6. Liawen
Un moment plus tard, la porte s'ouvrit lentement. Une jeune femme se tenait dans l'embrasure. Ses cheveux blonds tressés brillaient sous la lueur du feu à l’intérieur. Elle scruta attentivement Stéphane du regard, sa posture droite, prête à se défendre,
Ses yeux clairs étaient d’un bleu perçant, glacés comme la neige de la vallée, et son regard méfiant, évalua rapidement l'apparence de cet homme. Son corps frissonnait de froid, habillé de vêtements incompréhensibles pour quelqu'un qui venait de cette région. Sa tenue simple, faite de peaux et de tissus, était parfaitement adaptée à l’environnement sauvage qui les entourait. Elle avait l'air forte et aguerrie, ses yeux ayant la dureté d'une personne qui savait se défendre seul dans la nature.
Elle ne dit rien. Elle semblait juger le visiteur.
Stéphane, lui, tremblait tellement qu’il ne pouvait à peine articuler un mot. Son souffle se condensait dans l’air froid.l se raccrocha à l’idée d’une chaleur bienvenue.
- J'ai... j'ai besoin d’aide, dit-il finalement, la voix cassée. Je suis perdu... et j’ai froid.
La jeune femme le regarda encore quelques secondes, mais lorsqu'elle s'adressa à lui, sa voix ne trahit aucune hésitation :
- Entre, répondit-elle simplement, avant de se retirer légèrement pour le laisser passer.
Il s’engouffra dans la pièce, pressé de quitter le vent glacial. ll sentit immédiatement la chaleur du foyer qui brûlait dans la cheminée. L’intérieur de la maison était modeste mais chaleureux : des meubles en bois sculpté, quelques peaux étendues sur le sol, et une odeur particulière d’herbes et de bois séchés. La première impression qu'il eut, était d'avoir remonté le temps, d'être revenu au moyen âge.
Elle referma la porte derrière lui avec un bruit sourd.
Stéphane alla s’asseoir près du feu. Ses mains tremblantes cherchaient instinctivement à se réchauffer.
- Tu viens d’où ? demanda la femme sans détour. Son regard passait des jeans délavés de Stéphane à ses baskets, une tenue incompréhensible dans ce monde.
Stéphane leva les yeux vers elle, un peu perdu. Il n’était pas sûr de savoir comment répondre :
- Je... je viens d’un endroit que vous ne connaissez pas. J’ai... je suis venu ici pour chercher quelqu’un.
Elle le scrutait toujours. Ses yeux ne trahissaient aucune expression particulière. Elle pesait chacun de ses mots :
- Chercher quelqu’un... répéta-t-elle lentement. Ça, je comprends. Mais tu dis que tu viens d’un endroit que je ne connais pas ? Elle le fixa, comme si cette phrase était plus importante que le reste.
- Tu veux dire d’une autre ville ? D’un autre pays ?
Stéphane baissa la tête. Il savait qu'il ne pourrait pas expliquer ce qu'il ne comprenait même pas lui-même. Comment parler d’un autre monde, d’un lieu au-delà de tout ce qu’il connaissait ? Mais il n’avait pas d’autre réponse.
- Oui... je suppose.
Elle garda le silence un moment. Elle observait la façon dont il se réchauffait près du feu. Puis, avec un petit soupir, elle se détourna de lui et se dirigea vers un coin de la pièce :
- Tu as faim ? lui demanda-t-elle finalement.
Stéphane hocha la tête. Il n'avait pas la force de refuser.
- Ce n'est pas grand-chose, mais... ça te réchauffera.
Elle prit un bol en bois qu'elle remplit de soupe.
Il observa alors cette femme, qui semblait si différente de ce qu’il connaissait. Elle devait avoir une trentaine d'années et vivait dans un monde rude, fait de survie et de simplicité. Mais il percevait une forme de sagesse dans ses gestes, une compréhension tacite de la nature. Une force tranquille qui le fascina immédiatement.
