19-1 Sur un nuage

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  Xena observait la torchère. Le feu dansait dans la grande coupole aux reflets cuivrés. Elle serra les lèvres, envahie d'une sorte de fébrilité toute neuve. Elle reconnaissait chaque détail du grand hall, ses piliers massifs, son arche énigmatique et ses deux ouvertures, vastes et sombres, chacune rescellant ses propres mystères et dangers. Au signal d’Highlander, les deux groupes s’engagèrent dans leur couloir respectif.

  Comme lors des raids précédents, leur progression était cartographiée ce qui devait leur éviter de tourner en rond. Pourtant, au bout d’une dizaine de minutes, Sonia sentit une tension s’installer. Ils ne progressaient pas. Aucun d’indice de l’élément dans lequel ils évoluaient. Highlander marmonnait des paroles inaudibles à chaque carrefour. Ils n’avaient pas encore rencontré le moindre ennemi.

« On s’éloigne ! » jura-t-il.

  Le chronomètre indiquait vingt minutes lorsqu’ils débouchèrent sur un vaste gouffre sans fond apparent. La crevasse avait une forme circulaire et était si large que Sonia devinait plus qu’elle ne discernait son extrémité. Sur son flanc gauche, un escalier de pierre descendait en spirale le long de la paroi jusqu’à disparaitre dans les abimes.

« On est au trou, commenta Manhattan.

- Le trou ? répéta Sonia.

- Le gouffre de Kulkukan, précisa Highlander. C'est le centre du labyrinthe. Tout bouge ici, mais le gouffre est toujours au même endroit. On peut rejoindre chaque zone à partir d’ici. Mais ce n’est pas un raccourci. Au contraire. »

Sonia entendait le vent siffler. « Qu’y-a-t-il en bas ?

- La mort, fit Manhattan.

- Au bout d’un certain temps, les escaliers s’arrêtent, expliqua Highlander. Mais le trou continue. Si tu tombes dedans, tu finis hors du labyrinthe.

- Bref, tu meurs » précisa Manhattan.

  Un chemin étroit parcourait les abords du gouffre sur toute sa circonférence et, par intervalles, des ouvertures se découpaient dans la roche. Ces passages devaient mener aux différentes zones élémentaires. Depuis sa position, Sonia compta sept passages, mais le flanc opposé était trop sombre pour y distinguer quoi que soit.

« Bon, on ne traine pas ici.

- On fait demi-tour ? demanda-t-elle.

- Non, je n’aime pas faire demi-tour. Ça porte malheur. »

Highlander indiqua une entrée à une vingtaine de mètres. « On prend par-là ».

  Le trio marcha prudemment le long du sentier étroit. L’écho du vent résonnait dans le vide. On dirait que ça vibre. Une fois à l’abri dans le couloir, ils reprirent leur course en avant vers l'élément encore inconnu.

Bientôt, des lianes apparurent au plafond.

« J’avais jamais vu de lianes dans ce labyrinthe » s’étonna Manhattan.

Sonia ressentit un léger tremblement terre. Les lianes se balançaient au-dessus de sa tête.

« Ça sent la clé de Terre ! » lança Highlander. À peine avait-il fini sa phrase que le sol craqua sous leurs pieds. « Sautez ! » cria-t-il tout en bondissant pour agripper une liane. Le sol s’effondra. Sonia, accrochée à la liane, contemplait ses pieds au-dessus du néant.

« Encore un petit trou… » commenta Manhattan derrière elle.

« Un piège, c’est bon signe ! » fit Highlander. Sautant de liane en liane, les compères avancèrent jusqu’au bout de la craquelure.

  Leur course contre la montre reprit de plus belle. Ce nouveau chemin n’offrait pas les milles et une bifurcations de celui qui les avaient fait dévier vers le gouffre central et ils débouchèrent enfin dans une vaste salle. Une immense crevasse leur barrait la route. Manhattan soupira. « Encore un trou… ». À la surface de la crevasse béante flottait une épaisse nappe nuageuse. On aurait dit un matelas cotonneux dans lequel Sonia se serait bien blottie.

« Je ne comprends pas, fit Highlander. J’étais persuadé qu’on était dans la zone de Terre.

- Ce n’est pas le cas ? interrogea Sonia.

- Non, on est devant le pire des obstacles du labyrinthe : le chemin de nuage.

- Je crois que tu en as déjà parlé. C’est la fameuse tombola, c’est ça ?

- C’est ça. »

  Le chemin de nuage était un piège tout simple. Le nuage recouvrait un gouffre sans fond. Seules certaines portions du nuage étaient solides et permettaient de passer au-dessus du vide, mais seul un être vivant pouvait activer la solidification de la brume. Un objet inanimé lancé sur le nuage tomberait systématiquement au travers. Chacun des quatre membres du Phoenix était tombé au moins une fois dans l’abime en tentant de passer. D’après Highlander, les chemins valides s’alternaient environ tous les deux mètres. Ce qui en théorie laissait en gros une chance sur deux de se planter, même s’il leur avait fallu pas mal de chutes dans le vide pour mesurer l’intervalle.

