11. La princesse Elena

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Sa voix résonna dans la vaste salle. Chaque titre fut prononcé dans un respect religieux.

Il marqua une pause, laissant la grandeur de ces mots s’imprégner dans l’esprit de Stéphane, puis reprit d’un ton plus appuyé :

  • Inclinez-vous devant Sa Majesté.

Un silence pesant tomba sur la pièce, comme si l’air lui-même s’était figé sous l’aura de la souveraine.

Elena, impassible, se tenait droite sur les marches du trône. Elle était drapée dans une robe aux reflets d’obsidienne, tissée dans l’ombre des abysses. Son regard, éclatant d’une lumière profonde, semblait sonder l’âme de Stéphane, peser chacun de ses gestes, chacune de ses pensées.

Tout en elle inspirait à la fois la majesté et le mystère.

Stéphane s’inclina avec respect devant la jeune femme. Il avait du mal à croire qu’il se tenait devant une impératrice, qui plus est, régente de la Terre.

Il se redressa et croisa le regard perçant de la souveraine. Une force tranquille émanait d’elle, une présence presque écrasante. Il se sentit mis à nu sous son regard scrutateur. Elle pouvait lire en lui, percer les ombres de son passé et sonder les incertitudes de son avenir.

Elle finit par rompre le silence :

  • Vous vous appelez Stéphane, n’est-ce pas ?
  • Oui, votre... euh... Majesté. J’ai des milliers de questions à vous poser.

Un léger sourire effleura ses lèvres, empreint de mystère et de mélancolie. Elle ferma brièvement les yeux, comme pour y consentir.

  • Comment saviez-vous que j’allais venir ? murmura-t-il, presque à contrecœur, comme s'il redoutait la réponse.
  • Je vous ai vu dans mes rêves, confia-t-elle d’une voix douce mais assurée. Depuis plusieurs nuits, des images me viennent. Je voyais votre visage, votre quête. Une voix murmurait votre nom.

Elle se leva de son trône et fit quelques pas vers lui.

  • Murmurer mon nom ?
  • Une vision, une femme... Elle était lumineuse, son regard brillait de mille étoiles. Elle m’a parlé de vous, m’a montré votre visage, m’a donné votre nom. Elle m'a dit que vous étiez celui que j'attendais, celui qui m'aiderait.
  • Vous aider ? Mais, à quoi ?
  • A régner, ici sur Aetheris.

Stéphane ressenti un mélange de scepticisme et un pressentiment flou. Il venait de nulle part, ne comprenait pas grand chose à ce qu'il faisait dans ce monde et maintenant, il allait aider une inconnue à devenir Reine... sur Terre, qui plus est.

  • Elena poursuivit :
  • D’autres visions m’ont conduite à vous. Certaines étaient floues. Une autre femme m’est apparue. Elle m’a dit que je pouvais vous faire confiance, que vous étiez un homme de cœur.
  • Qui était-elle ?
  • Je ne la connaissais pas. Elle s’est présentée sous le nom de Corinne.

Le souffle de Stéphane se bloqua. Corinne... Il ne comprenait plus rien. Devant son embarras, Elena s’approcha de lui et posa une main légère sur son bras.

  • Venez, Stéphane, marchons un peu.

Elle l’invita à la suivre jusqu’au balcon surplombant la vaste cour du château. Un vent léger mais froidl caressa leurs visages tandis qu’elle poursuivait :

  • Mon histoire est aussi la vôtre.
  • Que voulez-vous dire ?
  • Il y a très longtemps, ma mère, Aerolia, est venue sur votre planète. Un Terrien l’a sauvée. Il s'appelait Julien. Elle n'est restée que quelques jours mais durant ce laps de temps, il l’a protégée, il s’est occupé d’elle. Il l'a aidé à repartir vers son étoile. Mais lorsqu’elle a voulu regagner son vaisseau, des militaires l'attendaient. Ils voulurent arrêter ma mère et récupérer sa nef. Une fusillade a éclaté et Julien s'est interposé. Il a été tué par ses propres frères. Il s’est sacrifié par amour pour elle.

Elle marqua une pause, laissant le silence graver ses paroles dans l’esprit de Stéphane.

  • Pour nous, Lyraens, il est devenu un héros, un homme prêt à se battre pour une cause bien plus grande que lui. Leur amour, leur combat, ont donné une chance à notre peuple. Une chance d'être meilleur, de comprendre les autres et de les aider.

