5. L'autre Monde
Stéphane, assis devant le poêle, regardait les flammes danser. Il 8 répétait silencieusement les mots que le prêtre avait prononcés avant son départ :
"Au-delà du feu."
Ces paroles tournaient en boucle dans son esprit, insaisissables, obsédantes. Une énigme qu’il devait résoudre.
Qu’est-ce que cela signifiait ? Était-ce une simple métaphore ou bien cela faisait-il référence à quelque chose de plus tangible, de plus mystique ?
Les événements des derniers jours lui revenaient en mémoire. Les inscriptions mystérieuses au sol, les runes qui murmuraient des secrets oubliés, la fillette s’évanouissant dans le grenier et pour finir, cette pierre noire.
Il ne pouvait s’empêcher de penser que cette maison était bien plus qu’un refuge. Le prêtre avait raison sur un point : cette maison était une clé vers un mystère bien plus grand. Il était au cœur de quelque chose d’immense, et en était désormais une pièce maîtresse.
Sous la douche, il ferma les yeux. Il laissa l’eau chaude ruisseler sur son visage. Chaque goutte emportait avec elle une parcelle de ses doutes et de ses peurs. Au fond de lui, il savait qu’il était à un tournant, que sa vie allait changer, mais dans quelle mesure ?
Il repensa à la pierre noire. Elle était lourde de mystères, presque vivante entre ses mains. Etait-il prêt à franchir cette porte, à découvrir ce qui se trouvait... Au-delà du feu ? Ces mots s’insinuaient dans ses pensées.
Il se figea.
Comment avait-il pu passer à côté ? Il avait la réponse sous les yeux au quotidien. Il cessa de respirer :
- Le passage est dans la cheminée, dit-il à voix haute !
Il sortit de la douche et se sécha rapidement puis il descendit en courant dans la pièce à vivre. Il fixa son attention sur le poêle où des braises restantes finissaient de se consumer tout doucement. Il sortit la pierre noire de sa poche et s’agenouilla devant le cantou, l’observant sous tous les angles.
Il passa la pierre devant le mur, cherchant un mécanisme caché.
Rien.
Il renouvela son geste plus haut, plus bas. Toujours rien. Il recula d’un pas, les sourcils froncés.
Il était sûr de toucher au but
Ses doigts passèrent nerveusement dans ses cheveux. Il ferma les yeux, tentant de se remémorer les paroles du prêtre.
"Quand l’ombre et la lumière se mêleront... Quand le cœur saura embrasser son reflet."
Pensif, il leva les yeux vers la cheminée. Les derniers rayons du soleil pénétraient par une étroite fenêtre en ogive. Ils projetaient des motifs complexes sur les murs de pierre.
- L’ombre et la lumière... c’est ici, murmura-t-il en scrutant les projections.
Il observa la pierre noire sous la lumière. Sous le faisceau doré, une gravure en son centre s’illumina brievement. Stéphane retint son souffle. Il tenait quelque chose. Il chercha où insérer la pierre. Son regard balaya la pièce, jusqu’à ce qu’un objet posé le long du mur le figeât.
Le miroir.
Il s’en approcha, le cœur battant. Lorsqu’il plongea son regard dans la surface ternie, son reflet lui apparut, fatigué, lointain... puis quelque chose changea. Derrière lui, une scène se forma.
Corinne.
Elle était assise sur le canapé, un livre entre les mains. Elle le regardait. Son sourire brillaait dans la lumière du soir. Puis elle éclata dans un rire, doux, cristallin, qui semblait traverser le temps.
Stéphane sentit une boule se former dans sa gorge. La douleur le submergea mais il ne détourna pas les yeux. Puis, la scène s’effaça, ne laissant que son propre reflet.
Il savait maintenant ce qu’il devait faire. Il prit le miroir avec une lenteur presque cérémonieuse. Un frisson courut le long de ses bras. Il était prêt. Il se glissa derrière le poêle, plaça le miroir devant le mur et leva la pierre noire. Les dernières lueur du jour caressèrent sa surface, renvoyant un éclat scintillant vers le verre. Une étrange sensation de paix se fit jour dans son esprit, comme si Corinne lui soufflait doucement qu'il était temps d’avancer. La douleur, bien que présente, ne devait plus être un obstacle, mais un catalyseur pour ce qui était à venir.
