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Un bruit de talons retentit dans le couloir, faisant se dévisser toutes les têtes au passage. Cela ne pouvait être qu'illusion ! Et pourtant, ce n'en était pas moins la réalité.
Tous les regards convergeaient vers elle : quel genre de femme oserait pénétrer en ces lieux ? Et comment se faisait-il que les Vigilants l'aient laissée franchir la Frontière ?
Si sa venue semblait en déranger plus d'un, ce ne fut pas le cas de tous : un type mal rasé aux cheveux gras et hirsutes, agrippé aux bareaux de sa cage, brâmait tel un animal en rut en sautant dans tous les sens.
- Hé ! Viens par ici, ma poulette ! Viens, on va s'amuser un peu, tous les deux !
L'ignorant de façon spectaculaire, la jeune femme continua sa route.
- Hé ! Ho ! reviens ! Ho, pétasse ! Reviens ici, sale p...
Il ne put terminer sa phrase : une douleur fulgurante transperça son bras, lui arrachant un cri. La donzelle le regarda, un sourire diabolique aux lèvres, tandis qu'il se tordait sous le poids de son supplice.
Deux hommes avaient assisté à la scène, quoiqu'ils s'étaient jusqu'alors montrés totalement inexistants. Le premier, dans un élan de bon sens, se leva de son bureau en criant un autoritaire "ça suffit !", comme s'il s'apercevait seulement de la présence de l'étrangère. Puis, plus posément :
- Mademoiselle, je vous prierais de vous expliquer.
Le second, plus âgé, peina à se redresser.
- Ce n'est pas un endroit pour une femme...
Les femmes, c'était pour ainsi dire une espèce rare dans cette partie du pays. Depuis la Séparation marquant le début du Nouveau Calendrier, seule une dizaine de membres du sexe faible résidait dans le Nord, et ces personnes étaient toutes listées dans un grand registre. Ces données étant consultables depuis la bibliothèque dans laquelle Henri Vincent avait l'habitude de se rendre –le motif de ses visites hebdomadaires restait un mystère pour tout le monde, d'autant plus qu'il était analphabète–, il ne lui fallut guère plus d'une demie-seconde pour prendre conscience de la supercherie.
- Vous... Vous n'êtes pas une Nordienne, n'est-ce pas ?
Voyant que l'inconnue ne répondait pas, il haussa le ton :
- Vous êtes une clandestine ? C'est bien ça, hein ? Vous avez réussi à tromper les Vigilants ? Mais prenez garde, rebelle : votre mouchard, lui, ne se trompe jamais. Oui, je le vois qui clignote : Ils sont à votre poursuite ! Ils vont venir vous fusiller sur-le-champ, et vous regretterez votre désobéissance ! gronda-t-il en pointant un doigt accusateur sous le nez de la gêneuse.
Une tempête de silence s'abattit aussitôt. Seuls les échos distordus du type aux cheveux gras apportaient une touche de vie à cette scène de nature morte.
Ne prêtant aucune attention aux propos diffamatoires, la blonde libéra sa victime de son emprise et, remarquant son tatouage –une espèce de revolver de cow-boy tirant des billets de banque–, cracha :
- Joue encore au con avec moi, Calamity Jane, et je te jure que je t'arrache la langue !
Il parut tout d'abord étonné, mais fut rapidement pris d'un fou-rire intarissable, auquel céda le vieux gardien.
- Henri, un peu de sérieux, bon Dieu ! souffla son collègue. Vous savez, dit-il à l'étrangère, il a raison. Nul ne peut outrepasser les règles sans en subir les conséquences. Vous agravez votre cas...
- De toute manière, je suis déjà condamnée, à en croire votre ami. Alors, à quoi bon ? Ma rédition ne serait d'aucune utilité, fit-elle dans un murmure quasi-inaudible.
Et, comme si ce n'était pas assez, un troisième homme en uniforme apparut.
- Ah, Phil ! s'exclama-t-elle sans même se retourner.
Ce dernier jeta un regard interrogateur aux deux autres. Le plus jeune s'avança, penaud :
- Hum... Et bien, c'est que... Euh... (il bafouilla, bien en peine de trouver ses mots) Elle est entrée comme ça, on ne l'a pas vu venir, c'est une clandestine, et...
- Détends-toi, Romy ! 'Va pas t'manger, l'interrompit l'un des prisonniers.
Phil sourit, malicieux :
- Sait-on jamais...
Et il se contenta de tendre la main à la nouvelle venue.
- C'est pas souvent que des rebelles parviennent à aller aussi loin. En général, ils se font chopper en escaladant la Frontière, et avec les barbelés, c'est tout juste si les survivants tiennent encore sur leurs jambes à la descente... En tout cas, je suis enchanté de faire votre connaissance. Philippe Chapuis à votre service !
La blonde éclata de rire devant la gestuelle volontairement caricaturale de l'homme, répondant à ses courbettes par un salut militaire. Ce geste, si anodin à une époque pas si lointaine, était à présent passible de la peine capitale. Henri Vincent voulut faire un commentaire, mais il se ravisa.
- Donc, euh... (Phil se gratta la tête) Puis-je vous être utile, mademoiselle, euh...
- Skylar.
- Puis-je vous être utile, mademoiselle Skylar ?
La question resta un temps en suspens, comme flottant dans les airs. Enfin, la fille répondit :
- Oui. Je viens voir Gary.
- Gary ?
- Menendez.
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