« J’en avais entendu parler, dit Arjun, mais je n’avais jamais entendu dire qu’on pouvait en sortir vivant. »

 Les cinq compagnons étaient attablés dans leur pièce secrète du Trésor Englouti, pour le débriefing de fin de journée. Dès le début, les questions avaient fusé sur l’incroyable aventure de Xena, qui avait exploré les entrailles de la montagne et survécu à une rencontre avec une fillette et son chien infernal.

 D’après Arjun, plusieurs joueurs étaient déjà tombés dans ce niveau étrange, mais aucun n’en était revenu. Il ignorait les détails de ces rencontres, mais pouvait imaginer que la plupart des joueurs n’avaient pas l’instinct maternel.

 Sonia ne pouvait s’empêcher de repenser au regard vide de la fillette et au ton mélancolique de sa voix. Cette enfant n’était pas plus vivante que les zombies qu’elle avait affrontés lors du premier jour. Elle devait être morte depuis des décennies, peut-être des siècles. Sa mère aussi n’était plus de ce monde. Alors pourquoi cette fillette était-elle encore là ? Qu’attendait-elle de Xena ?

Elle a peut-être juste besoin d’amour ?

 Absurde ! Ils étaient dans un labyrinthe peuplé de monstres. Cette fillette n’était qu’une anomalie du jeu, quelque chose qui appartenait à un ancien code ou bien une rémanence laissée par une IA. Sonia avait lu un article sur ces portions de jeu créées indépendamment des développeurs.

Et si c’est toi qu’elle recherchait ? Et si elle a vu en toi quelque chose… Que tu ne veux pas voir…

Sonia sentit une boule dans son ventre.

Si elle t’a laissé en vie, c’est pour une raison que tu refuses de voir.

« C’est aussi curieux que tu sois ressortie dans la zone de l’eau, à l’opposé de ton point de départ », poursuivit Arjun.

— Félicitations, d’ailleurs, Xena, reprit Highlander. Traverser seule toute la zone de l’eau et engager un duel à mort avec son boss, alors que tu es niveau 30, c’est une sacrée performance !

 Bien qu’elle ne voulût pas le souligner ouvertement, Sonia était secrètement fière de son combat final contre le serpent géant. Elle allait remercier Highlander pour le compliment lorsque les mots s’étranglèrent dans sa bouche.

Et si je n’y étais pour rien ? Et si c’était elle qui avait fait en sorte que je passe la zone sans encombre ?

Sous son casque, Sonia sentait son visage se décomposer. Elle avait du mal à respirer.

« Gardons à l’esprit cette rose, reprit Arjun. Je ne me rappelle pas l’avoir déjà vue, mais elle pourrait être utile dans les trois derniers jours. »

Non, c’est impossible...

« Au fond, on ne voit que ce qu’on cherche, fit remarquer Highlander. Cette rose était peut-être sous nos yeux depuis le début. »

— Encore faudrait-il trouver le nom de la fille, jugea Contraste.

— Pourquoi tu fais non de la tête, Xena ? demanda Manhattan.

— Non… je… pour rien… »

Sonia fut prise de terreur à l’idée que ses compagnons puissent lire son malaise sur le visage de Xena. C’est Arjun qui la tira de ce mauvais pas.

« Je me propose de mener des recherches sur les mythes d’Elisor et les Seigneurs d’Altengard. Si l’un d’entre eux avait un lien avec la fillette, cela pourrait ouvrir une piste.

— Très bien, fit Highlander. Qu’est-ce qu’on a appris d’autre ? »

Sonia déglutit. Ils n’ont rien vu. Elle tentait vaille que vaille de reprendre son calme. C’est bon, ils n’ont rien vu.

« Le Phénix est immortel, lança Manhattan.

— Ouais... opina Highlander. Si seulement c’était notre cas…

 Les deux équipes avaient été confrontées à l’oiseau de feu à plusieurs reprises, échouant à chaque tentative. Contraste et Arjun s’étaient retrouvés une fois de plus coincés dans le même scénario : Contraste, impuissant face aux flammes, et Arjun, condamné à ériger un mur protecteur pour contrer les vagues de feu.

 Le combat avait semblé durer une éternité. À chaque fois que le duo approchait, l’oiseau s’envolait et contre-attaquait. Ils avaient joué au chat et à la souris pendant une heure sans trouver de solution.

« Pendant une semaine, on s’est tapé le Succube presque tout le temps, dit Manhattan. Si maintenant on doit affronter le Phénix à chaque fois, c’est mal barré.

