11-4 Foudre

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  Elle tombait tête première le long de l’à-pic. La chute fut longue. La falaise était vraiment très haute. Mais elle comprit vite qu’elle ne tomberait pas dans l’eau, mais sur des rochers. Ça ne changeait rien, vu son niveau de vie, même l’eau l'aurait tuée. Elle crut voir une lueur dans le coin de son horizon visuel, mais elle était trop concentrée sur son menu d’avatar. Les mains tremblantes de peur, elle pressa le bouton dans la précipitation juste avant d’atteindre les rochers et crut même voir l’embrun caresser son visage.

  Elle réapparut au bord de la falaise à côté de la petite construction détruite. Elle recommença à respirer. La téléportation avait fonctionné à nouveau ! Heureusement, le parchemin n'était pas à usage unique. Par contre, elle était revenue au même endroit que la première fois. Elle voyait au loin l’ombre du monstre. Elle le vit se retourner dans sa direction.

Elle comprit… qu’il avait compris.

  Le reptile écumant de rage poussa un hurlement effroyable et se mit à courir vers elle. Encore une fois. Oh merde. Elle avait un plan de survie – sauter dans le vide, se téléporter –, mais elle n’allait pas pouvoir jouer à ce jeu ad vitam aeternam. Surtout que la bête savait exactement où elle allait réapparaitre. Au prochain saut, il la goberait d'un coup. Et cette fois, il ne se contenterait pas de machouiller et recracher comme sur Palo Alto. Il allait la découper pour de bon. Henry devait se ramener sans délai pour la sortir de là.

Le monstre fut sur elle en quelques secondes. Le cœur battant, elle s’apprêtait à se suicider à nouveau quand des éclairs fulminèrent de l’obscurité. Les traits frappèrent le monstre sur son flanc. Le géant brisa sa course en mugisssant de douleur.

  Henry surgit des ténèbres, le corps luisant d’une aura argentée.

« Xena, je prends le relai. »

Le monstre fit face à son nouvel adversaire en grondant. Sonia réalisa alors que Xena allait vivre.

Elle allait... vivre...

Le brusque soulagement lui fit monter les larmes aux yeux. Elle avait les jambes en coton et fit un effort pour ne pas tomber à genoux. Henry avança. Il n’avait plus la même cuirasse lourde, massive de tout à l’heure. À la place, il portait une armure lumineuse, légère, finement ouvrée, ciselée d’arabesques de couleurs vives. Il trainait une longue cape blanche qui flottait dans le vent, il n’avait ni casque, ni épée, ni bouclier.

« Je n'aurais jamais crû revêtir à nouveau mon armure céleste... »

« À nous deux ! » lança-t-il.

De son bras tendu jaillirent des éclairs bleus qui frappèrent le monstre. La bête poussa un horrible cri de douleur. Sonia vit clairement la barre de vie du monstre baisser. Elle baissa. Mais pas assez. La bête était une machine de guerre caparaçonnée d’une peau en acier. Henry grimaça.

« Enfoiré » marmonna-t-il.

Sonia sentit que le doute s’instillait.

  Le monstre hésitait lui aussi. Il fixait son adversaire. Tentait-il de l’évaluer ? Il se redressa et inspira profondément de sa gueule immense. La gorge épaisse s’illumina. Il allait cracher son feu dévastateur. La lumière gonflait depuis le ventre et remontait jusquà la gueule.

« Pas question ! » cria Henry. De son bras tendu jaillit une salve d'éclairs bleus qui frappèrent la gueule au moment même où la boule de feu incendiait l'air. Rien n'y fit, le souffle de feu ravagea tout sur son passage. Henry eut à peine le temps de crier une incantation inaudible dans ce brasier hurlant que la vague incandescente s'écrasait contre un mur de lumière à quelques centimètres de sa main. L'intensité du souffle montait de seconde en seconde tandis que la barrière de lumière faiblissait sous chaleur infernale.

Allait-elle assister à la mise à mort d'Henry ? Devant ses propres yeux ?

C'est alors qu'une énorme boule d'énergie bleue apparut dans la main de son compagon .