« Quelqu’un se sent en veine aujourd’hui ? » demanda Highlander d’un ton plutôt léger. Le ton d’un homme résigné à voir quelqu’un quitter l’aventure.

  Les trois avatars se tenaient côte à côte au bord du matelas poreux. Le tapis de nuage flottait avec nonchalance, caressé par une brise qui parcourrait sa surface en formant de petites vaguelettes de brume. Des volutes de vapeurs se détachaient par endroits pour s’évaporer dans l’air. Rien, non rien ne laissait transparaître les zones solides des zones molles, les zones de vie des zones de mort.

« Honneur aux dames, fit Manhattan.

Le cœur de Sonia fit un bond.

« Merci Manhattan, je ne me rappelais pas que tu étais galant.

— Juste quand ça m’arrange.

— On le fait à pile ou face ? » proposa Highlander.

  Highlander était le chef de groupe. Il pouvait désigner l’un ou l’autre et personne ne broncherait. De plus, le perdre lui était certainement la pire chose qui pouvait leur arriver. Sa proposition - on ne peut plus démocratique - était d’autant plus louable. Sonia se demanda s’il l’avait faite parce qu’il la connaissait dans la vraie vie ou juste pour qu’elle se sente un membre du groupe à part entière. Ou alors voulait-il que chaque membre puisse faire son propre cas de conscience sur ce qui était le mieux pour le groupe ?

« Non, dit-elle, j’y vais. Si quelqu’un doit tomber, je préfère que ce soit moi.

- Très bien. »

Xena s’avança d’un pas.

Allons, ma grande, c’est là qu’on va voir si maman avait raison. Si je tombe, je fais régime lundi.

Elle inspira profondément. Une petite comptine lui revint alors en tête.

« Un éléphant se balançait sur une toile d’une araignée ; comme la toile résistait, il appela un camarade… »

Sonia souffla. Xena posa un pied sur le nuage.

Elle tomba au travers.

Sa chute fut courte. Elle se retrouva sur la pente d’une sorte d’entonnoir qui, en se rétrécissant, forma un toboggan. Elle fila à toute allure dans les méandres de cavités rocheuses qui plongeaient vers le centre de la terre. Arrivée en bout de course, elle fut propulsée hors du toboggan et tomba dans un puits.

Elle s’écrasa sur le sol.

Des dalles. Elle était couchée sur des dalles.

Elle se leva et inspecta les lieux. Elle n’était pas morte. Elle était toujours dans le labyrinthe.

De faibles torches éclairaient les murs d’où suintait l’humidité. Un couloir ? Elle n’était pas morte, mais avait atteint une autre partie du dédale.

« Manhattan ? appela-t-elle. Highlander ? ».

Silence.

Au-dessus, la cheminée d’où elle avait émergé était sombre.

Elle ouvrit la fenêtre de tchat.

Voyons, je suis perdue, seule, au milieu de nulle part. Mes chances de survies dans les dix prochaines minutes sont… nulles.

Elle se contenta d’écrire. « Pour info, je suis encore vivante. Je suis à un étage inférieur du labyrinthe. »

  Les réponses ne se firent pas attendre. Highlander : « Xena ?? T’es encore vivante ? ». Manhattan : « T’es pire que le Phénix ! ». Arjun : « Il y a des étages dans Kulkukan ? ». Contraste : « Donc l’info du jour, c’est que Xena n’est pas encore morte ? ».

Sonia faillit répondre, mais ne vit ce qu’elle avait d’utile à dire. Que faire maintenant ? Elle était au milieu d’un ancien corridor de pierres sculptées. Prendre à gauche ou à droite ?

Va pour la droite. Intuition féminine.

  Elle avança le long du couloir en marchant lentement. Elle était seule. Elle était vulnérable. Elle n’était donc pas pressée. Tout était sombre. Lorsque le vent se mit à souffler, elle eut le sentiment de quelque chose de familier ; ce sentiment fut confirmé lorsqu’elle elle déboucha sur un balcon, fiché en plein centre de la paroi abrupte de l’immense gouffre central. Un début d’escalier démarrait sur la gauche, mais avait été brisé au bout de quelques mètres.

Cul-de-sac.

  Si jadis ce promontoire avait été accessible par l’escalier qu’elle avait aperçu d’en haut, la connexion était coupée. Elle n’apercevait pas l’autre partie, preuve s’il en est qu’elle était descendue très bas. Elle repensa aux paroles d’Highlander « Faire demi-tour, ça porte malheur ». Elle soupira et rebroussa chemin. Elle marchait dans une pénombre silencieuse. Ce lieu avait quelque chose de spécial, mais elle n’aurait su dire pourquoi.

  Une faible lueur apparut enfin qui s’accrût au fur à mesure qu’elle approchait. Elle déboucha dans une pièce un peu plus large. Une petite forme blanche flottante se découpait sur le mur du fond. Elle sortit son épée.

  Ce ne fut qu’une fois toute proche que son esprit accepta l’idée que la forme, petite et légère, qui se tenait immobile devant elle, était une fillette.

***

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