19-2 Enfant perdue
La petite fille portait une robe de nuit blanche usée et sale. Elle avait la peau blafarde et de longs cheveux noirs en pagaille. Ses pupilles noires renvoyaient un regard sans expression. Le vent qui soufflait agitait les cheveux de ce spectre d’enfant.
« Bonjour, dit Sonia.
- Bonjour Xena. »
La réponse n’avait pas tardé. La voix était étonnement douce et fluette en contraste avec le regard sans vie qui la caractérisait.
« Comment t’appelles-tu ? »
Sonia s’étonna elle-même de sa question. Cette petite fille devait être un piège mortel. Mais peut-être pas. L'enfant bascula légèrement sa tête de côté.
« Mon nom ? Je ne me rappelle pas.
— Où sommes-nous ?
— Nous sommes dans ma cachette.
— Que fais-tu là ? insista Sonia.
— J’attends ma maman. »
Cette scène ressemblait à un mauvais film d’horreur. La petite fille allait se transformer en monstre des enfers et avaler Xena. Sonia serra la manette qui matérialisait son épée.
« Et toi. Pourquoi es-tu venue ici ? demanda la fillette.
— Je cherche les clés.
— Quelles clés ?
— Les clés de la cité d’Altengard.
— Altengard ? C’est le château de mon oncle. Il est méchant, mon oncle. Pourquoi veux-tu aller là-bas ? »
Pourquoi ? Je ne sais pas. Pour me faire des amis ?
« Moi et mes… amis, nous espérons gagner le droit de… de faire une chasse au trésor dans Altengard. »
La petite fille la fixa sans mot dire. Est-ce qu’elle réfléchissait ? Altengard n’était peut-être pas le genre d’endroit où on faisait une partie de cache-cache. La fillette pouvait être une IA ou un humain. Cette discussion commençait à ressembler un peu trop à l’affrontement de la Succube. Devait-elle brandir son épée et décapiter la fille ? C’est ce que Manhattan aurait fait. Elle était plongée dans le doute. Elle tenta de gagner du temps.
« Et toi ? Pourquoi attends-tu ta maman ici ? Si ça tombe, ta maman t’attend dehors ?
— Elle m’a dit de me cacher ici avec Cribald car les soldats de mon oncle nous cherchent.
— Cribald ? Qui est Cribald ?
— C’est mon chien. Il est petit, mais quand il sera grand, il sera très fort et il me protègera des méchants soldats. »
Il était évident que cette fille était programmée pour répondre aux questions. Elle n’avait pas de clé. Donc, soit elle était là pour tuer les intrus, soit elle était là pour leur dire quelque chose. Quelque chose d’utile. Mais alors quoi ?
« Je dois y aller, dit Sonia.
— Pourquoi ? Tu pourrais rester ici. Et me faire compagnie. »
Exactement la réponse qu’elle craignait.
« Je ne peux pas. Dans peu de temps, le labyrinthe m’éjectera, que je le veuille ou non.
— Si tu restes ici, il ne t’arrivera rien. Le labyrinthe est là pour me protéger. Tu ne risques rien ici. »
Sonia jeta un coup d’œil aux murs sombres. Était-ce possible de rester coincer ici au-delà des deux heures ?
« Mes amis m’attendent, je ne peux pas… ».
Elle se tut. Elle n’allait pas apitoyer une intelligence artificielle.
« Désolé, dit-elle. Je ne peux pas rester. »
La fillette avait un visage presque translucide. Sonia sentait qu’elle ne devait pas la contrarier et ce visage impassible lui disait que son épée serait inoffensive.
Le labyrinthe me protège. Que veut-elle dire ?
Xena avança lentement vers la jeune fille au regard éteint. Il n’y eu aucune réaction lorsqu’elle la dépassa. Au bout de quelque pas, elle se retourna. La fillette n’avait pas bougé. Elle lui tournait le dos. C’est comme si elle était aveugle. La guerrière pivota et courut.
Au bout du couloir se trouvait une pièce éclairée. La première chose que Sonia vit, fut l’escalier, tout au fond, qui montait. La seconde chose qui attira son attention fut Cribald. Le chiot la fixait de ses yeux noirs, mais le chiot avait grandi. Il faisait bien quatre mètres au garrot, de sa gueule géante s’échappait une fumée de vapeur, les babines retroussées sur de superbes rangées de dents acérées. Son poil était hérissé sur une carcasse solide à la musculature puissante. L’animal gronda. Tu avais raison, jeune fille. Quand il sera grand, il saura te protéger.
Le molosse était tellement grand qu’il ne pouvait pas quitter la pièce. Aucune des issues n’était assez large pour le laisser passer. Il avait donc grandi ici. Sonia ne préférait pas penser avec quoi il s’était alimenté durant toutes ces années. Même si ce n’était pas difficile à imaginer en voyant sa langue se pourlécher les babines, pour pousser ensuite un grondement qui s’apparenta à un tremblement de terre. Elle avait peut-être une chance infime de passer en vitesse. Si elle était assez rapide, elle pouvait rejoindre l’escalier et il ne pourrait pas la suivre.