— Inutile de le combattre sans la clé de l’eau, » trancha Contraste.

— Et même si on le bat, il renaît plus puissant, ajouta Highlander.

— Alors, qu’est-ce qu’on fait ? » demanda Manhattan.

Sonia profita du temps-mort pour se reconcentrer sur le vrai problème que posait l’oiseau de feu.

« Combien de temps entre sa mort et sa régénération ? s’enquit Arjun.

— Qu’en penses-tu, Xena ? Cinq secondes ? »

Sonia réfléchit. « Oui, peut-être un peu plus. Si j’ai survécu à sa renaissance, c’est uniquement grâce au mur de vent. Sans ça, j’aurais été emportée par l’explosion, moi aussi. Et j’étais assez éloignée.

— Bon point, approuva Highlander.

— Donc quoi, s’anima Manhattan, on tue la bête, on chope la clé et on prend nos jambes à notre cou pour sortir de la salle. Et on a cinq secondes ?

— Je ne crois pas, fit Sonia.

— Tu ne crois pas quoi ?

— Je ne crois pas qu’on puisse garder la clé s’il ressuscite.

— Mais bien sûr ! s’exclama Highlander qui venait de comprendre.

— Mais bien sûr ? grogna Manhattan. Comment ça « mais bien sûr » ?

— Lorsqu’il a ressuscité, expliqua Sonia, Highlander tenait la clé dans sa main. Et l’instant d’après, non seulement il avait été pulvérisé, mais la clé avait disparu. Et je mettrais ma main au feu qu’elle était à nouveau au cou du Phénix.

— Quoi ? Mais… »

« Dans ce cas… » murmura Arjun.

— Dans ce cas, coupa Contraste, il ne nous reste plus qu’à espérer le retour du Succube ! »

Sonia se redressa légèrement. « Highlander, avant que tu ne l’achèves, le Phénix était... comment dire…

— À l’agonie, répondit Highlander. Tu as raison. C’est peut-être là notre chance. Pendant quelques secondes, il semblait vulnérable, et je l’ai achevé. Ce sont peut-être ces secondes-là que nous cherchons.

— Vous pensez qu’on pourrait lui arracher la clé à ce moment-là ? » demanda Arjun.

« On s’est tous demandé pourquoi le Phénix est le seul gardien à porter la clé autour du cou.

— Peut-être, répondit Arjun, parce que c’est le seul qu’on ne doit pas tuer pour obtenir la clé.

— Ça tient la route, » admit Contraste. « Mais ça ne nous dit toujours pas comment l’approcher sans une des clés pour neutraliser son pouvoir.

— Alors, on n’a plus qu’à espérer, » conclut Highlander.

« Justement, à propos des clés, intervint Arjun, ça nous aiderait bien si on pouvait débloquer aussi la clé de terre avant d’affronter à nouveau le Phénix. »

 La veille, la seconde capacité de la clé de l’air s’était débloquée — celle de lévitation d’objets — ce qui avait permis à Xena de tenir tête au Phénix. C’était la deuxième clé à gagner en puissance après celle de l’eau, qui avait révélé sa seconde capacité deux jours plus tôt. Chacune des clés possédait trois icônes, mais lors de la première semaine, seule la première était activée.

 La clé de l’eau offrait la protection du mur de brume et un jet d’eau sous pression comme attaque offensive. La clé du vent venait de débloquer la capacité de soulever et projeter des pierres.

« À ce qu’il paraît, poursuivit Arjun, les clés débloquées peuvent être combinées pour porter des attaques d’un tout autre niveau.

— Si c’est vrai, nota Highlander, nos chances de victoire augmenteront grandement si on débloque les quatre clés. Mais le temps presse.

— Je ne pense pas qu’il nous manque grand-chose pour débloquer les clés de feu et de terre, réfléchit Arjun.

— Vous savez ce qui déclenche ces déblocages ? demanda Sonia.

— On suppose que c’est le nombre de victoires contre les gardiens. Plus on les bat, plus on accumule de l’expérience dans l’élément correspondant.

— Avoir débloqué deux clés devrait déjà nous aider pour les prochains jours, estima Arjun.

— Espérons qu’on ait une bonne séquence demain, temporisa Contraste.

— Trois jours. Il nous reste trois jours... résuma Highlander.

« Tout se précise les amis ! lança Manhattan. La tension monte, mais nos chances de victoire aussi ! Le compte à rebours est lancé ! »

« Mais on va y arriver… » conclut Highlander.