Elle lui tendit le bol sans un mot. Stéphane le prit avec reconnaissance. Il souffla doucement dessus pour le refroidir avant de goûter. Le goût de la soupe était fort, presque sauvage, mais il se laissa aller à savourer chaque gorgée. C’était exactement ce dont il avait besoin.
Elle s’assit en face de lui, sans détourner son regard. Le silence était pesant. Après un moment, elle reprit la parole, plus doucement cette fois, comme si elle le jugeait enfin un peu plus digne de confiance.
- Pourquoi es-tu venu ici ? Chercher quelqu’un, tu dis... mais tu es seul, sans destination...
Stéphane baissa la tête, la gorge serrée. Il n’était pas prêt à tout raconter, pas encore.
- Je cherche... une personne qui n’est plus là.
Il soupira, fixa la flamme vacillante dans la cheminée avant de poursuivre :
- Je pensais que je pourrais la retrouver ici, dans cette région...
Elle resta silencieuse un moment. Son regard se durcit :
- Le monde, ici, ne fait pas de place aux fantômes.
Ses mots étaient simples, mais lourds de sens.
- Si tu veux la retrouver, il te faudra plus que de la chance.
Stéphane la regarda, incertain de ce qu’elle voulait dire. Mais une chose était sûre. Il n’avait plus le choix. Il devait avancer et comprendre ce qu’il se passait.
- Tu as un nom ?
- Je m'appelle Stéphane... et vous ?
Elle se mit à rire, d'un rire franc, sans moquerie :
- Vous ? Je ne suis pas une princesse !
Puis, son rire cessa, son sourire se figea et elle redevint sérieuse. Elle le fixa étrangement, restant silencieuse un instant puis reprit, la voix fut plus douce, presque pensive :
- Mon nom est Liawen. Ici, je suis une chasseuse. Mais je ne m’attends pas à ce que tu me crois.
Stéphane hocha la tête et sourit timidement. Il avait encore tant à découvrir, tant à comprendre. Mais il était sûr que cette rencontre n’était pas un hasard. Liawen pourrait bien lui être d'un grand secours. Mais en quoi exactement, il n’en avait aucune idée.
Elle tourna les talons et s’éloigna quelques instants pour revenir, une peau à la main. Stéphane, perdu dans ses pensées, se laissa envelopper par la chaleur du feu. Il savait déjà que son voyage ne faisait que commencer. La porte était juste le début et ce monde portait un lourd secret.
Il posa son bol vide sur la table et sentit un regain d’énergie après le repas. Il regarda Liawen. Elle s'était assise de l'autre côté de la pièce, occupée à recoudre une sorte de tunique. Elle semblait toujours sur ses gardes, mais il décida de briser le silence.
- Liawen ? murmura-t-il.
Elle leva les yeux. Ses doigts agiles continuaient leur travail sans pause.
- Oui ? répondit-elle d’une voix neutre, bien qu’une pointe de curiosité se glissât dans son ton.
- Pourquoi m'as-tu ouvert ? Tu n’as pas eu peur de moi ? demanda-t-il, hésitant.
Elle répondit par un sourire furtif. Il ajouta :
- Tu vis seule, loin de tout. Tu aurais pu me laisser dehors.
Elle marqua une pause. Ses yeux clairs le fixèrent avec intensité.
- J’ai vu des choses bien plus dangereuses que toi, Stéphane.
Son sourire furtif s'accentua :
- Et je ne vis pas seule.
Stéphane fronça les sourcils, perplexe. Il n’avait vu personne d’autre en entrant mais avant qu’il ne puisse poser une autre question, elle émit un léger sifflement entre ses dents. Un bruit léger attira son attention, juste derrière lui.
Il tourna légèrement la tête. Une silhouette fluide et gracieuse se glissa dans son champ de vision.
Au début, il crut que c'était une panthère. Mais il vit une créature comme il n’en avait jamais vue auparavant. Elle était grande, presque à hauteur de ses hanches. Son corps était svelte et musclé, un mélange parfait de puissance et d’élégance. Son pelage gris cendré scintillait doucement à la lumière du feu, parsemé de reflets argentés qui dansaient sur sa peau à chaque mouvement.
