« Quoi ? susurra Manhattan. Peuv’ pas faire deux séquences identiques dans ce jeu ?

• Apparemment c’est trop demander, réagit Highlander, visiblement perplexe. Bon, tant pis, voyons où ça nous mène ».

À ces mots, Highlander s’avança d’un pas.

« Merci à toi, nous sommes honorés par tes mots.

• Je me nomme Aexilia, je suis la prêtresse du temple de feu et gardienne de la clé d’Ulricor.

Highlander semblait hésiter. Sonia nageait dans la confusion.

« Mon nom est Highlander et voici mes compagnons, Xena et Manhattan. Nous sommes à la recherche de la clé de feu.

• Bienvenue Highlander, et bienvenue à tes amis. »

Sonia écarquilla les yeux. Avaient-ils affaire à une intelligence artificielle ou pas ?

La fenêtre de tchat s’anima. C’était Manhattan. Il n’osait pas parler à haute voix.

« Depuis quand cette pétasse a un nom ? Et depuis quand cette putain de clé a un nom ? »

Highlander tapa une réponse. « Et depuis quand on est les bienvenus ? »

Le succube reprit la parole.

« Je vous invite à vous restaurer chez moi. Vous pourrez rester ici autant de temps que vous le souhaitez.

• Nous te remercions, Aexilia. Mais le temps nous est compté. Nous devons obtenir les clés des quatre éléments en moins de deux heures.
• Vous voulez la clé d’Ulricor. »

À ces mots, elle ouvrit sa main et une lumière intense brilla au-dessus de sa paume. Une clé apparut, flottant dans l’air comme un mirage.

« Oui, confirma Highlander. Nous avons besoin de la clé d’Ulricor pour gagner le droit d’entrer dans la citadelle d’Altengard.

• Tiens, Altengard existe-t-elle encore ? Je croyais qu’elle avait sombré avec les autres place-fortes lors du Grand Jugement ? »

« On perd notre temps, coupa Manhattan. On n’est pas venu suivre un cours d’histoire. Encore cinq minutes à discuter et on aura tout perdu ».

Cette fois, il avait parlé à haute voix.

« Je sais, dit Highlander visiblement irrité.

• Ton ami est impatient, lança le succube. »

Le commentaire fit l’effet à Sonia d’une flèche décochée en plein ventre. Ce succube était beaucoup trop malin pour être un robot. Seul, un humain pouvait lancer une répartie pareille. Comment savoir ?

« Nous donneras-tu ta clé ou devrons-nous te combattre pour l’obtenir ? »

« Pourquoi tu lui poses la question ????? » lança Manhattan sur le tchat. « Depuis quand... » mais il ne termina pas sa phrase car déjà le succube répondait.

« Je vous la donnerai, bien sûr. » Un long silence suivit cette annonce.

« Je vous la donnerai, répéta-t-il. Bien sûr à une condition...

• Quelle condition ? » articula Highlander.

Le tchat s’anima à nouveau « MAIS QU’ON CREVE TOUS !!!! ». Manhattan était très en verve.

« Que vous m’offriez en échange quelque chose d’équivalent. Mon unique rôle en tant que prêtresse est la protection des équilibres entre les forces qui régissent les quatre éléments. La clé me donne le pouvoir de maintenir cet équilibre, mais il n’est pas dit que je ne puisse pas maintenir l’équilibre si une puissance suffisante m’était donnée en échange. »

« Je ne connais pas de telle force. Qu’est-ce qui pourrait compenser la perte de la clé ? »

« Nooooon, on rentre dedans et on papote après s’te plait. Je peux me la faire tout seul. Je l’ai déjà fait ! »

« Enfin une fois... »

« La force vitale d’un aventurier me permettrait de maintenir cet équilibre pendant un temps.

• Tu veux dire le sacrifice de l’un d’entre nous ? »
• C’est cela. Offrez-moi le cœur de l’un d’entre vous et la clé est à vous. »

Sonia sentit un frisson la parcourir. Elle savait que la proposition s’adressait à elle et à elle seule. Le succube le savait-il ?

