20-1 Pause de midi

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 Sonia hésitait, fixant l’écran de son ordinateur sans vraiment lire ce qui s’y affichait. Elle aurait dû prévoir que Sven lui proposerait de déjeuner ensemble pour discuter du raid de ce soir. Elle avait répondu « ok » sans réfléchir, et maintenant, elle était pétrifiée à l’idée des remarques et allusions de ses collègues.

 L’heure du déjeuner approchait, et elle savait que Sven l’attendait pour parler de leur prochaine tentative dans Kulkukan. Mais rien que d’imaginer se retrouver seule avec lui à la cafétéria, elle sentait son estomac se nouer.

 Béatrice allait forcément faire une remarque cinglante du genre : "Alors, tu t'assumes enfin ?"

 Et Éric... Lui, il ne pouvait jamais s’empêcher de faire une blague bien lourde en public. Il lancerait quelque chose qui mettrait tout le monde mal à l’aise. Sonia pouvait déjà sentir ses joues brûler rien qu’à cette idée.

 Quant à Julie, avec son don pour inventer des rumeurs et exagérer chaque situation, elle n'allait pas manquer de s'en mêler.

 Mais cette fois, elle n’avait pas le choix. Kulkukan ne leur laissait plus que trois tentatives. Ils devaient réussir, et Sven comptait sur elle. Leur collaboration dans ce jeu dépassait de loin les potins de bureau.

 Elle prit une profonde inspiration. C’était un défi monumental pour elle, mais il fallait qu’elle se prouve qu’elle pouvait le faire. Ce n’est qu’un déjeuner, se répéta-t-elle. Pas une déclaration d’amour, juste une discussion stratégique. Elle ne voulait plus être cette fille invisible, qui évitait les autres par peur d’être jugée.

 D’un geste nerveux, elle éteignit son ordinateur et se leva. Peu importaient les réflexions de Béatrice, Julie ou même Éric, cette fois, elle allait affronter la situation.

« Béatrice, lança-t-elle en se levant, je mange pas avec vous ce midi. Je dois voir le gars de l’IT pour régler un problème d’accès sur mon nouvel ordi. Il n’est dispo qu’à midi. »

Béatrice haussa un sourcil. « Tu vas bouffer avec ton ordi ? C’est glauque. »

Sonia hésita. « Euh, non… On va juste… discuter. »

Julie sauta sur l’occasion. « J’espère que le gars est mignon, au moins. »

Sonia répliqua instinctivement. « Pas ton genre, il porte des chemises de bûcheron. »

Eric, toujours prompt à faire une remarque, intervint : « Les chemises de bûcheron, c’est bien. C’est viril et confortable. »

Béatrice ricana. « OK, s’il plaît à Eric, c’est qu’il est pas canon. »

 Sonia fit mine d’être agacée. « Toujours à juger les gens sur l’apparence… Il est super bon en informatique, c’est tout ce que je lui demande. Tu veux qu’il bosse dans un bar à strip-tease le soir ou quoi ? »

Pourquoi je dis ça, moi ?

Béatrice sourit. « Touché. »

 Sven était déjà assis dans un coin près d’une fenêtre. Sonia attrapa le premier sandwich qu’elle trouva et passa en caisse. Il était midi moins dix, il n’y avait pas encore grand monde au restaurant.

Lorsqu’elle s’assit face à lui, Sven lui décocha un sourire complice.

« Salut, Xena. »

Sonia rougit immédiatement. « Salut... » Elle n’osa pas entrer dans le jeu et resta vague.

« Sven, c’est... compliqué pour moi de venir manger avec toi à midi. Mes collègues sont... taquins et je ne sais pas quoi inventer. »

Sven haussa les épaules, compréhensif. « Pas de soucis. Si c’est plus simple, tu peux passer à mon bureau en fin d’après-midi. On sera plus tranquille. »

Sonia soupira, soulagée. « Oh oui, merci. » Mais elle se demanda aussitôt si son ton n’avait pas été ambigu.

