en ce jour de fête alors qu’elle pétillait au fil de l’an sous l’effervescence de nos loisirs d’enfants – c’est que, chaque fois que nous recevions, la nécessité de paraître une famille ordonnée éventait toute trace de notre personnalité.


Dans ce cadre aseptisé, neuf convives s’animaient. Quatre personnes à ma droite, quatre autres à ma gauche, comme les rameurs d’une galère dont j'aurais occupé le poste de capitaine. En revanche, les têtes et les places différaient d’une date à l’autre.

Sur le premier cliché, Pépé Jean était encore vivant. Il se tenait deux places à ma gauche, juste après Mémé Monique. Pépé Jean s’installait toujours là, chauffant sa vieille échine contre les flammes imaginaires de la cheminée. À sa gauche se pavanait mon grand frère, Thomas, tout heureux de s’afficher au centre de sa lignée patronymique. Papa venait donc en bout, d’où il pouvait facilement se lever pour aider Maman en cuisine – dans les faits, cela n’arrivait jamais. À tribord, ma mère accaparait évidemment la place face à mon père, au plus proche de la cuisine : idéal pour évacuer les surcharges d’agacement causées par la belle-famille. D’autant plus que Tonton Jacques tenait à s’installer à ses côtés, pour se vanter d’être entouré des deux plus belles femmes de la soirée, blague à laquelle seule Tante Hélène, son épouse, daignait feindre un rire gêné. Enfin, juste à ma droite, sur la chaise en plastique, dos à la porte du couloir et à ses courants d’air, siégeait Tante Liliane, la benjamine de Papa et Tonton Jacques. Elle prétendait ne pas s’indisposer de l’inconfort évident, mais ses fréquentes grimaces et ses gesticulations témoignaient contre elle. Comme le lui avait répliqué Tonton Jacques, il faut bien que quelqu’un occupe la neuvième chaise, t’avais qu’à arriver à l’heure.

Cinq ans plus tard, Pépé Jean n’était plus parmi nous et Tante Liliane avait enfin trouvé un compagnon, Paul. Papa ne le supportait pas, mais n’avait pas déniché de prétexte acceptable pour refuser de l’inviter. En revanche, avant l’arrivée des convives, il s’était fermement opposé à l’idée que Paul prenne la place de Pépé Jean devant la cheminée : il se l’était donc appropriée, sacrifiant au beau-frère la chaise qu’il occupait tout le reste de l’année. Mémé Monique restait à ma gauche et Tante Liliane s’insérait entre son homme et son frère, ravie d’un tel bond dans la hiérarchie du tour de table. La chaise en plastique revenait à Thomas, qui l'avait négociée contre le droit de se lever avant la fin du repas – à quinze ans, il faut bien décrocher quelques privilèges. Maman ne quittait pas son poste près de la cuisine, Tonton Jacques se réjouissait de pouvoir ressasser sa blague et Hélène gagnait l’occasion de s’émerveiller quinze fois de la croissance de Thomas – auquel la chaise en plastique ajoutait cinq honteux centimètres – avant de critiquer d’autant mon mutisme – il parle toujours aussi peu, celui-là !

— C’est pas un bavard, non, expliqua Papa en mastiquant un quignon de pain. Il est plutôt de nature à tout observer et enregistrer : fais gaffe à ce que tu dis, tu risquerais de te retrouver dans les livres qu’il veut écrire plus tard !

Malgré cette légère variation de la disposition des convives, l’humeur générale était semblable d’un cliché à l’autre : drapeau rouge, avis de tempête. Étonnamment, à cinq ans d'écart, l'objet de discorde demeurait le même : les langues s’écharpaient sur la vente de la maison familiale.


Au premier Noël, ce fut Tonton Jacques qui jeta le sujet sur la table comme un manchot lancerait sa boule sur une piste de bowling. Jacques, voyons, il y a des enfants, s’était offusquée Hélène sitôt la récente transaction qualifiée d’incommensurable connerie. L’adjectif avait beau être long, il m’était déjà familier – Maman s’est toujours félicitée de mon riche vocabulaire. Ce qui m’échappait en revanche, en tous cas à l’époque, c’était en quoi le changement de propriétaire des murs affectait la mémoire de mon oncle.

— C’est tout un pan de nos souvenirs d’enfance que vous venez de sacrifier sur l’autel du fric.

