18-4 Le souffle du feu
Sa chute se bloqua en plein vol. Elle fut projetée violemment en arrière. Ses mains brassaient l’air tandis que son corps se balançait sous le pont. Le décor se mit à tourner autour d’elle, et elle ne comprit qu’aux cris de joie de Manhattan que le plan avait réussi. La lave était quelques mètres en-dessous. Des bulles de gaz explosaient à la surface visqueuse.
« T’as pas trop mal aux cheveux, Xena ? » s’esclaffa Manhattan avant de partir dans un fou rire.
L'enfoiré ! Il m'a attrappé par les cheveux !
En sortant de la salle en fusion, les deux hommes riaient encore.
« Patron, c’est de loin, notre plus belle opération de sauvetage dans Autremonde, s’extasiait Manhattan.
- C’était tout de même un peu tiré par les cheveux ton plan, rétorqua Highlander avant que les deux n’éclatent de rire.
- Ma devise c’est : « Quand y a de la vie, y a d’ l’espoir ! »
- Et comme on est le Phoenix, conclut Highlander, l’espoir ne meurt jamais ! »
Pendant que ses deux compagnons se congratulaient sur la profondeur de leurs maximes, Sonia avait une envie folle de se frotter la tête. Elle avait mal au crâne rien que de s’imaginer la sensation que ça aurait fait dans la vraie vie. Elle avait joué aux acrobates, elle avait fini comme un clown, pendue par les cheveux au-dessus du magma.
Mais elle était vivante.
« Le pire, dit Manahttan, alors qu’ils couraient dans leur dernière ligne droite, c’est que je crois qu’on a fait tout ça pour rien.
- Que veux-tu dire ?
- Je viens de voir que la seconde icone de la clé s’est débloqué.
- C’est quoi la seconde icone ? demanda Sonia.
- Le transport d’objet. »
Au bout du couloir se trouvait une porte en métal. Highlander expira longuement et frappa son poing dans sa paume.
« Bon, on n’a pas fait tout ça pour rien ! ».
Sonia savait que la clé de feu se trouvait de l’autre côté. Et qui disait clé de feu, disait Succube.
Et une revanche à prendre.
***
La lourde porte métallique ne résista pas. Elle glissa en grinçant sur ses gonds comme pour leur souhaiter la bienvenue dans leur futur tombeau. Au-delà régnaient les ténèbres. Les trois avatars pénétrèrent dans une obscurité qui n’était pas sans rappeler le couloir des papillons de la mort.
« Je n’aime pas ça… murmura Highlander.
« C’est vrai que pour un monde de feu, y a pas beaucoup de lumière, approuva Manhattan.
Si le démon femme était leur adversaire, il habitait un endroit à l’opposé du faste ostentatoire qui caractérisait la salle de leur derrière confrontation.
La lumière qui filtrait par l’entrée laissait deviner une vaste pièce, mais l’obscurité était telle que Xena pouvait tomber dans un ravin sans même s’en rendre compte.
« Qu’est-ce qu’on fait, chef ? On avance ?
- Aiguisez vos lames, je marche devant.
« Tu ne crois qu’il peut y avoir un trou ? demanda Sonia
- Non, on est dans le monde du feu. »
Sonia faillit lui répondre qu’elle ne sous-entendait pas qu’on était dans le monde des trous.
« Tu crois que notre copine se planque là-dedans, chef ?
- Non. Je me rappelle à présent qu’Arjun avait parlé d’une grande salle obscure, la première fois qu’ils avaient dû affronter le… »
Une explosion brusque et puissante avala les paroles d’Highlander. Droit devant eux, un tourbillon de feu gicla de nulle part, aspirant l’air en son centre dans un hurlement strident comme si une brèche s’était ouverte dans la coque de la réalité droit vers le néant. La spirale de feu tournoya de plus en plus vite, pour se concentrer vers son point central, puis une seconde explosion détonna, aveuglant Sonia.
« Bon Dieu ! Qu’est-ce que c’est ? gémit Manhattan.
Le calme redescendit sur eux tandis que la silhouette aux reflets d’or et de souffre déployait ses ailes de lumière devant eux. Une aura de feu enveloppait son corps et, à la place des yeux, brillaient deux étoiles scintillant dans la nuit.
« …le Phénix » acheva Highlander.
L’oiseau mythique battit des ailes et des vagues de feux irradièrent tout autour. Des lignes de flammes se propagèrent sur le sol dans plusieurs directions à la fois, en suivant une trame bien précise.