  Il brandit la sphère vers le ciel à travers la flamme et cria : « Foudroiement céleste ! ».

Du haut du ciel, une lumière verticale plongea sur lui comme si une éclaircie intense avait percé les nuages juste à son aplomb. Au même instant, des éclairs foudroyants plurent sur le monstre géant, fusant du ciel comme des lames de lumière bleue, perforant les chairs de l'animal, le transperçant de part en part, avant de s’écraser sur le sol en explosions successives. En quelques secondes, la nuée de traits avait criblé le titan et le sang s'écoulait en abondance par ses plaies ouvertes. Le feu s'était éteint. La bête hurla, puis le son s’étrangla dans sa gorge, elle fit un pas en avant, gueule ouverte - l’incrédulité se lisait dans son regard -, elle chancela et s’écroula de tout son long.

  La lumière qui avait enveloppé Henry s’éteignit de même que l’aura de son armure. Tout devint sombre sur le plateau. Le son paisible de la mer reprit ses droits après que le tonnerre se fut tu. Le cadavre du monstre défait commença à fumer et, peu à peu, s’évapora.

Sonia voulait parler mais les mots restaient bloqués dans sa bouche. Tout avait été si rapide, si brutal. Elle revoyait encore le regard figé du monstre. Était-il possible que ce monstre, ce tas de codes sans âme, fut vraiment étonné par ce qui lui arrivait ?

« Désolé d’être arrivé si tard, dit Henry en brisant le silence. Tu as été héroïque. »

Encore hébétée, elle le regarda.

« Pourquoi… murmura-t-elle. Pourquoi ça n’a pas marché ?

— Certains objets nécessitent, pour fonctionner correctement, d’avoir visité la destination… au moins une fois, dit-il d’un ton contrit. Je suis vraiment désolé…

— L’important... articula-t-elle, la voix enrouée, c’est que tu sois arrivé à temps. »

  Elle aurait voulu que sa voix reflète le calme, elle voulait faire montre d’un certain détachement, une maitrise de soi, mais son timbre la trahissait malgré elle et son cœur continuait à battre fort dans sa poitrine.

J'aimerais qu'il me prenne dans ses bras, pensa-t-elle. Mais elle savait que ce n'était pas possible.

« Je m’en serais voulu toute ma vie de t’avoir jetée dans la gueule du loup. »

Xena mit le prisme dans sa main et le contempla.

« On va enfin voir où ce caillou nous mène…

— Je crois que c’est encore mieux que ça, dit Henry. Regarde par terre. »

  Sonia vit alors que sur le sol sous les dernières vapeurs du cadavre, reposait un autre prisme. Elle considéra sa main, le prisme y était encore.

« J’avais un compte à régler avec ce monstre, reprit Henry. Et je vais récupérer ce qu’il m’avait volé.

— Ce que tu as fait, c’était… impressionnant.

— J’espère bien ! dit-il en riant. Ce sort unique m’a coûté une véritable fortune ! Je le gardais pour des cas de force majeure. Si ça n’avait pas fonctionné, je ne sais pas ce qu’on aurait fait ! »

  Sur le chemin du retour, Henry expliqua que le portail s’était refermé juste après que Xena se soit téléportée. C’est alors que le monstre était parti en courant en direction de la mer. Il s’était lancé à sa poursuite, mais il était beaucoup plus lent. Arrivé à la falaise au moment où Xena sautait dans le vide, il avait cru que tout était perdu, jusqu’à ce qu’elle réapparaisse cent mètres plus loin.

Ils annoncèrent sur le tchat leur retour sains et saufs. À leur arrivée devant le portail, Joe les attendait. Antonio l’avait récupéré sur le bateau et il avait retraversé la porte pour les accueillir.

« Bravo les héros ! dit-il quand ils se furent rejoints. Je peux les voir ? » Henry et Xena exhibèrent chacun le prisme qu’ils avaient dans la main.

« Qui l’eut cru ? dit-il. J’ai hâte que vous nous racontiez tout ça ».

Sonia jeta un dernier regard sur le plateau désertique et retraversa le portail en sens inverse.

En guerrière.

***

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