18-1 Papillon de nuit

9 minutes de lecture

« Vous vous rendez compte, asséna Contraste, qu’on n’a jamais été aussi proche de réussir ? »

Un silence lourd suivit ses paroles.

« Trois clés ! C’était la séquence idéale, moi et Arjun contre l’eau et ensuite l’air au niveau de difficulté maximum. Et vous, le feu et la terre au niveau facile. »

Il avait bien insisté sur le facile.

« Oui, euh, intervint Manhattan, excuse-moi, mais se taper le Golem, c’est pas ce que j’appelle le niveau facile.

  • À deux, vous l’auriez eu. »

Sonia comprit qu’il ne faisait pas référence à elle pour la deuxième personne.

« Ce qui est fait est fait, voulut conclure Highlander. On s’est fait avoir. Demain, on recommence.

  • Explique-moi quand même comment un simple succube…
  • De merde, tu peux le dire, intervint Manhattan.
  • Je sais, répondit Highlander. Comment il a pu m’abattre d’un coup ? Je te l’ai déjà dit, elle m’a envoyé sa fatalité, la lance de feu.
  • Pourquoi est-ce que je ne l’ai jamais vue, cette fatalité ?
  • J’imagine qu’en général les succubes ne l’utilisent que contre des adversaires affaiblis ou lents. Cette attaque, aussi puissante soit-elle, est facile à éviter.
  • Sauf quand on tourne le dos à son adversaire, siffla le serpent Manhattan.
  • Ce qui ne risque pas de se reproduire deux fois, crois-moi. »

  Le reste de la conversation se centra sur les exploits de Contraste et Arjun qui avaient brillamment glané la clé d’eau face au Serpent de Mer. Leur combat dans la zone d’air fut beaucoup plus épique.

« Vous avez dû passer par le chemin de nuage ?

  • Non, heureusement, on n’a pas eu la loterie, mais une chiée de papillons de nuit et le puit avec des tornades à n’en plus finir. »

  En fin de compte, ils avaient dû affronter un des plus terribles adversaires du labyrinthe, le Génie des airs, aux dires d'Arjun la plus puissante créature magique. Heureusement, cette créature aussi puissante soit-elle, avait un point faible : le feu. L'alliance des pouvoirs de régénération et de protection d'Arjun avec la puissance du lance-flamme de Contraste faisait merveille. Le combat dura néanmoins près de trente minutes. Quand ils eurent terminé, il ne restait plus que vingt petites minutes au compteur pour glaner la clé de terre. Ce qui était trop court pour rejoindre Manhattan dans son combat désespéré contre le Golem de terre, un monstre extrêmement résistant, insensible à toute magie ou attaque non physique. Durant les dernières minutes du compte-à-rebours, Manhattan avait tenté le tout pour le tout et fini en chair à pâté.

***

« Bien Xena, continue ! l'encourageait Vaudler. Ton mouvement est fluide. On sent que tu suis beaucoup mieux les impacts. »

  Sonia avaient réussi à caler quarante-cinq minutes d'entrainement avec son maître d'arme, et par chance, son tortionnaire de service n'était pas là aujourd'hui, leurs créneaux horaires ne se croisant à nouveau que dans deux jours. Elle voulait être prête pour la troisième journée du labyrinthe. Elle avait pour but de mourir avec honneur. Quitte à être inutile au groupe, au moins qu'elle ne soit pas un poids mort. Sven s'était mouillé pour elle. Elle lui devait bien ça.

  Il ne lui avait pas fait de proposition de romantique, mais pourquoi l'aurait-il fait ? Elle s'était monté la tête pour rien. Et puis, elle n'était pas certaine de vouloir connaitre la version romantique de son collègue. Les hommes étaient sans doute tous très différents dans l'intimité virtuelle. A l'inverse, il lui avait offert une opportunité en or de les relancer, elle et Xena, dans le bain de l'action et se prouver qu'elle valait quelque chose. Il avait pris un gros risque, celui de les faire rater la plus grosse mission de ces vingt dernières années et se décrédibiliser auprès de ses amis. Mais elle n'avait plus rien à perdre. Sa vie réelle s'était effondrée au point que rencontrer des humains était devenu un effort. Sa vie virtuelle ne tenait plus qu'à un fil.

"Excellent reflexe ! cria Vaudler devant sa parade riposte.

"On sent que tu prends confiance ! Il y a de l'envie, j'aime ça. C'est bien, il y a une vraie guerrière derrière ce masque de timidité.

Les fers se croisèrent et glissèrent l'un contre l'autre. "Attention lui dit Vaudler, ma lame brûle !"