Les arguments de mes grands-parents, pourtant factuels, n’avaient pas aidé à ma compréhension. Pépé Jean incriminait la vétusté de la bâtisse, qui menaçait de s’écrouler si l’on n’entreprenait pas une somme de travaux aussi urgents que dispendieux ; Mémé Monique déplorait une trésorerie qui chutait aussi vite que s’élevaient leurs besoins en soins de santé. Je dus être le seul à l’entendre murmurer que la vente financerait la chimio de Pépé Jean – mon vocabulaire réclama vainement la signification de ce mot nouveau, auquel la bouche édentée de Mémé Monique donnait une mélodieuse consonance russe.

J’appris ensuite qu’un promoteur devait raser cent ans d’histoire familiale pour entasser des pigeons dans d’immondes clapiers et s’engraisser sur leur dos. Mon imagination d’enfant peinait à comprendre de quoi il retournait. Thomas ne s’en tirait guère mieux : il demanda à Papa s’il n’y avait pas déjà des cages à lapins dans le cabanon au fond du jardin. Je crus que sa question donnerait lieu à une clarification – mes molaires s’acharnaient sur un morceau nerveux de la cuisse d’oie : j’espérais une assimilation plus aisée des idées que des mets.

Les remarques fusèrent de tous côtés, et je peinais à distinguer d’où jaillissait chaque argument. Il n’y a jamais eu de lapins parce que Pépé Jean rechignait à les tuer ; les cages auraient servi de maisons de poupées à Tante Liliane, bien qu’on n’installe pas des cages aussi immondes pour des poupées – il y avait donc forcément eu des lapins avant ; le bordel entassé dans le cabanon empêchait son utilisation pour toute autre chose, une lapine n’y aurait pas retrouvé ses petits ; à propos de bordel, Tonton Jacques aurait emmené plusieurs filles entre ces vieux murs pour des raisons qu’on n’explique pas devant des enfants, même si les raisons en question rappelaient qu’on parlait initialement de lapins – il n’y a pas que les murs qui étaient branlants, plaisanta Papa, usant d’un adjectif dont les multiples sens m’échappaient alors. Tous les usages possibles d’un cabanon de jardin furent ainsi avancés, contestés, étayés, réfutés par des arguments qui pour la plupart me dépassaient.

Maman calma une première fois les esprits échauffés en annonçant que l’oie refroidissait : elle proposa un dernier service ; je préférais garder de la place pour savourer la suite des débats. Thomas dut sentir ma déception de voir le silence napper les assiettes : il m’adressa un clin d’œil puis demanda à l’assemblée si, après la vente, quelqu’un dormirait dans sa chambre de la cave, celle qui puait le moisi.

— Comment ça, ta chambre ? s’offusqua Tonton Jacques. Cette pièce, c’est moi qui l’ai remise à neuf quand j’étais ado. Ça a été ma chambre pendant huit ans avant que certains la transforment en débarras.

Pépé Jean s’offusqua, assurant s’être chargé lui-même des travaux de cette pièce. J’assistai alors à une partie de tennis endiablée, Tonton Jacques et Pépé Jean s’envoyant leurs répliques d’un côté à l’autre de la table par-dessus des branches de houx terrorisées.

— Ah oui, c’est vrai, grâce à ta super dalle, l’humidité remontait par les murs après chaque pluie. Pour le reste, c’est moi qui…

— T’as dû laver deux fois les outils quand j’ai posé le carrelage, et peut-être filer un coup de main pour le placo.

— C’était pas du placo, j’avais étalé un enduit à même le mur.

— Écoute, Jacques, j’ai encore la facture si tu veux. Ta mère doit se rappeler combien j’ai pesté en descendant les plaques par l’escalier, tout ça pour au final les recouper parce que la pièce était trop basse.

— Trop basse ? La cave avait le plafond le plus haut de la maison ! C’est pour ça qu’on la chauffait si mal et que j’avais installé un lit superposé !

— Les ados se font souvent une idée exagérée des dimensions, tu sais. La pièce était basse. D’ailleurs, quand j’ai changé le papier peint avec ta mère, j’ai juste eu besoin d’un tabouret.

— Mais y avait pas de papier peint puisque je te dis que c’était un enduit à même le mur !