Une vibration parcourut l’air avant que Stéphane ne répétât les mots du prêtre :
- Le cœur doit embrasser son reflet...
Il tendit une main hésitante vers le miroir mais au lieu de rencontrer le verre froid, sa paume traversa la surface, comme s’il plongeait la main dans l’eau.
Un grondement sourd résonna. Le mur derrière le poêle se déforma, puis se dissout lentement sous l'effet de la lumière qui irradiait maintenant de la pierre. Une lueur diffuse émana du vide qui se formait, tandis qu’une fine brume argentée tourbillonnait en volutes hypnotiques. Elle dansait et ondulait, puis prit forme peu à peu pour créer une arche imposante, translucide
Stéphane hésita. Il avança d’un pas, le souffle court, la pierre noire serrée dans sa main. La brume semblait presque vivante, pulsant au rythme d'une force invisible. Le poêle s’était éteint subitement et la pièce devenue glaciale, pourtant, un étrange magnétisme l’attirait.
- Une porte entre deux Mondes, s'entendit-il dire, serrant touours la pierre au creux de sa main.
Devant l’arche, à travers la brume, il vit des éclats de lumière et d’ombre se mêlaient en un ballet envoutant, comme si une infinité de possibilités se déployaient de l’autre côté. Une pensée s’imposa avec une brutalité désarmante. Cette maison, ce monde qu’il connaissait... Tout cela serait peut-être perdu à jamais. Et si la porte ne s’ouvrait plus ? S’il restait coincé dans ce lieu étrange, seul, pour l’éternité ?
"Attention... Certaines portes, une fois franchies, ne peuvent être refermées."
Il recula d’un pas, pris dans l’étau de l’hésitation. Puis, contre toute attente, un souvenir s’imposa à lui, celui de sa femme. Il sentit ses mains se poser sur ses épaules et entendit sa douce voix flotter jusqu'au creux de son oreille :
"C’est en avançant qu’on trouve les réponses."
Il ne fuirait plus sa douleur, il l'affronterait. Stéphane prit une dernière inspiration, ses épaules se redressant légèrement :
- Je dois savoir.
Il passa sous l'arche.
La surface argentée ondula. Elle sembla s’ouvrir pour l’accueillir. Une résistance étrange se fit sentir, douce mais implacable, comme un dernier test. La brume s’écarta légèrement, dévoilant un éclat fugace, des fragments de paysages inconnus, des ombres de silhouettes étranges, et une lumière qui semblait venir d’un lieu hors du temps.
Malgré le poids de ses doutes, il franchit le voile.
Le froid l’enveloppa instantanément, et un silence assourdissant remplaça le grondement de la pièce. Stéphane sentit son cœur s’accélérer, et lorsqu’il ouvrit les yeux, ce n’était plus la même réalité qui l’attendait.
Le monde qui s’étendait devant lui était à la fois terrifiant et magnifique.
Instinctivement, il se retourna et regarda derrière lui. Sa ferme en pierre se tenait là, solitaire et familière. Mais, la porte de brume disparaissait, lentement remplacée par une large porte en bois, usée par le temps.
Il posa une main tremblante sur la lourde poignée métallique et tenta de l’ouvrir, mais elle resta obstinément fermée, verrouillée à double tour. Un frisson lui parcourut le dos.
Il recula d’un pas, fixant la bâtisse en pierre d’où il venait de sortir. Aucun bruit ne venait troubler l’étrange silence du lieu. Tout semblait figé, comme suspendu hors du temps. Il était désormais coupé du monde qu’il connaissait. Le battement régulier de son cœur était la seule chose qui lui rappelait qu’il était encore vivant. Il pivota lentement, ses yeux se posant pour la première fois sur l’horizon.
Ce qu’il vit lui coupa le souffle :
Ce nouvel univers s’étendait devant lui, vaste et mystérieux, d'une blancheur immaculée, comme une toile immense peinte par une main divine. Le sol était recouvert de neige qu'une lumière, ni solaire ni lunaire, faisait briller.
Son regard parcouru avidement ce paysage hors du commun. La vallée, couverte d’un manteau blanc scintillant, s’étirait à perte de vue, bordée par des montagnes imposantes dont les sommets translucides semblaient flotter dans un éther argenté.