Stéphane repensa à la légende que Liawen lui avait raconté quelques heures plus tôt. Le "Héros des Étoiles".

Elena le détourna doucement du balcon et l’invita à la suivre à travers les couloirs du château.

  • Ma mère m’a appris qui étaient les Terriens, ce qu’ils pouvaient devenir. Malgré leur nature belliqueuse, elle m’a appris à leur faire confiance, que tout n’était pas mauvais en leur sein.
  • Vous disiez que votre histoire est aussi la mienne ?
  • Julien. C'était mon père.

Un garde se présenta à elle :

- Votre Majesté, le Général aimerait s'entretenir avec vous.

- Dites-lui que j'arrive.

Le garde s'éloigna. Stéphane s'adressa à elle doucement :

  • Votre Altesse, mes compagnons sont dehors et il fait un froid de...
  • Rassurez-vous, j'ai déjà donné des ordres. Ils seront bientôt près de vous.

Ils retournèrent dans la salle du trône. Peu après, la grande porte s’ouvrit, laissant entrer les amis de Stéphane. Liawen, en tête, avançait prudemment. Elle analysait chaque détail du décor, chaque silhouette armée. Ce ne fut que lorsqu’elle aperçut Stéphane aux côtés d’Elena qu’une étincelle traversa son regard. Un mélange d’inquiétude et d’une émotion plus difficile à cerner :

  • Tu vas bien ? demanda-t-elle en s’approchant.
  • Oui, tout va bien, répondit Stéphane avec un sourire rassurant. Liawen, mes amis, je vous présente Elena. C'est une Princesse mais... Il désigna l'homme au cheveux grisonnant
  • Ce monsieur en fera un éloge bien meilleur que le mien.

Les compagnons de Stéphane la saluèrent, mais l’attention que Liawen portait à Elena semblait différente de celle de ses compagnons. La princesse ne quittait pas Stéphane des yeux. La jeune femme ressentit une tension subtile qu'elle tenta de refouler en détournant le regard.

On les guida à travers un dédale de couloirs voûtés avant qu’ils ne débouchent dans une vaste salle aux allures de sanctuaire. Les murs de pierre sombre étaient drapés de lourdes tentures aux couleurs de Lyraan. Leurs étoffes brodées de motifs stellaires scintillaient sous la lumière vacillante des chandeliers.

Au centre, trônait une longue table de bois massif trônait. Elle était dressée avec une élégance sobre mais solennelle. Des coupes ciselées, des plats fumants et des carafes de cristal reflétaient la lueur des flammes. Ils projetaient des éclats mordorés sur les visages tendus des convives.

Ceux-ci prirent place dans un silence presque cérémoniel. A la demande de la Princesse, Stéphane s’assit à ses côtés. Il sentit aussitôt un regard pesant sur lui.

Liawen.

Assise en face, ses yeux brûlaient d’une lueur indéchiffrable. Ils s’accrochèrent aux siens un bref instant. Il feignit fint de l'ignorer avant qu’elle ne tournât la tête.

  • Où est Velkhan ? demanda-t-il.
  • Les gardes n’ont pas voulu la laisser entrer. Ils ont dit qu’un Nylaris n’avait pas sa place ici, répondit Liawen, visiblement furieuse.

Elena haussa un sourcil, intéressée.

  • Vous avez un Nylaris ? Pourrais-je le voir ?
  • La voir, c’est une fille ! lança Liawen avec fougue.
  • Liawen ! gronda Geilweis.

Il jeta un regard noir à sa soeur qui auraient effrayé la Garde Royale de Lyraan au complet. Mais la princesse se contenta d’un sourire doux :

  • S’il vous plaît, Liawen, pourrais-je la voir ?

La jeune femme se détendit légèrement. Un sourire revint sur son visage :

  • Oui, votre Majesté, bien sûr.
  • Elena, corrigea la princesse. Puis, elle se tourna vers son hôte. Vous aussi, Stéphane, vous pouvez m'appeler par mon prénom.

Un brin vexée, Liawen se leva pour chercher Velkhan.

  • Elena, cet homme, près de vous, qui est-il ?

Il désigna l’homme aux cheveux grisonnants. La princesse regarda son aide de camp et lui fit signe de la tête :

  • Je suis l’intendant de la Princesse. Je gère ses affaires et j'assure sa sécurité.

Son regard, marqué par le poids des années et des batailles, passa lentement sur chacun d’eux.