Sonia recula inconsciemment. Les murs de feu s’élevèrent partout à la fois, filant vers les extrémités de la salle jusqu’à déborder les trois avatars pour se rejoindre derrière eux et les enfermer dans une arène enflammée.
On est piégé.
« Marre des oiseaux, mâchouilla Manhattan.
Contrairement au Griffon, le Phénix ne bougeait pas. Après sa démonstration de puissance, il replia ses ailes et fixait les intrus de ses deux diamants qu’il avait à la place des yeux.
« Vous l’avez déjà combattu ? demanda Sonia devant le silence de ses collègues.
« Oui, dit Manhattan.
« Et vous l’avez déjà battu ? »
Le silence qui suivit fut aussi clair qu’un mot inscrit à la craie blanche sur un tableau noir.
« Le Phénix, expliqua Highlander, est un des plus puissants gardiens de clé. Et en ce qui me concerne, c’est peut-être le pire de tous. Il est quasiment invulnérable. Il est insensible au feu, il attaque à distance et te carbonise dès que tu t’approches. Seul Arjun a réussi à lui faire face valablement. Mais il s’est retrouvé dans une impasse, pris entre l’attaquer et se défendre. Notre dernière confrontation a tourné au fiasco. On s’est fait balayer.
- Tu ne peux pas l’aveugler ? demanda Sonia en repensant à la technique utilisée contre le Griffon.
- Ses yeux sont deux sortes de cristaux indestructibles. Mais même si c’était possible, ses vagues de feu sont multidirectionnelles. Il est impossible de lui échapper.
- Heureusement, intervint Manhattan, il n’apparait pas souvent. En général, on affronte la salope.
- Il n’a pas de point faible ? insista-t-elle
- Pas à ma connaissance » conlut Highlander.
Les mots furent durs à entendre. Après les exploits qu’ils venaient de réaliser, se dire qu’ils allaient se faire écraser sans la moindre de chance de se défendre...
« Comment va-t-on le vaincre alors ?
- En temps normal, je te dirais qu’on a aucune chance. Mais… » Highlander émit une pause comme s’il réfléchissait. « …Mais, cette fois, reprit-il, nous avons une arme secrète qui pourra peut-être renverser la tendance ».
« ATTENTION, cria Manhattan, il va attaquer ! »
Les deux ailes se déplièrent avec élégance en dégageant une aura incandescente. Les yeux du Phénix s’illuminèrent. D’un battement d’aile, une bourrasque flamboyante fondit sur eux dans un rugissement brûlant.
« À TERRE ! » ordonna Highlander.
Sonia plongea sans réfléchir.
La vague de feu passa juste au-dessus d’elle non sans lui arracher quelques points de vie.
Elle comprit qu’un impact de front et s’en était fini.
En tournant la tête, elle vit qu’Highlander était déjà debout. Il avait sorti ses deux épées qu’il tenait dans chaque main.
« Il va falloir être rapide, dit-il, les balles fondent à son contact, mais j’ai entendu dire qu’un coup de lame est plein cœur pouvait l’abattre. »
« Manhattan, on doit le surprendre. À la prochaine… »
Encore une fois, il ne termina pas sa phrase. Comme s’il avait senti le danger, le Phénix, d’un nouveau battement d’aile, projeta au sol une gerbe de feu et prit son envol.
« Merde » murmura Highlander.
Poussant un cri qui rappelait celui du Griffon, l'oiseau s’embrasa comme un soleil et, de ce même mouvement de ses ailes déployées, déversa sur eux un brasier dévastateur.
Étrangement, à ce moment précis, alors qu’elle savait qu’ils n’avaient aucune chance d’échapper à la conflagration du Phénix, les mots qui vinrent à l’esprit de Sonia furent « purifiés par le feu ».
Sans attendre le verdict de l'ordalie, Highlander avait hurlé ses ordres. « MANHATTAN ! »
La boule de feu frappa Xena de plein fouet dans un kaléidoscope de couleurs rouge et orange. Sonia regarda ses mains et vit qu’elles ne brulaient pas. Sa barre de vie était intacte. Elle entendit alors le souffle puissant d’un vent et les flammes qui l’entouraient s’élevèrent à la verticale comme aspirées par une cheminée. La pression se fit de plus en plus forte et, l’instant d’après, elles disparaissaient dans un tourbillon grondant au-dessus de leur tête. Se tournant vers Manhattan, elle constata qu’il brandissait devant lui la clé qu’ils avaient ravie au Gardien de l’air. Elle brillait dans sa main comme une lampe émanant une lumière blanche pure.