Elle s’approcha lentement. Ses pattes puissantes glissaient sur le sol sans un bruit. Entre félin et loup, ses oreilles pointues étaient tournées vers Stéphane. Elle leva vers lui des yeux ambrés, profonds et pénétrants.
Pendant un instant, elle le fixa avec une intensité presque humaine. Il sentit un malaise devant ce regard intelligent, comme si l’animal pouvait voir directement à travers lui.
- Mon Dieu... C’est... quoi ça ? balbutia-t-il, incapable de détourner les yeux.
Liawen sourit, un vrai sourire cette fois, plein de fierté.
- Pas ça... Elle ! Son nom est Velhkan, c'est une Nylaris... mais c'est mon amie.
Velkhan inclina légèrement la tête, comme pour saluer Stéphane. Puis elle s’assit à côté de Liawen. Elle semblait paisible, mais une puissance contenue émanait de son corps, une promesse de vitesse et de force.
- Elle te surveillait depuis ton arrivée, expliqua Liawen en posant sa tunique.
- Elle sait reconnaître un cœur honnête.
Stéphane déglutit, toujours fasciné par l’animal.
- Elle est incroyable... on dirait qu’elle comprend tout.
- Elle comprend bien plus que tu ne l’imagines, répondit-elle en posant une main légère sur la tête de l’animal qui ferma brièvement les yeux. La nylaris apprécia le contact avant de fixer à nouveau Stéphane.
- Mais si tu avais eu de mauvaises intentions, crois-moi, tu ne serais pas resté assis près de ce feu.
Stéphane frissonna, non pas de froid, mais sous le poids des implications de ses paroles. Velkhan le fixait toujours. Son regard ambré le perçait. Puis, comme si elle avait jugé que Stéphane ne représentait pas une menace, elle se leva avec grâce et s’approcha de lui.
L’animal renifla sa main, avant de frotter doucement sa tête contre son bras. Il sembla à Stéphane l'entendre grogner mais c'était de plaisir. Il ressentit un mélange d’appréhension et de soulagement l’envahir.
- On dirait qu’elle t’a accepté, dit Liawen, un sourire en coin.
- Tu devrais t’estimer chanceux.
Stéphane hocha la tête, incapable de détourner les yeux de cette compagne extraordinaire :
- Je saurai m'en souvenir, marmona-t-il en souriant nerveusement.
Velkhan émit un léger grognement. Ce fut un son grave mais curieusement apaisant. Puis, elle retourna auprès de Liawen et posa sa tête sur les genoux de la jeune femme. Celle-ci passa ses doigts dans le pelage gris cendré et tacheté de reflets argentés de l’animal avant de relever la tête vers Stéphane.
- Maintenant, étranger, dit-elle calmement, il va falloir que tu m’expliques ce que tu cherches vraiment.
Tout en lui parlant, elle resta assise. Sa main caressait machinalement le pelage de Velkhan, qui ronronnait doucement, les yeux mi-clos. Elle fixait Stéphane avec une intensité presque désarmante, attendant sa réponse.
Il hésita quelques secondes mais son instinct lui souffla de se livrer. Quelque chose dans le regard bleu de son hôte en plus de la tranquillité protectrice de Velkhan, lui donna le courage de parler :
- Je ne sais pas par où commencer... C’est tellement insensé.
Liawen haussa légèrement un sourcil, sans prononcer un mot, l’invitant à poursuivre.
- Tout a commencé il y a un an, dit-il enfin, la voix chargée de douleur. Ma femme... Il marqua un temps d'arrêt puis repris, doucement :
- Corinne... elle est morte. Elle était malade et je n’ai rien pu faire pour...
Sa gorge se serra une nouvelle fois. Il détourna les yeux, mais Liawen resta silencieuse. Elle lui laissa le temps de reprendre son récit. Il raconta alors sa descente aux enfers, puis l'achat du corps de ferme :
- Un jour, alors que je travaillais, j’ai commencé à ressentir quelque chose d'étrange. Une présence. Au début, c'était subtil. J'avais la sensation d’être observé, mais ça s’est intensifié. Je me suis mis à entendre des bruits étranges, des murmures dans la maison, des ombres qui bougeaient derrière moi quand je me retournais.
