Le long de la Seine.5
V. La traversée de Paris
La calèche où avait grimpé Augustin s’extrayait difficilement du quartier de la gare, envahi, comme chaque soir, des mille carrioles, calèches ou fiacres qui l’encombraient.
Le soleil était déclinant, en ce début de soirée de juillet, mais éclairait encore bien les avenues, sans qu’il soit déjà nécessaire de faire appel à l’éclairage.
Le lourd véhicule public atteignit enfin le boulevard aux grands magasins, où une foule bien habillée, malgré la chaleur, s’entrecroisait en tous sens. Augustin avait toujours connu cette effervescence, pourtant l’activité commerciale de ce lieu ne remontait qu’à une quarantaine d’années ; c’est à dire deux fois l’âge du jeune homme.
La calèche n’emprunta pas cet axe de grand négoce, mais obliqua vers le Sud, en direction du quartier où logeait Augustin.
La calèche s’arrêtait tous les cents mètres pour laisser descendre des passagers ; Augustin savait qu’il en aurait pour une bonne partie de la soirée, avant de pouvoir rentrer chez lui.
Après avoir emprunté un long boulevard surchargé de circulation, Augustin approchait maintenant de la Seine.
Pour traverser le fleuve, les véhicules attelés devaient emprunter le pont du Carrousel, qui avait été construit face au Louvre, il y a une soixantaine d’années.
C’était justement dans ce palais devenu musée qu’il avait rencontré Madeleine, à l’automne dernier.
Fascinés tous les deux par les tableaux des impressionnistes qui y étaient exposés, ils n’avaient pu s’empêcher d’échanger leurs émotions devant ces œuvres, et le charme les avait alors attachés instantanément l’une à l’autre.
La traversée du pont du Carrousel avait été lente et pénible ; de multiples à-coups avaient secoué les nombreux passagers encore présents dans le lourd véhicule.
L’endroit où Augustin habitait était une ancienne commune qui avait été rattachée au département de la Seine, il y a une trentaine d’années, alors que l’ancien Mur des Fédérés qui ceinturait Paris s’était déplacé de plusieurs kilomètres vers le Sud, pour devenir la nouvelle barrière d’octroi de la ville ; la commune de Vaugirard avait alors été intégrée à la nouvelle enceinte élargie de la capitale.
Mais tout cela s’était passé une bonne quinzaine d’années avant la naissance de Madeleine et d’Augustin.
Paris n’arrêtait jamais ; cette frénésie urbanistique envahissante qui le caractérisait semblait devoir durer éternellement.
Augustin allait maintenant atteindre ce que l’on avait appelé La barrière de Vaugirard ; le terminus de son trajet mécanisé. Il allait devoir terminer son parcours jusqu’à sa pension, à pied ; quelques centaines de mètres, tout au plus.
Tous les passagers de la calèche, presque la moitié de ceux qui y étaient montés à Saint Lazare, descendirent alors de la calèche, puis se répartirent rapidement dans toutes les directions.
Comme à son habitude, Augustin fut le dernier à descendre des gradins, et se retrouva seul sur le trottoir, alors que la nuit commençait à tomber.
Encore quelques pas, et il serait chez lui, ou en tout cas, chez la logeuse de la pièce que ses parents, fermiers originaires d’Eure-et-Loir, lui avaient loué depuis presqu'un an, pour ses études à la capitale.
Une nouvelle semaine de labeur l’attendait, mais pour lui c’était chaque jour un plaisir de pouvoir approfondir les grands classiques de l’écriture française.
Son seul souci réel était qu’il allait devoir se retrouver, jeudi matin, face au rustre père de son amie, dans un obscur atelier des quais de Boulogne.
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