« Nous ne pouvons accepter, dit Highlander. Chaque vie est précieuse dans notre groupe. »

  Lui non plus ne semblait pas croire à la proposition. Mais alors pourquoi n’attaquait-il pas. Est-ce qu’il se demandait aussi s‘il n’avait pas affaire à une vraie personne. Et dans ce cas, un adversaire beaucoup plus coriace en perspective ? Sonia n’avait pas vu d’autres versions du succube. Mais elle pouvait bien s’imaginer à quoi elle ressemblait : une espèce de furie qui crache du feu et griffe à tout va en hurlant des phrases dans un langage incompréhensible. Là, on était sur un autre niveau d’éducation.

Sonia nota que Manhattan ne faisait pas de commentaire sur le tchat. Pas sûr qu’il était contre l’idée de sacrifier Xena.

« C’est un mauvais calcul, répondit le succube, il n’est pas certain que vos trois vies réunies soient de taille pour m’affronter. Alors une seule pour la clé, c’est un cadeau. Croyez-moi.

• La vie de l’un de nous suffira à compenser la force de la clé ? demanda Sonia qui pour la première fois parlait au succube.
• Pas entièrement. Mais la clé est liée à sa force originelle qui sied dans les entrailles de Kulkukan. Tôt ou tard elle reviendrait d’elle-même. La clé ne peut subsister hors de la montagne que quelques mois. Une vie humaine suffirait à maintenir l’équilibre durant ce laps de temps.
• Nous n’avons besoin de la clé que pour deux heures. Le temps nécessaire à réunir les trois autres clés. Après quoi, nous n’en aurons plus besoin, argumenta Sonia. L’équilibre peut-il être maintenu deux heures ? »

Il y eu un silence. Comme si le succube réfléchissait.

« Si vous arrivez à réunir les trois autres clés, aucun élément ne pourra créer de déséquilibre durable.

« C’est donc possible, conclut le démon.

« Notre seul et unique objectif est de réunir les quatre clés dans les deux prochaines heures. Rien d’autre. Prête-nous la clé maintenant et tu l’auras de retour. Et aucun de nous n’aura à mourir. »

  Manhattan était criant de silence. Probablement qu’il disparaissait de la circulation dès de la discussion devenait subtile. Highlander lui aussi ne disait mot. Sonia savait qu’elle avait pris la parole pour se sacrifier. Elle avait parlé pour montrer qu’elle existait et qu’elle avait un rôle. Mais sa question en avait appelé une autre, et sans même le vouloir, elle avait lancé une idée. Une idée qui était à présent suspendue dans le silence de la salle de feu.

« C’est d’accord, dit enfin le succube. Si vous êtes en quête des quatre clés, vous devez être plus redoutables au combat que vous n’en donnez l’impression. Je ne doute pas de l’issue d’un combat entre nous, mais je ne vois pas l’intérêt de puiser dans mes ressources… inutilement.

« La clé est à vous ».

Sur ce, elle tendit le bras et la clé qui jusque-là brillait d’une intense lumière perdit toute aura.

« Viens la prendre jeune guerrière. »

« J’y vais moi, annonça Highlander.

• T’es sûr ? bredouilla Manhattan.
• Je peux y aller, dit Sonia.

« Non, c’est à moi d’y aller » ces derniers mots ne furent pas prononcé, mais écrits.

« Je te remercie, clama Highlander. Et je loue ta sagesse. »

Il s’avança lentement jusqu’à se tenir droit devant le succube. Il semblait bien petit face à elle et entièrement démuni. Il n’avait pas lâché son arme, mais la gardait résolument pointée vers le sol.

Sonia crut lire un sourire sur le visage perçant de la femme démon. À chaque instant, elle pouvait l’attaquer. En négociant avec elle, ils avaient choisi une voie périlleuse qui pouvait leur faire tout gagner. Ou tout perdre.

Il saisit la clé. Le succube baissa le bras.

« La sortie est là-bas, annonça-t-elle en montrant un coin obscur du temple.

Highlander recula lentement en restant face au démon.

« Merci » dit-il enfin.

« Dépêchez-vous, conseilla le succube, sinon mon présent n’aura eu aucune valeur pour vous. »

« Allez, Xena, Manhattan, on fonce ! »

Manhattan se mit à courir. Xena lui emboita le pas. Highlander, pivota à son tour et courut vers la sortie.