  • Le Général n’est pas de nature bavarde, intervint Elena avec amusement. Mais c’est le meilleur aide de camp que l’on puisse avoir.
  • Merci Votre Majesté.

Le général inclina courtoisement la tête devant Elena.

  • Général ? s’étonna Geilweis. Quelque chose me trouble. Vous êtes Général mais... de quelle armée ?

Le Général le regarda gravement.

  • J'appartenais à une autre armée, d'un autre temps. Aujourd'hui, je suis dévoué corps et âmes à la Princesse.

"Serait-ce le traître dont parlaient Mirok ?" pensa Stéphane.

  • Mais, je sais où vous voulez en venir. Vous vous demandez pourquoi un vieil homme veille sur une princesse lyraenne, exilée sur Terre, loin de sa patrie
  • Oui, Général, pouvez-vous nous expl...

Liawen entra brusquement dans la salle, devancée par Velkhan.

  • Seigneur ! s’exclama Elena. Elle est magnifique ! Quelle créature extraordinaire !
  • Surtout, Princesse, ne l’approchez pas. Elle est très dangereuse, prévint Liawen.

Elle n'eut pas finit sa phrase que Velkhan frottait déjà son museau contre la robe d’Elena, qui se mit à rire doucement :

  • Il semblerait qu’elle m’apprécie.

Elle caressa la Nylaris, qui se laissa faire avec plaisir. Liawen rappela Velkhan. Son enthousiasme s’éteignit mais elle obéit aussitôt, les oreilles basses. Liawen, visiblement agacée, se rassit, pendant que Geilweis reprenait la parole :

  • Vous alliez nous expliquer, Général…

Le vieil homme jeta un regard à la princesse, qui acquiesça d’un signe de tête. Il prit une profonde inspiration puis sa voix grave résonna dans la salle :

  • Vous devez connaître la vérité sur Lyraan, dit-il lentement. Ce que nous avons laissé derrière nous n’est que l’ombre d’une tragédie bien plus grande.

Il inspira profondément avant de poursuivre :

  • En 2025, la Terre a été envahie par les Taals. Sur Lyraan, une civilisation bien plus avancée que la nôtre est venue nous aviser de cette invasion. Elle ne pouvait intervenir directement dans ce genre de conflit. La Reine Aerolia, la mère d’Elena, n’a pas hésité. Son lien avec votre planète était profond...

Son regard se posa brièvement sur Elena, avant de revenir à Stéphane et ses compagnons.

  • Le père de la Princesse était un Terrien. La Reine a immédiatement ordonné à son armée de mettre le cap sur la Terre. Elle a combattu les Taals jusqu’à leur défaite. Mais leur retraite ne fut qu’une illusion.

Il serra les poings. L’ombre d’une colère contenue traversa ses traits.

  • Ils sont revenus. D’une manière que nous n’aurions jamais imaginée.

Elena releva légèrement le menton. Elle prit la parole d’une voix maîtrisée :

  • Les lois fondamentales de l’univers sont absolues. Certaines d'entr'elles sont interdites. Les Taals les ont bafouées. Nous l'avons appris à nos dépends.

Stéphane fronça les sourcils :

  • Que s'est-il passé ?
  • Ils ont altéré le temps.

Le silence tomba, lourd de sens. Les compagnons de Stéphane et lui même furent sidérés d'entendre cette révélation.

"Altérer le temps, comment est-ce possible...?" La pensée de Stéphane fut devancée par Liawen :

  • Comment ça ?

Elena prit une inspiration mesurée avant de répondre :

  • Eux aussi ont reçu de l'aide. Une aide malfaisante. Ils ont remonté le temps jusqu’au moment où le vaisseau de ma mère s’est écrasé sur Terre. Ils ont intercepté les codes d’accès à notre système stellaire qui se trouvaient à l'intérieur de la nef.

Elle baissa la tête. Sa voix s’éteignait dans un murmure. Le général reprit, le regard sombre :

  • Dès lors, ils ont déjoué les défenses de Seyriss, l'étoile de Lyraan puis ils ont frappé sans pitié. Les Lyraens n’ont pas eu le temps de se préparer. Ils ont détruit nos cités, anéanti nos peuples. Aujourd’hui, notre monde n’est plus qu’un champ de ruines et de cendres.

Il laissa ses paroles s’imprégner dans l’air. Le poids du drame resta suspendu au-dessus d’eux. Puis, d’une voix plus basse encore, il lâcha :

  • Mais le plus terrible fut la mort d’Aerolia. Assassinée par leurs mains.

