Dies Lýkos 13 Tertème Phénière
Lui
Dragonale 10:12-3
« La sagesse de Chouette nous apprend qu'il est aisé de présumer d'une chose ; la présomption est voie de facilité ; le chemin de la réponse est masqué à ceux qui décide de l'emprunter. »
Je n'avais que très rarement cours le Diès Lýkos, la plupart de ceux qui était donnés consistait à l'entretien physique de nos représentations ainsi qu'aux activités de plein air, nos prêtres gardiens s'entraînaient à l'épée avec les aspirants en prêtrise et les nombreux hennissements des chevaux, pégases et licornes retentissaient dans les enceintes extérieures.
J'aimais allez courir pour me vider l'esprit, bien que je préfère plus souvent le faire dans les bois, je ne pouvais risquer d'arriver en retard pour le crépuscule. La messe de Loup m'incombant, comme toutes les semaines, j'avais l'obligation de me fondre à nouveau dans le rôle cardinalice, ce qui m'obligeait à courir bêtement en cercle autour des terrains d'entraînements, autant dans le besoin de me défouler que dans celui d'oublier deux lacs turquoises scintillants. L'activité ne m'épuisait en général qu'assez peu, ma nature aidant grandement, pourtant mes muscles commençaient à crier grâce quand je fus arrêté par ma collègue Primordial de Lynx. Élise, une belle femme au début de la quarantaine à qui on donnait plus facilement trente ans, blonde élancé et musclé avec de grand yeux de biches bruns. Nous nous entendions bien, même si je ne la considérai pas comme une amie. Dans ma conception de ce mot, l'un des deux ne devrait pas avoir envie de manger le visage de l'autre et je ne parlais pas de moi.
« Tu t'es surpassé aujourd'hui Nath' – s'exclama-t-elle d'une voix chaleureuse, en s'approchant de moi – je ne crois pas t'avoir déjà vu courir aussi longtemps, tu dégoulines et je dois dire que ça ne sens pas la rose. » Les petites joutes verbales que nous échangions me distrayait assez, suffisamment pour m'ôter ma représentation de la tête. Une minute ou deux.
« Parce que tu sens meilleur ? Tu as passé la journée dans tes enclos, on dirait que tu t'es roulé dans de les petites boules de crottes de tes jackalopes. C'est ton nouveau choix de parfum ? Tu devrais ajouter de l'urine de chat, tu embaumerais le monde de ta présence. » Ma répartie la fit s'esclaffer, un petit rire maîtrisé et calculé pour être mignon sortant de sa bouche alors qu'elle battait trop rapidement ses longs cils blonds.
« J'allais justement partir me doucher. Les premières années ont terminé de nettoyer les enclos et je tiens à être présentable pour ta messe. - me lançant un coup d'oeil aguicheur, elle ajouta plus gourmande – tu veux m'accompagner peut être ? » Quand la conversation tournait ainsi, chaque paroles que je prononçait pouvais être mal interprétée, son trait de caractère le plus connu ce trouvait être la rancune, qu'elle avait tenace, menait trop souvent à de petite vengeance mesquine.
« Merci mais non, tu l'as très justement dit, j'ai ma messe, je ne l'ai pas encore préparé, mon costume est là haut également et je dois aussi être présentable. Tu devrais d'ailleurs y aller, les cheveux ça prend du temps à sécher. » Fronçant les sourcils, elle ne compris pas tout de suite mon allusion avant de passer sa main dans ses mèches blondes et de tomber sur les petits bouts d’excrément s'y étant coincés. Ceux-ci qui ne manquèrent pas de lui faire pousser un petit cri strident avant de s'excuser rapidement et de se téléporter dans ses appartements, disparaissant dans un nuage améthyste. Élise était arrivée il y a un peu plus de cinq ans, ancienne représentation de Lynx, elle s'était faite la main sur le territoire après ses études, avant de revenir après l'appel de poste pour devenir professeur de bio-zoologie spirituelle et depuis, elle avait été le centre de beaucoup d'attentions, même parmi les représentations ou les membres du clergé. Je la soupçonnais de s'intéresser à moi uniquement parce que je ne voulais pas d'elle.
Je me souvins de sa dernière entreprise pour me faire craquer, l'année dernière durant les vacances du sextème léviathale, après une soirée avec les autres professeurs. Elle avait trop bu ce soir là, la pleine lune approchant et la bête en colère, je l'avais repoussée avec trop de rudesse en soulignant que je ne la toucherais jamais, même avec le bout d'un manche à balai, ce qui l'avait blessée à l'époque ; je n'en avais découvert l'étendue que plusieurs jours plus tard, après un si gentil cadeau empoisonné qui avait pour but de me rendre malade pour quelques jours. Je n'avais pas bu son si gentil cadeau, l'odeur des plantes toxiques avait agressé mon odorat trop développé dès que j'eus débouché le flacon d'alcool gâché. Mais grâce à elle, j'avais eu une excuse toute trouvée pour quelques jours de repos, tout le monde avais été gagnant. Par la suite, j'avais soigneusement évité de déclencher de nouvelles représailles et elle s'arrêtait désormais aux petites avances sans conséquences.