Papa effectua quelques tentatives d’arbitrage, mais il s’effaça au rappel qu’à cette époque il mangeait encore ses crottes de nez. Je l’imaginai les extrayant de son gros pouce, celui-là même qu’il nous proposait lorsqu’il nous prenait sur le fait – tu veux mon doigt ? On convint toutefois qu’après l’émancipation de Tonton Jacques, cette pièce occupa toutes les fonctions imaginables : débarras, atelier, chambre d’amis, garde-manger, bureau, salle de jeux des petits-enfants – Papa se risqua même à demander si l’on n’y avait pas installé des clapiers. Paraît-il que j’y aurais moi-même séjourné étant bébé mais je n’en garde pas la moindre image, et cette longue discussion ne m’aida pas à m’en représenter les contours. Plus les échanges avançaient, plus chaque évocation floutait la représentation que je tâchais d’en bâtir. On aurait cru que chaque convive parlait d’une pièce différente tant leurs propos s’entrechoquaient sur des notions aussi évidentes que les couleurs ou les dimensions.

— On a tous des souvenirs gravés sur les murs de cette pièce. En vendant la maison, vous cautionnez leur effacement.

Cette vocifération de Tonton Jacques résonne encore dans ma mémoire ; je mis pourtant longtemps à en saisir toute la teneur. Dans le silence qui suivit, on entendit à peine le murmure désolé de Mémé Monique : de toute façon, la maison allait tomber d’elle-même. Profitez plutôt de vos souvenirs tant qu’ils tiennent debout.

— En parlant de tenir debout, les soufflés sortent du four ! Faut les manger maintenant avant qu’ils retombent, conclut alors Maman avec son inégalable sens de l’à-propos.

La douceur du dessert mit fin à l’enregistrement de la scène dans ma mémoire. J’avais beau déjà rêver de devenir romancier, mes priorités restaient celles d’un enfant.


J’ignorais alors que je revivrais la même scène cinq ans plus tard. Cette seconde fois, ce fut encore Tonton Jacques qui déclencha les hostilités dès la première bouchée d’oie.

— Ça y est, ils ont posé la première pierre de leur complexe immobilier à la con juste à l’endroit du cabanon !

Il fallut bien entendu détailler à Paul le contexte d’un tel propos. Bien que personne à table ne l’appréciât vraiment, il eut droit à des explications bien plus fournies que celles que j’avais reçues cinq ans plus tôt. On lui parla de la maison et de son histoire, puis Tonton Jacques dressa les grandes lignes de l'immeuble censé la recouvrir. Cette fois, je compris de quoi il retournait sur ce sujet que Papa n’abordait jamais en notre présence.

Pour s’attirer la sympathie de Tonton Jacques plus que par son opinion propre, Paul considéra l’emplacement inapproprié pour un tel projet résidentiel.

— C’est peut-être inapproprié mais c’est fait, râla Tonton Jacques. Certains ont jugé utile de vendre nos souvenirs pour les enterrer sous cette horreur qui ne sera jamais peuplée que par des prolos de passage.

À l’exception de Maman, qui mâchait en silence, tout le monde renchérit en même temps, si bien qu’aucun propos ne me parut intelligible – mais peut-être le constat eût-il été le même si chacun avait parlé à tour de rôle. Il fut question d’élevage de lapins et de dépeçage de patrimoine, de stockage d’outils de jardinage et de défiguration du paysage, de maisons de poupées aux occupants interchangeables et de jeux d’adultes que je n’étais pas censé entendre – et encore moins répéter.

Avant de suggérer une deuxième tournée d’oie, Maman fit remarquer qu’on avait déjà tenu un tel débat trois ans plus tôt et qu’il était resté stérile. Tous les grands acquiescèrent sur le fond, mais Tonton Jacques proposa une date plus récente en rappelant que la vente n’avait été actée qu’il y a deux ans. Mémé Monique s’étonna, puisque Pépé Jean était alors parmi nous, ce qui situait l’événement au moins quatre ans auparavant ; Tante Liliane renchérit en assurant qu’elle ne s’était pas jointe à nous depuis qu’elle fréquentait Paul, voilà six ans. Alors que celui-ci s’apprêtait à ouvrir la bouche, je discernai dans le regard de Maman un prompteur afficher Je me contrefous de la date exacte, je veux juste que vous la fermiez et qu’on termine ce repas en paix ! Je rentrai la tête dans les épaules en la voyant lever la cuillère de service, craignant qu’elle ne la balance dans le premier visage venu.

— Qui reveut de l’oie, du coup ? s'enquit-elle poliment.

