Chap 4-1 Moi, Xena (2/2)
Xena avait pris vie. Elle se tenait debout sur le tapis rouge devant les portes du musée. Le menu proposait également l'option « vue en première personne ». Cependant, pour le moment, Sonia voulait surtout voir Xena, elle n'était pas encore pressée d'être Xena. Un message lui indiqua que son matériel n'était pas optimisé pour les déplacements de l'avatar. Elle leva un bras, Xena l'imita. Elle fit quelques mouvements. La guerrière répondit assez bien. Bien sûr, elle ne bougeait que les bras. La technologie de son casque ne couvrait pas les actions des membres inférieurs. Elle devait se contenter des flèches directionnelles pour se déplacer. Une bulle tutoriel lui conseilla d'utiliser le Cyberpad, une manette de contrôle entièrement conçue pour Autremonde ou bien le système de capteurs de mouvements Cyberpanther, ou encore le Cybereyes, le casque virtuel de Cyberworld. Un lien permettait d'aller sur le site d'achat pour profiter de l'offre temporaire du Pack Autremonde.
Ce jeu gratuit m'énerve déjà...
Les portes arrière du musée s'ouvrirent et l'avatar en franchit le seuil.
L'image mit un temps à se stabiliser, Sonia écoutait d'une oreille inquiète le bruit de fond de son ordinateur qui s'étranglait en avalant les palettes de données. Enfin, le décor se précisa. Elle était au cœur d'une ville bourdonnante, entourée d'immenses gratte-ciels, des sons de klaxon résonnaient au milieu de larges artères grouillantes de trafic, des dizaines de passants allaient et venaient, un taxi noir et blanc entamait sa course. L'endroit lui était étrangement... familier.
Un petit personnage de super-héros surgit devant elle. « Bonjour Xena, je m'appelle Hercule ! ». Il portait une tunique bleue moulante munie d'une cape et la boucle de sa ceinture représentait le sigle d'Autremonde. Hercule était contemporain de Xena dans la mythologie des série télé. Avait-il choisi son nom au hasard ? « Je te souhaite la bienvenue dans l'espace tutoriel d'Autremonde. Si tu le souhaites, je serai ton guide et t'initierai au fonctionnement de ta nouvelle enveloppe ! » Dans un coin de l'écran, un bouton "sortie" lui permettait de quitter l'endroit à tout moment.
« Bonjour Hercule, répondit-elle mal assurée. Je veux bien tes conseils... »
Pendant une demi-heure environ, le petit homme à la bouille sympathique lui enseigna à interagir avec son environnement, se mouvoir, prendre des objets, les ajouter à son inventaire ou les manipuler, changer l'angle de vue, zoomer ou dézoomer sur un endroit, ou encore se téléporter comme Sven l'avait fait lors de sa démonstration au bureau. Elle eut aussi droit à une introduction au fonctionnement des commandes vocales, davantage conseillées aux joueurs expérimentés. L'avatar de base offrait une panoplie limitée d'actions. Si elle voulait profiter de l'immersion totale, il lui faudrait ouvrir son porte-monnaie.
Bien qu'aucun vrai avatar ne se baladait dans cette partie d'Autremonde dédiée aux nouveau-nés, l'expérience n'en était pas moins grisante. Elle pouvait arrêter les passants, leur adresser la parole sans que les dialogues ne se répètent. Ses interlocuteurs étaient tous différents - des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux, des hommes d'affaire, des banlieusards - on n'en trouvait pas deux pareils. Certes, tout n'était pas parfait. L'image saccadait et se pixélisait lorsque Xena bougeait trop vite. Autremonde était trop gourmand en mémoire pour son ordinateur.
Au terme de sa formation, elle s'assit sur un banc. Un métro aérien déboucha d'un angle et fila le long des immeubles. Pendant la minute qui s'écoula, elle ne ressentit pas le moindre déjà-vu dans les mouvements de la ville. Elle avait l'impression de vivre une histoire en temps réel.
Satisfaite, elle pressa le bouton "sortie" et fut téléportée.
« Bienvenue dans Autre Style, le plus grand centre commercial d'Autremonde. Ici vous trouverez tout ce dont vous avez besoin pour votre avatar. » La scène mit un certain temps à se charger. Des personnages apparurent progressivement, leurs mouvements, d'abord découpés, se fluidifièrent, leurs vêtements s'affinèrent. Au bout d'une quinzaine de secondes de latence, Sonia découvrait l'endroit dans toute sa réalité : de larges allées en marbre partaient dans les quatre directions au cœur d'un atrium aux allures de vaisseau spatial. Un nombre d'étages impressionnant s'empilaient les uns sur les autres jusqu'à une immense verrière formant toit au-dessus du hall. Des plantes grimpantes envahissaient les murs et des ascenseurs panoramiques montaient et descendaient en rythme. Partout, les devantures de boutiques exhibaient leurs trésors devant les passants.
D'emblée, elle constata une grande différence entre la population locale et celle de l'espace propédeutique. Si les habitants de l'environnement d'accueil se comportaient comme n'importe quelle masse de citadins pressés, dans le centre commercial, les visiteurs, moins nombreux et pas tous humains, apparaissaient parfois de façon sporadique, disparaissaient subitement, avançaient dans une direction avant de changer d'idée, voire restaient paralysés sur place, donnant à l'ensemble un aspect erratique.
Elle emprunta une allée en s'aidant des flèches directionnelles. De chaque côté s'enfilaient des magasins les uns derrière les autres : chaussures, vêtements, sacs à mains, etc. Hasard ou pas, les boutiques qu'elle croisait au début de sa promenade se dédiaient exclusivement à la gente féminine. Elle s'arrêta devant une bijouterie, attirée par les scintillements de l'étalage. En pointant son doigt vers un bracelet en forme de panthère, une fiche signalétique apparut à l'écran, détaillant le nom de l'artiste, la date de création, le prix et même les matériaux : or blanc et diamant, saphir pour les yeux de l'animal. Quoi de mieux pour un jeu gratuit que d'offrir une infinité de produit payants ? « Autre Style » ressemblait à une fourmilière pour avatar consumériste. Un couple de femmes punk passa à côté d'elle, main dans la main, sans lui prêter la moindre attention. Elle les observa s'éloigner et se sentit comme une petite fille perdue dans un supermarché.
Au gargouillement de son estomac, elle comprit qu'il était déjà tard. Autremonde était immense. Qu'allait-elle bien pouvoir faire ici ? Il lui fallait un guide, mais oserait-elle le demander à Sven ? Elle ne voulait pas paraitre envahissante. Ou pire, intéressée... Sans compter qu'Autremonde semblait également trop grand pour son ordinateur en phase terminale. Il n'était sans doute pas prudent de lui infliger de tels efforts avant la retraite.
Avant d'éteindre, elle jeta un œil à l'agenda. Demain était le D-Day : les consultants américains allaient débarquer. Elle fit la moue.
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