« Ça marche ! dit-il. Ça marche ! »
« Bon boulot !» renchérit Highlander.
Le gentleman, qui avait laissé son haut chapeau dans sa poche, fit des moulinettes avec une de ses épées. Il fit un pas en avant.
« Maintenant, on va pouvoir jouer ».
Devant son échec, le Phénix poussa un cri et se reposa sur le sol. Ses yeux brillaient toujours d’une lueur intense, mais son aura de feu avait perdu en intensité et on découvrait pour la première fois un plumage d’or d’une beauté inouïe. Mais surtout, jusque-là dissimulée par les plumes incandescentes, venait d’apparaitre une chaine autour de son cou au bout de laquelle était accrochée une clé. La clé.
« À trois » fit Highlander.
« Un » dit-il. Un souffle de vent souleva la redingote bleu nuit du leader.
« Deux »
Le vent se changea en bourrasque. Manhattan tendait toujours la clé qui semblait briller plus fort à chaque fois que le vent gagnait en puissance. Comme en réponse à la tempête que Manhattan était sur le point de déclencher, le Phénix recouvra son aura de feu et la clé disparut dans la fournaise de sa poitrine.
« TROIS » rugit Highlander qui se mit à courir vers l’avant.
Au même moment, une tornade se déclencha, enveloppant le guerrier comme un bouclier, et s’abattit sur le gardien. La vague s’écrasa contre la flambée dégagée par l’oiseau mythique. Les flammes s’élevèrent vers le plafond en tourbillonnant. Est-ce que le feu de l’oiseau allait se faire emporter par la puissance de la clé de vent ? Les flammes s’étirèrent vers le ciel, et frappèrent le plafond le long duquel elles s’étalèrent dans toutes les directions. C’était un spectacle incroyable que de voir le plafond de la grotte se transformer en mer de feu portée par le vent.
En reposant son regard sur l’oiseau, Sonia comprit alors. Le phénix brulait d’une intensité plus forte encore, ses yeux avaient pris une couleur rougeâtre. Il semblait bouillonner. Le vent n’avait en rien éteint les flammes.
Il attise le feu, réalisa-t-elle.
Sonia vit alors une lueur blanche entourer pour la première fois l’oiseau de feu.
Il va contre-attaquer.
Mais c’était trop tard. Highlander, profitant de la diversion avait surgi et s’apprêtait à frapper le gardien de son épée. La lame transperça le plumage d’or en pleine poitrine. Le Phénix poussa un cri de douleur qui résonna bien au-dessus du vent et des crépitements des flammes.
Il réagit. De son aile, il balaya Highlander qui vola dans les airs et retomba à plusieurs mètres. L’oiseau se débattit, incapable de retirer l’épée plantée dans son corps.
« Merde, j’ai morflé, jura Highlander en se relevant.
- Tu l’as eu ? demanda Manhattan.
L’oiseau semblait en proie à des tourments terribles. Les flammes virevoltaient autour de lui. Et cette aura blanche qui l’avait entourée clignotait.
« Je l’ai bien eu, mais… »
L’oiseau sembla se concentrer un instant, puis ouvrit grand son bec dans leur direction. Une lueur blanche intense scintillait du fond de sa gorge.
« C’est pas bon… » pensa Sonia.
« IL ATTAQUE ! s’indigna Highlander. Protège-nous ! »
Le rayon laser jaillit à la vitesse de l’éclair. Un trait de lumière blanche fine et dévastatrice fila depuis le bec et passa à moins d’un mètre d’Highlander. La roche explosa derrière eux. Le rayon mortel clignota. L’oiseau visa à nouveau et tira. Highlander plongea vers Xena et évita à nouveau l’attaque. Mais cette fois l’oiseau ne coupa pas le courant et d’un mouvement de tête balaya toute la salle de son rayon. Sonia plongea par terre et la ligne d’énergie lui passa juste au-dessus. Elle roula sur le sol juste assez pour voir la paroi de roche derrière elle exploser sur toute sa longueur. Comme si rien ne pouvait résister à ce concentré de puissance.
« Manhattan ! » cria Highlander. Trop occupé à maintenir le mur de vent impénétrable devant lui, Manhattan ne vit pas le rayon venir.
« FAIS GAFFE ! hurla Highlander.
Manhattan, l’avatar le plus rapide du monde, dut apercevoir la ligne blanche fondre sur lui car Sonia fut certaine que le mur de vent s’intensifia au moment du contact.
Manhattan, le nouveau maitre du vent, s’écroula.
Coupé en deux.
***
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