Liawen fronça légèrement les sourcils, mais ne l’interrompit pas.
- Alors, j'ai placé une caméra dans la maison pour...
- Une quoi ?
Stéphane réalisa qu'il venait d'entrer dans un monde étranger au sien, et dans ce monde-là, la technologie n'existait pas. Il se reprit :
- Disons que j'ai placé un piège pour attraper une de ces ombres. Certainement une personne qui me jouait un tour...
Velkhan redressa légèrement la tête, comme si elle l'écoutait avec plus d’attention. Liawen, quant à elle ne bougea pas. Mais ses yeux devinrent plus perçants :
- Et ? Tu as pu...
- Non, la coupa-t-il. Je n'y suis pas parvenu. Puis, chaque nuit, dans mes rêves, une silhouette m’appelait. Elle était floue. Elle apparaissait comme une ombre. Mais au fond de moi, je savais que je ne rêvais pas. Je l’entendais murmurer mon nom, et parfois, ça ressemblait à la voix de...
Il s'interrompit tandis que Liawen, intriguée, se redressait légèrement.
- Une ombre ? Elle te parlait ?
Stéphane hocha la tête.
- Oui. Je sais que ça peut paraître fou. mais...
La jeune femme le regardait fixement. Il poursuivit son récit :
- J'ai trouvé des objets. dessus une écriture ancienne, que je ne comprenais pas. Un ami m'a aidé à la décrypter et elle m’a conduit à une sorte de porte que j'ai finie par ouvrir et quand je l’ai franchie, je suis arrivé ici, dans ce monde.
Un silence s’installa. Velkhan, allongée sur une carpette, posait son museau sur ses pattes. Elle regardait Stéphane avec une intensité troublante. Liawen pesa chacun de ses mots :
- Et tu crois que ta femme est... ici ? demanda-t-elle.
- Je ne sais pas, répondit-il, la voix tremblante. Mais si cette porte m’a mené ici, c’est qu’il y a une raison. Peut-être que je suis censé la retrouver, ou comprendre ce qu'il m'arrive.
Liawen resta silencieuse un moment, avant d'ajouter :
- Ce que tu décris, ces ombres, cette écriture, cette porte... je pourrais peut-être t'aider. Tu es venu chercher des réponses mais...
Velkhan grogna doucement. Un son grave qui résonna dans la pièce, comme une mise en garde. Liawen s'interrompit. Elle posa une main apaisante sur sa tête.
- Tu devrais te reposer, dit-elle enfin. Demain, j'irai voir quelqu’un. Peut-être qu’il pourra t'orienter. Mais je dois t'avertir Stéphane. A l'avenir, sois prudent. Ce monde n’est pas vraiment ce que tu crois.
Elle l’installa dans une petite remise attenante. Une simple paillasse de foin lui servit de lit. Allongé dans l’obscurité, bercé par un silence seulement troublé par le souffle du vent, Stéphane sentit ses pensées dériver. Entre son monde, désormais si lointain, et celui de Liawen, étrange et insaisissable, il se demanda si tout cela n’était pas qu’un rêve, une illusion née de son esprit enfiévré.
Au petit matin, Liawen s’éveilla avant l’aube. Elle était habituée à commencer ses journées bien avant que la lumière ne baignât les bois. Elle jeta un dernier regard à la remise où Stéphane dormait encore. Ses traits paraissaient apaisés par un sommeil profond. En silence, elle enfila un manteau de laine usé mais chaud, puis attrapa son arc.
Une vieille habitude même pour une simple visite.
Le chemin jusqu’au petit village de Kaeryn, au nord, était assez long. Il serpentait à travers une forêt dense et gelée en cette saison. Liawen avançait rapidement. Ses pas étaient sûrs et silencieux. Elles évitaient les racines piégeuses et les plaques de glace dissimulées sous la neige. Velkhan la suivait de près. Ses pattes laissaient derrière elle des empreintes légères dans la poudreuse.
