Anata
La mer s'agitait, faisant chavirer les deux seuls bateaux visibles depuis la rive. La houle s'accentuait davantage. La pluie se mit à tomber. De grosses gouttes alimentaient toujours plus l'océan. Le ciel pleurait. Il était triste. Il voulait l'exprimer. Les navires étaient trempés, il était impossible pour leurs occupants de voir devant eux. Leur vue était brouillée à cause d'une pluie incessante. Interminable.
Sous leurs pieds, la mer rougissait. D'un rouge fade, marqué par le sel.
L'eau ruisselait sur ses joues rougies ; ne cessait de couler. Recroquevillée sur elle même, la tête sur les genoux, seule, elle se détestait. Elle se frustrait elle-même d'être aussi incapable. De ne pas être arrivée à protéger son peuple. En rêve, chaque nuit, elle les entendait. Elle les revoyait. D'abord le feu, et les cris. Puis les soldats, affublés de leurs horribles rictus haineux. Prêts à réduire à néant cette paix qu'elle avait eu tant de mal à construire. Et Fraar, son serviteur le plus fidèle, qui lui avait hurlé de s'enfuir. Son propre entêtement à rester près de son peuple. Celui qui avait coûté la vie de Fraar. Cette fuite horrible, cette impuissance face à la mort de tant des siens. Et lui. Était-il toujours en vie ? Elle espérait tant le revoir. Mais après une guerre comme celle-ci, y avait-il seulement une chance ? Elle priait pour qu'il ne soit pas mort. Ses pleurs s'accentuèrent à cette seule pensée. Son royaume détruit, ses amis et son peuple anéanti, elle n'aimait plus que lui. En réalité, de tous, elle n'avait jamais aimé que lui. Même quand ils étaient tous là, elle ne voyait que lui.
Droit devant, aujourd'hui, elle ne pouvait plus rien voir. Pourtant, elle regardait. Fixement.
Ses yeux, embués de larmes distinguaient une lumière. Au loin, le soleil se couchait. Elle commença à avoir froid. Au début, elle grelottait à peine. Mais, progressivement, elle fut secouée de violents tremblements. Elle tenta de les arrêter, en vain. Elle avait bien trop froid. Elle se dit qu'elle mourrait là. Que c'était tant pis pour elle. Un juste retour des choses en somme. C'est comme ça que ça aurait dû finir de toute manière, se disait-elle. Elle ne comprenait pas pourquoi elle n'avait pas eu droit au même sort que les autres.
Son esprit vagabondait alors qu'elle continuait de fixer la lumière, inexpressive. Lorsque d'un coup, l'obscurité s'installa. Devant elle, à présent, elle voyait une masse. Elle ne comprit pas tout de suite. Levant la tête, elle tenta de regarder ce qui avait obstrué sa vue. Un homme, grand, se tenait là. Il la fixait. Soudain, elle comprit. Ces yeux. Ces yeux si profonds qu'elle ne pouvait s'en détacher. Ceux dans lesquels elle s'était perdue tant de fois. C'était lui. Il était là. Elle n'arrivait pas à y croire. Elle resta assise, muette, trop étonnée pour bouger ou parler. Alors, il lui sourit. Elle voulut l'enlacer, mais n'en fut pas capable. A la place, elle pleura. Elle ne pouvait plus s'arrêter. S'approchant d'elle, il eut, lui, le courage de la prendre dans ses bras. Et, comme s'il avait deviné ses pensées, murmura:
"Moi aussi".
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