Les mots furent un électro-choc. En une fraction de seconde, elle revit le visage d'Henry dans son armure de chevalier. Sans réfléchir, son poids partit et atteignit Toriande en pleine face. "Ouh ! " lâcha-t-il surpris. Sonia releva son épée comme l'éclair pour frapper son adversaire dans l'entre-jambe, mais le coup se bloqua dans la garde du professeur, et le coup pied qui suivit l'envoya voler à deux mètres. Elle heurta le sol violement, roula en arrière et lança son épée avec toute sa hargne vers son ennemi. "La vache ! cria Vaudler en parant in-extremis la pointe.

Le professeur éclata de rire. "C'était magnifique Xena! Tu m'as surpris ! Bravo !"

Sonia réalisa qu'elle avait totalement perdu le contrôle de ses nerfs en pensant à Henry. Attaquer avec autant de haine pendant un entrainement n'avait pas de sens. "Pardon je suis… balbutia-t-elle.

- Non ! C'était très bien, l'interrompit-il. Recommence autant que tu veux. J'ai bien vu que tu visualisé ton ennemi là. Je ne sais pas qui s'était mais telle que je te vois là, toi et Alicia, vous allez faire un sacré duo !

***

  Elle courait derrière Manhattan. Elle s’était familiarisée avec les couloirs de pierre qui sillonnaient en tous sens le labyrinthe de la Montagne de Kulkukan. Les premières minutes du labyrinthe ne laissaient jamais présager de l’élément qu’ils allaient affronter, et bien qu’on n’y rencontrât généralement pas de danger immédiat, on pouvait y perdre pas mal de temps si on n’était pas attentif. Elle avait beau s’habituer aux lieux, elle ne s’y sentait pas à l’aise pour autant.

« Attention, on va pénétrer dans la zone de l’air, lança Highlander en tête de groupe.

  • A quoi vois-tu cela ? demanda Sonia.
  • Rien dans le décor ne lui évoquait l’un ou l’autre élément.
  • Le couloir s’assombrit, expliqua Manhattan. »

Sonia constata alors que les torches qui se succédaient le long des murs de grès perdaient de plus en plus d’intensité. Non qu’elles brûlassent moins, mais leur aura semblait amenuisée par les ténèbres ambients. Bientôt, la lumière fut si faible qu’elle ne perçut plus que Manhattan devant elle. Highlander, à l’avant, s’était déjà perdu dans l’opaque obscurité.

« On s’arrête, dit enfin ce dernier. On va continuer en marchant. »

C’était la première fois qu’Highlander proposait de marcher. Jusqu’à présent, la course ne semblait pas une option tant le temps était compté pour finir le labyrinthe. Il devait avoir ses raisons.

« Xena, dit-il, on va marcher en silence côte à côte. Les papillons de nuit n’apparaissent qu’au dernier moment. Il faut les abattre rapidement avant qu’ils ne te touchent.

  • S’ils me touchent, je meure ?
  • Plus ou moins, ils te paralysent et drainent ton énergie. Si ton compagnon est assez rapide, il peut te sauver avant que tu ne meures, mais il doit être rapide. Le meilleur moyen de les contrer c’est d’anticiper leur attaque. Il faut écouter les battements d’ailes.
  • Ils ont des ailes magnifiques, ajouta Manhattan, qui s’illuminent dans la nuit.
  • Oui, mais évitons de les voir s’illuminer, précisa Highlander.
  • Qu’est-ce qui se passent si elles s’illuminent ?
  • Quand elles s’illuminent, chantonna Manhattan, c’est qu’elles t’ont eu !
  • Elles s’illuminent avec l’énergie qu’elles drainent de ton corps. C’est d’ailleurs une bonne chose, sinon tu ne verrais même pas dans l’obscurité qu’une de ces bestioles est collée dans ton dos et te suce ta force. »

Sonia aimait les papillons.

En général.

Ça allait peut-être changer.

Le couloir s’obscurcissait toujours davantage alors qu’ils marchaient en silence. Sonia n’y voyait goutte. Si elle rencontrait un coude, c’est sûr, elle allait se prendre le mur dans la tronche.

  • « Si j’entends des battements d’aile, chuchota-t-elle, je fais quoi ? Je frappe dans le vide ?
  • Ouais, répondit Manhattan sur le même ton intimiste, tu fais comme elles, tu bats des ailes, mais avec ton épée !
  • C’est vrai, confirma Highlander, c’est pas élégant, mais c’est efficace. L’important, c’est de sentir si l’ennemi vient de devant ou de derrière.
  • Parce que certains sont vicieux ! Ils attendent que tu les passes pour te tomber dessus ! »

Sonia souffla doucement dans son micro et sentit ses battements de cœur dans la poitrine.