Bien qu’il ne se resservît pas et fût autorisé à sortir de table, Thomas m’adressa un clin d’œil puis, comme la fois passée, il demanda à l’assemblée ce qui s’élèverait à l’emplacement de sa chambre de la cave, celle qui puait le moisi.

— Comment ça, ta chambre ? s’offusqua Tonton Jacques. Cette pièce, c’est moi qui l’ai remise à neuf quand j’étais ado. Ça a été ma chambre pendant dix ans avant que certains la transforment en débarras.

Mémé Monique s’agaça, avançant son droit de gérer sa maison comme elle le souhaitait une fois les enfants émancipés. J’assistai alors à une féroce partie de ping-pong, Tonton Jacques et Mémé Monique s’envoyant leurs répliques d’un côté à l’autre de la table par-dessus des branches de houx blasées.

— En plus, la pièce était beaucoup trop basse et humide pour y stocker grand-chose durablement, il aurait mieux valu tout mettre au grenier.

— J’étais plus tranquille en bas pour ma couture, surtout après que ton père a changé le papier peint.

— Mais y avait pas de papier peint dans cette chambre ! C’était un enduit que j’avais étalé à même le mur ! Papa aurait pu confirmer : il m’avait filé de l’argent de poche pour que je le fasse en boulot d’été.

— Laisse ton pauvre père en dehors de tout ça, tu veux ?

— En tous cas je me rappelle avoir utilisé les sous pour acheter un lit haut, j’étais allé le chercher au magasin avec Richard en mobylette.

— Y a jamais eu de lit haut dans cette chambre ! C’était un lit standard, j’y posais les chemises de ton père quand je repassais !

— Preuve que vous aviez déjà commencé à empiéter sur mon domaine et mes souvenirs avant même de vendre la maison, tu vois !

— C’est normal de recycler les pièces quand les enfants partent, tempéra Paul d’une voix aussi plate que son propos. On a tous des endroits comme ça à la maison !

En effet, j’avais compris depuis la fois passée que l’emplacement de cette pièce, à l’écart au sous-sol, en avait fait un entrepôt idéal pour réceptionner les souvenirs perdus de tous les membres de la famille. À force de questionnements, j’avais découvert ce que chacun y avait semé : Thomas y aurait retrouvé des bonbons au piment dans une boîte de gâteaux reconvertie en nécessaire à couture ; Mémé Monique y aurait confectionné d’interminables tricots pour éponger le deuil de Grand-Mamie ; Tante Liliane y aurait perdu sa virginité ; Pépé Jean y aurait rédigé plusieurs correspondances secrètes ; Papa s’y serait rendu en cachette pour feuilleter les revues de Tonton Jacques ; Maman y aurait perçu la présence d’esprits errants ; Grand-Papy y aurait caché une famille de juifs pendant la Guerre ; …

Ainsi, cette seconde fois, je compris mieux l’énervement de Tonton Jacques à l’idée qu’un tel mausolée soit effacé par un immeuble sans âme. Je ne possédais du lieu qu’une somme de souvenirs rapportés, tandis que lui y avait vécu des instants de première main.

— Chez nous, ajouta Paul, c’est une dépendance au fond du jardin qu’on a transformée tantôt en débarras, tantôt en chambre d’amis.

À ces mots, je vis le nez de Tonton Jacques plonger vers son assiette où quelques os surnageaient dans un reste de sauce. Tandis que Maman débarrassait, Papa demanda naïvement à son frère s’il ne confondait pas la chambre de la cave avec le cabanon. Mémé Monique ricana en nous contant une lubie de mon oncle, alors âgé de quinze ans : lassé de partager les murs avec le reste de la famille, il s’était mis en tête d’emménager dans le cabanon qu’il avait rénové et meublé sommairement ; l’approche de l’hiver l’avait vite fait déchanter et regagner sa chambre du sous-sol.

— Oh, c’est bon, c’était y a trente ans, ça arrive à tout le monde de se mélanger dans les vieux souvenirs ! bougonna Tonton Jacques. Et puis c’est pas la vérité qui importe dans ces trucs-là mais l’impression qu’on en garde.


Je n’ai jamais visité cette maison et son cabanon mais leur image s’est néanmoins imprimée dans mon esprit avec la netteté d’un tableau de Monet, enveloppée de la douce onctuosité d’un soufflé aux fruits rouges.

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