Dans le fond de la salle, l’ombre du mur dissimulait une ouverture rectangulaire qui menait dans un nouveau couloir.

« Bonne chance » lança le succube loin derrière eux alors qu’ils traversaient l’embrasure en courant. « Et n’oubliez pas, fit une voix lointaine, de ne jamais… »

  Sur le moment, Sonia ne comprit pas ce que le succube avait dit. Mais après coup, alors qu’une lance de feu transperçait Highlander de part en part, et qu’il s’écroulait sur le sol au moment même de franchir le seuil du temple, elle réalisa que le succube avait dit : « …de ne jamais tourner le dos à votre adversaire ».

***

  Sven jura. Highlander était par terre. L’instant d’après, il avait disparu. Seule la clé de feu gisait à l’endroit où il était tombé. Debout devant son trône, le démon, ailes déployées, les narguait avec un large sourire.

« Je le savais, dit Manhattan. Je le savais. »

  Sonia ne savait que faire. Leur leader était parti. Ils étaient seuls. « Je le savais » répéta encore une fois Manhattan. « Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? s’enquit Sonia à voix baisse, comme pour éviter de fâcher davantage son compagnon.

• On prend la clé et on se casse. Sans Highlander, on a peu de chance de réussir, mais on ne sait jamais. On doit essayer. »

Puis il ajouta : « …et si on rate, j’aurai ma revanche ». Manhattan saisit la clé et partit en courant. « La prochaine fois, je la bute ». Sonia bondit derrière lui sans un regard pour le démon de feu. Mais elle savait, oui, elle savait que le démon riait.

« Je la bute, répéta Manhattan. Et seulement après, je lui dirai bonjour ».

  Au bout d’un moment, le couloir s’inclina légèrement, puis la pente s’accentua. Ils pénétrèrent bientôt dans une grotte. « C’est le chemin pour la clé de terre ! dit Manhattan. C’est pas vrai, on a pris un abonnement ! »

  Sonia avait été prévenue, mais elle fut néanmoins surprise quand l’écran se mit à vibrer. Un tremblement de terre. Des morceaux de roches tombaient du plafond, ou roulaient dans la pente à leur cotés.

« Rappelle-toi de sauter si le sol s’affaisse devant toi. Et n’arrête jamais de courir. Si les roches tombent trop tôt, la poussière nous empêchera de voir les pièges. »

  Sonia se concentrait du mieux possible, bien callée dans les pas de son compagnon. « Attention ! ». Des morceaux de roche pleuvaient. Xena ralentit inconsciemment. Les rochers se fracassaient sur le sol en soulevant des nuages de poussière. Xena zigzaguait avec son compagnon en une sorte de danse qui s’apparentait à une transe mystique. Ou une course d’ivrognes. « Trou ! ». Brusquement, Manhattan sauta et Xena suivit le mouvement voltigeant au-dessous du trou béant qui venait de s’ouvrir dans le sol.

La course continuait.

  Les deux dansaient et sautaient au-dessus des obstacles en mode désynchronisé, mais toujours bien collés l’un à l’autre. Sonia prenait le rythme. Elle était concentrée. Dès que Manhattan virait à droite, elle suivait, dès qu’il sautait, même sans savoir pourquoi, elle sautait. « Saute », « à droite », « à gauche » étaient autant d’indications des obstacles.

« La lumière ! cria-t-il. La salle de la clé. »

  Tout à coup, une roche énorme tomba devant eux. Manhattan, surpris par la taille du rocher, stoppa sa course. Xena se bloqua dans son dos. La pierre s’écrasa et défonça le sol. D’un bond rapide, le pirate sauta sur le bloc de pierre alors même que sous leur pied le sol s’affaissait.

« Attention, ça casse ! » cria-t-il, mais rapide comme l’éclair, il fit un second bond qui le propulsa en avant. Sonia, presque par mimétisme suivit le mouvement. Dès qu’elle avait vu le sol s’incurver, elle avait bondi. Mais trop vite, beaucoup trop vite. Sans élan, son saut ne lui permit pas de franchir la crevasse, et elle tomba dans le trou à la suite du rocher.

Tout devint noir autour d’elle.

Sonia déposa son casque audio sur son clavier. Elle devait encore s'entraîner au parcours de sauts.

Quatorze secondes… grommela-t-elle.

***