1
"Le chagrin aiguise les sens ; il semble que tout se grave mieux dans les regards, après que les pleurs ont lavé les traces fanées des souvenirs"
- Romain Rolland (Jean-Christophe)
- Ouiiin ! braillait le bébé, que le fracas du verre venait de tirer de son sommeil.
Le pauvre, terrifié, manquait de s'étouffer dans ses sanglots.
- Ouiiin ! Ouiiin ! criait-il, chaque fois plus fort.
La femme n'eut pas la moindre réaction, se contentant de fixer le néant. Puis, prise de spasmes, elle se laissa choir au sol. Des deux, ce fut la petite qui agit en adulte : elle sauta du lit et, quoiqu'elle comprit –une rivière de larmes macula son visage–, gagna à grandes enjambées la chambre du bambin. Toute la nuit, elle resta à son chevet, le berçant, lui contant des histoires.
- Shhh... Faut pas avoir peur. Je suis là, tout va bien, chantonna-t-elle de sa voix cassée.
Du haut de ses quatre ans, elle paraissait étonnement plus âgée ; non pas qu'elle eût des rides, mais de par son exceptionnelle maturité, on lui donnait facile le double.
- Ne pleure pas, avait-elle dit, ignorant au mieux la souffrance qui la rongeait.
Elle glissa ses petites mains dans les cheveux fins de son protégé et entonna une comptine :
Petite lumière du matin,
Brille, brille au bord de mon coeur.
Petite lumière du matin,
Brille, brille dans mes mains.
Petite lumière du matin,
Brille, brille au bord de mon coeur.
Petite lumière du matin,
Chasse, chasse mon chagrin.
Et, ensorcelée par ses propres paroles, elle s'écroula sur le parquet.
Lorsqu'elle émergea, le sol lui sembla s'agiter, comme s'il allait bientôt se dérober sous ses pieds. la gamine se redressa –non sans effort– et se dirigea vers le lit du petit.
Vide.
Annotations