« ça va bien se passer, ajouta Highlander, on s’est fait avoir une seule fois ici : la première. »

  Sonia aurait aimé partager cette tranquillité, mais elle n’avait pas autant confiance dans les capacités de son avatar. Et pas seulement parce qu’il avait tendance à n’en faire qu’à sa tête. Même si elle doutât que Xena puisse avoir une poussée hormonale dans un endroit pareil.

  Dans l'obscurité, Sonia ne réalisa même pas qu'ils avait atteint un croisement, avant que Manhattan la retienne.

« Attends, dit-il, il faut choisir le chemin.

  • Le chemin ?
  • Essaie de baisser la luminosité de ton casque et augmente le contraste, lui conseilla Highlander. Désolé, j’ai oublié de te le dire. »

  Sonia navigua rapidement dans son menu, les sens en alerte, et modifia les paramètres ce qui améliora le rendu des noirs. Elle gagna en profondeur, et perçut mieux son environnement. Les couloirs de chaque côté apparurent plus nettement.

« Je suis prête, dit-elle, je vois beaucoup mieux maintenant. »

Elle ne regrettait plus d’avoir acheté un casque de bonne qualité. Même si, au départ, elle ne l’avait envisagé que pour les films.

  Le petit groupe prit le chemin de gauche, mais vite, ils rencontrèrent un autre carrefour et encore un autre. Au bout de cinq minutes à enchaîner les chemins, Sonia commença à se dire que le vrai danger n’était pas les papillons, mais l’obscurité qui enlevait tout point de repère. Car la vraie particularité de cette partie du labyrinthe, c’est que la carte de traçage qui les accompagnait dans un coin de l’écran et dessinait leur parcours, était désespérément noire.

  L’attaque des papillons prit Sonia entièrement par surprise. Elle était tellement plongée dans ses réflexions sur comment sortir de ce trou noir qu’elle en avait presque oublié les insectes qui les guettait. Elle entendit le battement des ailes, et sa première pensée fut que ces papillons avaient de la grâce. Par contre, le cri de Manhattan qui suivit en était dépourvu. Une forme sombre fondit sur eux, une forme très grande. L’épée de Manhattan trancha l’air et l'ombre s’effondra sur le sol.

« Et un de moins ! cria-t-il.

  • C’est bon signe, fit Highlander. S’il y a des papillons, c’est qu’on est sur le bon chemin. »

  Sonia vit que l’insecte qui gisait à leurs pieds n’avait rien à voir avec les jolis papillons qu’elle avait rencontrés sur l’île perdue. Elle avait à faire des insectes grands comme un veau, équipés pour tuer.

  Les minutes qui suivirent furent un balai d’épée contre des ombres filant à travers les ténèbres. Sonia sentit son cœur bondir quand, au même moment, Highlander s’écria « gauche ! » et Manhattan « droite ! ». Alors qu’elle entendait des battements venir de partout : de devant, de derrière, d’en-dessous ! Elle cria en balançant son épée dans tous les sens. Un papillon géant lui tomba dessus, ses antennes gigotaient devant elle.

« Il est sur moi ! » cria-t-elle en panique.

« Bordel ! Y en a combien ? » criait Manhattan.

Sonia crut qu’elle était morte, mais aucune lumière n’éclairait le couloir. Au contraire, le papillon qui s’était collé à elle, glissa lentement et tomba sur le sol.

« Et deux de moins, fit Highlander.

  • Heureusement qu’on est dans la même équipe Xena, lança Manhattan en riant. Sinon, je serais déjà mort avec tout ce que tu m’as balancé.
  • Je suis désolée... »

Le silence régnait à nouveau dans le couloir sombre. L’assaut des papillons était terminé.

« Putain, dit Manhattan, ils s’étaient donné rendez-vous, ou quoi ?

  • J’ai parfois l’impression qu’ils nous le font à chaque fois un peu plus pervers, analysa Highlander.
  • Ouais, z’étaient pas aussi sournois la première fois.
  • Ok, je pense qu’on les a tous dégommés. Le boss doit pas être loin, allons-y. »

  Highlander avait à peine terminé sa phrase que quelque chose d’incroyable se produisit. Le couloir s’illumina. Une lumière étincelante, au rayonnement bleu et blanc, magnifique, jaillit du sol et toute la scène de bataille s’éclaira laissant apparaitre, sous le regard médusé de Sonia, les cadavres des papillons géants qui les entouraient.

« Bordel ! » rugit Highlander.

Sonia comprit alors. Tard, très tard.

Ne jamais baisser sa garde.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lofark ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0