Les arbres, dépouillés de leurs feuilles, se dressaient tels des sculptures de glace, leurs branches recouvertes de cristaux givrés reflétant une lumière douce et diffuse. L’air était vif, presque mordant, chargé d’une pureté saisissante qui brûlait les poumons à chaque inspiration. Il semblait chargé d’une énergie que Stéphane ne comprenait pas, et chaque souffle portait un parfum étrange, mêlant douceur et étrangeté.
Est-ce que tout cela était réel ?
Ce monde semblait à la fois trop parfait et trop déconcertant pour exister. Le sol glacé émettait un éclat bleuté par endroits, comme si des veines lumineuses couraient sous la surface, projetant une lueur étrange sur le paysage endormi. Il s’agenouilla, tendant une main hésitante vers la neige. Elle était douce, presque soyeuse, mais lorsqu’il la retira, un éclat de lumière s’en échappa brièvement, comme une étincelle vivante.
Stéphane se redressa brusquement, son souffle court. Tout ici semblait être imprégné d’une vie qu’il ne pouvait expliquer. Même l’air paraissait chargé d’une pulsation imperceptible, comme si ce monde respirait lentement autour de lui.
Plus loin, un ruisseau gelé serpentait à travers la vallée, son cours figé en une mosaïque de glace transparente où des bulles d’air semblaient suspendues dans le temps. Chaque souffle créait un léger nuage devant ses lèvres, se dissipant rapidement dans l’air glacial.
Il se figea un instant, hypnotisé par la scène.
Au fond de lui, il savait que cette beauté étrange n’était pas sans menace. Plus il regardait, plus il sentait une ombre invisible peser sur lui, un sentiment qu’il n’était pas seul. Ce silence absolu, ce calme presque oppressant, avaient quelque chose d’inquiétant, comme si ce monde l’observait en retour.
Il inspira profondément, tentant de calmer l’agitation dans son esprit. Ses pensées tourbillonnaient, mais une seule chose était claire : Il n’avait plus d’autre choix. La porte de son passé était close. Devant lui s’ouvrait un chemin inconnu, un monde à découvrir, avec toute l’appréhension et la fascination que cela impliquait.
Ses premiers pas furent hésitants, presque timides, mais il finit par avancer, attiré à la fois par la crainte et la fascination. Ce monde le terrifiait autant qu’il l’émerveillait. Il était à la fois un explorateur et un étranger, prêt à affronter un univers qui ne demandait qu’à se dévoiler.
La température était encore descendu de quelques degrés.
Au loin, plus haut dans la vallée, Stéphane aperçut une silhouette sombre qui contrastait avec l’uniformité éclatante du paysage enneigé. Une petite demeure, solitaire, semblait surgir de nulle part, son toit couvert d’une épaisse couche de neige. Une mince colonne de fumée s’élevait doucement de la cheminée, se fondant dans la brume argentée qui enveloppait les montagnes.
Le cœur de Stéphane s’accéléra. La simple vue de cette maison, au milieu de cette immensité glacée, évoquait à la fois un refuge et un mystère. Qui pouvait bien habiter un lieu si isolé, totalement hors du temps ?
Il ajusta sa chemise, la refermant autour de son visage pour se protéger du froid mordant.
"Quel idiot ! J'ai même pas pris d'anorak", pensa-t-il.
Il s’élança d’un pas décidé.
À chaque avancée, la neige crissait sous ses pas, et son souffle formait des nuages fugaces dans l’air glacial. La progression n’était pas facile : le sol, par endroits gelé, glissait traîtreusement, et la couche de neige devenait plus épaisse à mesure qu’il remontait la vallée. La demeure se précisait peu à peu. Elle était modeste, construite en pierre sombre, avec des volets en bois usés par le temps. Une lumière vacillante filtrait à travers une fenêtre, apportant une étrange chaleur à cette scène austère.
Un silence absolu régnait, si profond qu’il semblait amplifier le moindre craquement de la neige sous ses pas. Lorsqu’il arriva enfin à quelques mètres de la maison, il s’arrêta pour reprendre son souffle, son regard fixé sur une porte d’entrée en bois massif, vieille mais robuste. Son linteau était ornée de gravures simples représentant des formes qu’il ne reconnaissait pas immédiatement, peut-être une date de construction.
Pendant un instant, il hésita.
Était-il vraiment le bienvenu ici ?
Mais l’appel d’une possible chaleur – ou d’une réponse – fut plus fort que sa prudence. Stéphane avança, leva une main engourdie, et frappa trois fois contre la porte.
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