Le hameau de Kaeryn était niché dans une clairière entourée de sapins majestueux, dont les cimes semblaient toucher le ciel. Liawen trouva Geilweis près de son abri. Il était occupé à fendre un tronc massif avec une hache qu’il maniait comme si elle était une extension de son bras. À la vue de sa sœur, il posa l'outil sur son épaule et la salua d’un sourire éclatant, contrastant avec sa stature imposante.
- Liawen ! Petite sœur ! Quelle surprise. Que fais-tu ici si tôt ? demanda-t-il.
l essuyant la sueur sur son front d’un revers de main alors que Liawen s’approchait. Elle jeta un regard autourd'eux pour s’assurer que personne n’écoutait :
- J’ai quelque chose à te montrer ou plutôt... quelqu’un.
- Qui ça ?
- Un homme. Il vient de loin, et il est très étrange.
Geilweis fronça les sourcils, intrigué:
- Étrange, dis-tu ? Comment ça, étrange ?
- Sa tenue, ses manières... Il n’appartient pas à ce monde, j’en suis sûre. Il prétend ne pas comprendre comment il est arrivé ici. Il cherche des réponses, Geilweis, et je pense que tu pourrais lui en donner.
Le grand bûcheron se gratta la barbe. Il réflechit quelques instants :
- Hum. Amène-le-moi. Je veux le voir de mes propres yeux. Mais sois prudente, Liawen. Nous ne savons rien de cet homme. Ils l'ont peut-être envoyé à nous...
Elle hocha la tête :
- Je le sais. Mais quelque chose en lui que je ne saurais expliquer... il ne me semble pas une menace, plutôt une aide. Velkhan...
- Quoi Velkhan ?
- Elle n'a rien dit quand il est entré. Au contraire. Elle est venu se frotter à lui. Elle ne le fait jamais avec des étrangers.
Geilweis posa une main massive mais douce sur l’épaule de sa sœur :
- Très bien. Amène-le ici. S’il dit vrai, nous trouverons un moyen de l’aider. Mais s’il ment...
Il laissa sa phrase en suspens. Son regard se durcit exprimant clairement qu’il protégerait sa sœur à tout prix, avant d'abattre sa hache.
La bûche se fendit d'un seul coup.
Liawen repartit aussitôt vers sa demeure. Velkhan bondissait à ses côtés. L'animal pressentait l’importance de cette rencontre. Lorsqu’elle retrouva Stéphane, il était déjà réveillé. Il s'était assis sur la paillasse, les mains autour d’un bol de soupe fumante qu’elle lui avait laissée.
- Tu es levé, c'est parfait, constata-t-elle. Ses yeux perçaient les siens. Mange vite, nous partons bientôt. Il y a quelqu’un que tu dois rencontrer.
Stéphane, bien qu’encore déboussolé, hocha la tête :
- D'accord, mais on va où ?
Elle ne répondit rien, mais un léger sourire étira ses lèvres avant qu’elle ne tournât les talons. Elle commença à préparer un sac et quelques provisions, comme pour voyager.
Ce monde semblait se refermer doucement sur Stéphane. Il sentait que chaque pas qu’il faisait, le liait un peu plus à cet endroit.
Ainsi qu'à cette femme, magnifique et énigmatique.
Liawen finit de boucler une petite sacoche en cuir. Elle y glissa quelques herbes séchées et un morceau de pain dur. Elle jeta un dernier regard à Stéphane. Il tentait maladroitement d'enfiler une peau de bête que son hôte lui avait donnée. Velkhan, toujours fidèle, se tenait près de la porte. Ses oreilles étaient tournées en direction des bruits de la forêt comme pour anticiper le moindre danger.
- Tu es prêt ? demanda-t-elle. Son ton calme était empreint d’une autorité naturelle.
Stéphane acquiesça, même s’il ne l'était pas tout à fait. Il était encore engourdi, tant par le froid que par l’étrangeté de ce monde. Mais quelque chose en Liawen, dans sa détermination silencieuse, l’incitait à la suivre sans poser de questions.