Le monstre bondit.
Trop tard.
La mâchoire se referma dans le vide quand Sonia tomba à la renverse sur le tapis de son salon en faisant exécuter à Xena une roulade spectaculaire. Sonia se cogna la tête dans le casque et jura. Xena roula encore une fois et se retrouva dans le couloir juste assez loin de la gueule du chien géant. Les dents claquèrent devant ses pieds. Sonia cria, puis, assise le cul par terre, recula doucement. Halentante, elle attendit figée par terre, le temps de reprendre son calme, les yeux fixés sur les babines retroussées du molosse.
Ok. Plan B.
« Je suis de retour ».
La fille se retourna vers Xena. Elle garda le silence.
« J’ai croisé Cribald, dit-elle, mais il ne veut pas me laisser passer.
— Cribald, répondit enfin l’enfant, n’aime pas les étrangers.
— Et si les soldats avaient attrapé ta maman ? demanda Sonia. Peut-être qu’elle est prisonnière dans le château de… de ton oncle. À Altengard !
— Ma maman est très forte.
— Mais ton oncle aussi et il est méchant.
— Oui, il est méchant.
— Et ça fait longtemps qu’elle est partie. Moi je crois qu’elle est prisonnière de ton oncle dans le château d’Altengard. C’est logique, sinon elle serait déjà revenue depuis longtemps. Si j’obtiens les quatre clés des quatre éléments du labyrinthe, j’aurais le droit de pénétrer dans Altengard.
« Et je pourrais libérer ta maman. »
Il y eu un autre silence interminable. Jusqu’à quel point ces intelligences artificielles étaient logiques ? Mystère.
« Dis-lui que je m’ennuie et Cribald aussi. »
C’était sa porte de sortie.
« Très bien, je vais la retrouver et je vais lui dire de venir te chercher. ».
C’était le moment de vérité.
« Tu pourrais dire à Cribald de me laisser passer ? Si je dois t’aider, je dois m’en aller et je ne voudrais pas… lui faire de mal. » Ah la bonne blague !
La fillette ne réagit pas. Sonia insista.
« Est-ce que tu peux lui dire de me laisser passer
— D’accord »
La petite fille lui tendit la main.
Message : acceptez-vous de prendre la main ? oui – non
Oh le piège…
Mais avait-elle le choix ? Bien sûr qu’elle avait le choix, peut-être devait-elle décapiter la fille et le monstre disparaitrait de lui-même ? Les programmeurs étaient des pervers après tout, il ne fallait pas l’oublier. Sonia souffla. Sa tête lui faisait mal. Elle aurait une bosse à coup sûr.
Et va te faire voir, salle gosse !
Elle pressa « oui ».
La fille lui prit la main. « Allons-y » dit-elle.
Sonia n’y croyait pas. Elle n’était pas morte. Elle venait de prendre la main d’un spectre sans âme, dans le labyrinthe le plus mortel d’Autremonde et elle était encore vivante !
EIles furent accueillies par un grognement terrifiant. Au centre de la pièce se trouvait le gigantesque molosse.
« C’est mon chien » commenta stoïquement la petite fille.
Le monstre canin approcha lentement. Il émit un grognement, mais n’attaqua pas. Il s’arrêta tout près. De la bave coulait de ses mâchoires puissantes.
« Il est triste » dit la petite fille.
La petite fille s’approcha du chien géant, lui caressa l’encolure.
Il est triste, mon œil, pensa Sonia. Il a la dalle !
« Tu as du cœur Xena, dit-elle. À présent, nous sommes amies. Tu pourras venir me rendre visite quand tu le souhaites. La porte te sera toujours ouverte.
— La porte ?
— La porte qui mène ici. Tu la reconnaitras à l’emblème de ma famille. Assure-toi d’être toujours seule. Sinon la porte restera cachée.
— Seule... Très bien. »
Sonia s’avança avec précaution. Cribald la fixait sans bouger. Arrivée aux pieds de l’escalier, elle se tourna vers la fillette. Il manquait une pièce au puzzle.
« Tu es certaine que tu ne veux pas venir avec moi ? Les méchants pourraient te trouver comme je t’ai trouvé.
— Non. La montagne me protège. Et puis Cribald serait malheureux, si je le laissais seul ici.
— Je retrouverai ta maman, dit-elle.
« Je retrouverai ta maman et je lui demanderai quel est ton nom ».
Xena se retourna et courut dans les escaliers.
La montée fut interminable. La cellule de la fillette était profondément enfouie dans les bas-fonds de la montagne loin au-dessous du labyrinthe.
Au bout de la montée, elle se retrouva face à un mur. Au centre du mur était gravé le dessin d’une rose. Mais il n’y avait aucune porte.
Un passage secret.
Elle effleura la rose de la main et celle-ci s’illumina. En un instant le mur avait disparu et un couloir s’offrait à elle.
Elle était de retour dans le labyrinthe.
Et elle n’était pas encore morte.
***
Annotations
Versions