« Bon, prête pour ce soir ? »

Elle faillit dire je suis toute excitée, mais se ravisa juste à temps. « Je suis à bloc ! »

Sven hocha la tête, amusé. « Je vois, ça fait plaisir ! »

Sonia se mordit la lèvre, puis demanda avec espoir : « Tu penses qu’on peut y arriver ? »

Sven réfléchit un instant, l’air pensif. « Honnêtement, je ne sais pas. On n’a pas été très chanceux ces derniers temps. À chaque tentative, on tombe sur un obstacle imprévu. La chance est un facteur crucial. »

Cherchant à évaluer la situation, Sonia tâtonna prudemment : « Je ne vous ai pas porté chance, on dirait... »

« Non, pas du tout. » Sven secoua la tête avec un sourire rassurant. « Ce n’est pas toi. On n’a simplement pas été assez audacieux dès le départ. Avec le recul, je comprends mieux comment ça marche : à chaque tentative, le niveau de difficulté augmente. C’est comme avec les billets d’avion. Plus tu attends, plus ça devient cher. Ici, plus on tarde, plus c’est dur. Ce n’est pas ta présence qui complique les choses, mais le nombre de participants en course et le quota de places disponibles. »

Sonia fronça les sourcils. « Tu penses qu’il y a un nombre limité de victoires possibles ? »

« Peut-être pas explicitement, mais je pense qu’il y a un algorithme qui rend les défis de plus en plus difficiles à mesure qu’on approche du nombre souhaité de participants pour la bataille finale d’Altengard. »

Sonia soupira. « Ce n’est pas très encourageant… Mais tu crois qu’on a encore une chance ? »

Sven hocha la tête, confiant. « Oui, je pense. N’oublie pas que plus on bat de gardiens, plus nos clés gagnent en puissance. Ça nous donne un avantage. Tu as prouvé avec le Phénix qu’une clé bien utilisée pouvait tout changer. »

« Enfin... presque… » Sonia sourit faiblement, encore sceptique.

Sven la fixa avec une intensité nouvelle. « Tu as surtout prouvé que tu pouvais affronter le Phénix seule. Et tu as battu le serpent de mer, même si tu ne l’admets pas. »

« Oui… enfin presque battu... » murmura-t-elle, légèrement gênée.

« Crois-moi, tu augmentes nos chances. Tes intuitions t’ont permis de traverser des épreuves que personne d'autre n’a réussies. Comme cette fillette... »

Sonia frissonna à l'évocation de cet épisode troublant.

« Je ne comprends toujours pas ce qui s'est passé... Pourtant... »

 Elle se remémora ses recherches nocturnes sur les forums et archives virtuelles. Tout le monde parlait du présent d'Altengard, mais rien sur son histoire ancienne. En élargissant sa recherche, elle avait été dirigée vers des bibliothèques payantes, mais aucune source ne semblait mentionner la citadelle à l'époque de sa construction. C’était comme si une partie de son passé avait été effacée.

Sonia hésita, mal à l’aise à l’idée de paraître ridicule. « Pourtant… »

Sven se pencha légèrement. « Pourtant quoi ? »

« Cette fillette… J’ai l’impression de la connaître, mais je ne sais pas d’où. »

« Dans le jeu ? »

« Peut-être… ou alors je me fais des idées... » murmura Sonia.

 Une sensation oppressante monta en elle, un souvenir flou, qu’elle avait toujours cherché à refouler. Tout comme cette fillette, ce souvenir refusait de mourir.

Sven la regarda, inquiet. « Sonia, ça va ? »

Elle lui sourit, se forçant à paraître calme. « Oui, ça va. Merci. »

Elle mordit dans son sandwich pour clore la discussion.

Sven, décontracté, reprit : « Quand on en aura fini avec cette histoire, que l’on gagne ou non, je t’inviterai dans un vrai restaurant pour déjeuner. »

Il lui lança un sourire désarmant, et Sonia sentit le rouge lui monter aux joues.

« On mérite mieux que ces sandwichs, tu ne trouves pas ? »

Le cœur de Sonia s’emballa. Le soir aussi, ce serait bien, pensa-t-elle très fort, mais aucun mot ne franchit ses lèvres.

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