Ils sortirent dans la lumière grise du matin. La neige crissait sous leurs pas. L’air était glacial, mais Stéphane sentait une énergie particulière ences lieux, comme si chaque souffle du vent portait un secret qu’il était incapable de déchiffrer.
Liawen avançait avec assurance. Son arc en bandoulière, ses yeux scrutaient les alentours avec une vigilance instinctive. Velkhan bondissait doucement à ses côtés. Ses pattes puissantes laissaient de larges empreintes dans la neige.
- Où allons-nous ? finit-il par demander.
Liawen ne ralentit pas :
- Au nord, à Kaeryn. Mon frère, Geilweis, y vit. Il pourra nous aider.
- Ton frère ? répéta Stéphane, intrigué.
Elle hocha la tête sans se retourner :
- C’est un homme de confiance. Un sage. Si quelqu’un peut t’aider à comprendre ce que tu fais ici, c’est bien lui.
Stéphane ne répondit pas tout de suite. Chaque pas qu’il faisait sur ce sol gelé lui donnait l’impression de s’enfoncer un peu plus dans l’inconnu, mais aussi de s’éloigner de son propre monde.
Il avait l’impression d’être suspendu entre deux réalités.
Après un long moment de marche, ils atteignirent un sentier plus dégagé, bordé d’arbres immenses dont les branches formaient une voûte naturelle. Le vent s’était calmé. Une étrange quiétude régnait ici.
Liawen ralentit soudain. Elle leva une main pour signaler à Stéphane de s’arrêter. Velkhan s’immobilisa immédiatement. Ses oreilles se dressèrent. Son regard perça la forêt devant eux. Stéphane, instinctivement, se tassa légèrement. Son souffle se fit plus court.
- Qu’est-ce qu’il y a ? chuchota-t-il.
Liawen plissa les yeux, fixant un point au loin :
- Chhht ! Quelque chose... Reste ici.
Avant qu’il ne puisse protester, elle s’avança lentement. Sur son arc, une flèche était déjà prête à être tirée. Velkhan la précédait. Ses mouvements fluides et silencieux, elle glissait comme une ombre dans la neige. Stéphane resta figé. La chasseuse avait disparu entre les arbres et il sentit son pouls accélérer. Mais très vite, elle réapparut, son visage détendu.
- Rien de dangereux, dit-elle en abaissant son arc. Juste un cerf. Ici, on apprend à être prudent. Tout ce qui bouge n’est pas aussi inoffensif.
Stéphane hocha la tête. Il tint compte de l’avertissement implicite. Liawen et Velkhan reprirent leur marche, et il les suivit, bien décidé à ne pas se laisser distancer.
- Liawen... murmura-t-il après un moment, hésitant.
Elle tourna légèrement la tête pour l’encourager à poursuivre.
- Je sais que je n’ai rien à offrir en retour, mais... merci.
Un sourire presque imperceptible passa sur les lèvres de la jeune femme, mais elle ne répondit pas. Dans son regard, il y avait quelque chose qu’il ne pouvait pas lire, un mélange de confiance prudente et d’empathie.
Ils continuèrent leur route en silence. La forêt s’éclaircissait peu à peu à mesure qu’ils approchaient de Kaeryn. Geilweis les y attendait et, peut-être, les premières réponses aux questions de Stéphane.
Ils atteignirent le petit village peu avant midi. Il semblait surgir de la forêt comme un secret bien gardé. Quelques maisons en bois et en pierre se dressaient autour d’une large clairière. Leurs toits enneigés dégageaient des volutes de fumée qui montaient paresseusement vers le ciel gris. Tout ici semblait paisible, mais Stéphane ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine tension dans l’air. Ce lieu, malgré son apparente quiétude, portait le poids de quelque chose de plus ancien.
Liawen guida Stéphane jusqu’à une cabane à l’écart des autres. Le bâtiment était robuste, construit avec de grosses poutres de bois. Il dominait légèrement le reste du village grâce à une légère élévation du terrain. À l’extérieur, un homme imposant fendait du bois avec une facilité déconcertante.
- Stéphane, je te présente mon frère, Geilweis.
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