La sentence tomba comme un couperet. Un frisson parcourut l’assemblée. Stéphane sentit la stupeur de ses compagnons, mais son regard resta rivé sur Elena.

Impassible.

Du moins en apparence. Il devinait pourtant l’orage derrière ses paupières abaissées. Sa douleur était contenue dans un esprit de fer.

  • Lorsqu'elle comprit que Lyraan tomberait, elle fit préparer un vaisseau. Elena et une garnison de la Garde royale y embarquèrent. Elle ne désirait qu'une chose. La survie de sa fille à ce massacre.

Il marqua une pause. Les souvenirs semblaient lui peser.

  • La Grande Reine m’a convoqué. Elle m’a fait l’honneur de me confier la garde de la Princesse.

Son regard se perdit un instant dans le vide avant de reprendre :

  • Notre vaisseau a quitté l’atmosphère de Lyraan. Il a ouvert un passage à travers un trou de ver en direction de la Terre. Mais les Taals nous ont repéré et pris en chasse.

Liawen serra les poings :

  • Vous avez réussi à leur échapper ?
  • Oui, mais pas par nos propres moyens. Au moment où ils allaient nous intercepter, un autre passage s’est ouvert devant nous. Ce n’était pas une voie ordinaire, c’était un passage différents de ce que nous connaissions, créé par la civilisation qui nous avait mis en garde. Nous n'avions pas d'autre choix que d'emprunter ce passage. Nous ne nous attendions pas à ce qui allait suivre.

Le général laissa planer un silence pesant dans la grande salle avant de poursuivre :

  • Nous avons traversé l’espace... mais aussi le temps. Lorsque nous avons émergé, nous étions face à la Terre, mais en l’an 2125. Un siècle s’était écoulé.

Les mots tombèrent lourdement. Stéphane sentit un frisson lui parcourir l’échine.

  • La Terre, en 2125... répéta Teryn. Le petit homme était totalement perdu dans ce récit épique.
  • La terre avait plus ou moins survécu à la première guerre contre les Taals. Malgré sa reconstruction, leur retour avait été fatal. L’humanité n’était plus qu’une colonie sous leur joug. Des survivants, des esclaves.
  • Que s'est-il passé par la suite, s'enquit Liawen, passionnée par le récit du Général :
  • Nous avons dû nous cacher, cacher le vaisseau. J’ai élevé Elena dans l’ombre, protégé par les derniers gardes royaux fidèles à la Princesse. Nous ne restions jamais longtemps au même endroit. Les Taals ne devaient jamais découvrir qu’elle vivait encore.
  • Et ce château ? demanda Geilweis.
  • Il y a dix ans, nous avons pris possession de cette forteresse. Nous en avons fait notre fief, notre quartier général. Un abri en attendant...
  • En attendant quoi ? Le général se tourna vers Elena.
  • En attendant que la Princesse réclame ce qui lui revient.

Liawen fronça les sourcils.

  • Vous voulez dire, le trône de Lyraan ?

- Non. Le trône de la Terre.

Elena avait répondu. Elle leva lentement le menton. Son regard brillait d’une lueur déterminée. Un frisson parcourut l’assemblée.

  • Mais… comment ? balbutia Stéphane.

Le général eut un léger sourire.

  • Il y a dix ans, Aerolia est venue voir sa fille.

Geilweis écarquilla les yeux.

  • Comment est-ce possible ? Elle était déjà...
  • Morte ? Oui. Mais, une fois de plus, cette civilation a rendu possible l'improbable. Elle lui a permis d’effectuer un saut quantique, un voyage à travers le temps.

Personne ne parla. L’idée même de cette rencontre semblait irréelle.

  • Aerolia est apparue à Elena alors qu’elle avait vingt ans, expliqua le général. Elle lui a tout révélé. Elle lui a dit qu’un jour, elle reprendrait ce qui lui appartient. Mais pour cela... elle aurait besoin d’aide.

Le silence s’étira, jusqu’à ce que Stéphane, la voix hésitante, murmure :

  • Nous ?

Elena planta ses yeux clairs dans les siens.

  • Oui. Vous. Nous vous attendions.

Sa voix était posée, mais pleine d’une certitude absolue. Elle marqua une légère pause, puis ajouta, plus doucement :

- Je vous attendais.

Stéphane comprit : L’histoire de Lyraan était à présent la leur.

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