Cependant, elle n'avait pas tord. Je sentais fort et une douche m'était plus que nécessaire, même si j'avais encore un peu de temps, étant donné que ce n'était pas moi qui préparais ma messe, quoi que j'affirmais à Élise pour me sortir de ses griffes. Le Pontife lui-même s'en chargeait et ce, depuis la catastrophe de l'un de mes premiers offices. À ma décharge, je n'avais pas fait d'études de prêtrises ni étudier le livre Dragonale, en dehors des premières années du parcours général, mais après le désastre d'un mélange de versets peu conventionnel et d'une interprétation assez peu orthodoxe des paroles de Dragon, nous nous étions arrangés secrètement pour qu'il m'écrive quoi dire et j'unissais le saint-homme de m'avoir déchargé de ce fardeau.
Le soleil se rapprochait de l'horizon quand j'eus terminé de me préparer, la soutane de laine noir ainsi que la camail à capuche assortie, une courte cape descendant à mes coudes et liée à mon cou, étaient bien plus agréables à porter et passaient bien plus inaperçues, malgré le lourd collier gravé de loup qui pendait sur mon torse, que l'habit de cérémonie soyeux. Sortant de mes appartements, je récupérai sur mon bureau le parchemin que le patriarche m'avait fait porter par l'un de ses gobelins, avant de passer la porte donnant sur ma salle de cours, vide de toute vie et méticuleusement nettoyée. Une délicieuse fragrance de neige, de fleurs de mûrier, légère et sucrée, de parchemin neuf et de sauge me caressa agréablement les narines. Mon ventre se contracta au réveil de la bête pendant que je tentais d'échapper à la sensation que je cherchais à oublier. Les grondements caverneux du monstre me rappelèrent la colère ressentit durant mon premier cours avec elle. Si seulement cela n'avait pas du être sur ce fichu filtre. La réponse qu'elle m'avait cédée du bout des lèvres, ce jour là, m'avait ampli inexplicablement de jalousie et de déception tandis que je reniflais avec mauvaise humeurs l'odeur désagréable de plantes mal séché qu'exhalait ce benêt lourdaud de Franck Deschènes avec lequel elle s'était manifestement rapproché depuis son arrivée.
Si j'avais su cela, quelques heures plus tôt, le jeune homme se serait certainement pris plus que quelques heures de travaux d'intérêt spirituel quand à sa perturbation du petit déjeuner. L'impotent c'était vu roussir quelques mèches de cheveux ainsi que les chenilles velues qui lui servaient de sourcils après un enchantement de feu fort mal prié qui lui avait explosé à la figure. Il avait laissé une odeur de peau de cochon brûlé dans toute la salle, mêlée aux vapeurs orangée caractéristiques de la magie d'Ours. L'ambiance lourde avait gagné en intensité jusqu'à la fin de mon cours, concordant avec le caractère froid et l'aura de frayeur que j'inspirais à mes élèves. Ce n'était pas la qualité dont j'étais le plus fier, car le respect gagné par la peur doit continuellement se travailler pour continuer à exister et, parfois, j’admettais que ce rôle pouvait être pesant. Dans ce cas-ci, j'avais apprécié le silence forcé et l'écoute des mouche-tiques volés , me laissant face à mon amertume ainsi qu'à de mornes pensées mesquines. Les différentes manières de pouvoir le punir d'avantage encore, au moindre écart de conduite m'avait traversé mais, au bout du compte, je m'étais tancé face à mon attitude puéril.
J'agissais comme un adolescent jaloux alors que j'étais censé représenter l'ordre et l'autorité. Bon sang ! La bête n'avait plus eu d'emprise sur moi depuis la tragédie, vingt cinq ans plus tôt et voilà que la moindre de ses émotions se mêlaient aux miennes, jusqu'à me faire devenir possessif envers quelqu'un qui ne m'appartenait pas. Sentir son parfum me rendait fou, l'approche imminente de ma messe m'obligeait pourtant à rester attentif et maître de moi même, mais sentir son être invisible autour de moi compliquait chacune de mes actions. Je me jurai à moi-même que dès demain je mettrais la dernière marmite en bouteille, jusqu'à là dernière goutte et je n'aurai plus a subir constamment cette odeur.
Décidé, je sortis enfin de ma salle de cours, le pas vif en longeant les murs, autant pour me fondre dans le décor des ombres créées par le soleil déclinant que dans la volonté de m'aérer l'esprit de sa présence. La teinte sombre de mes vêtements aidant, je pouvais me rendre à la cathédrale sans trop attirer l'attention des représentations, habituées à être entourées de prêtre vêtus de noir, mais arrivé à ses abords, je ne pu échapper aux révérences forcées des clercs présents. La même comédie se jouait tous les dimanches. Le rôle que j'endossais les forçaient à la déférence de par les lois canoniques de notre foi, chacun devait s'y prêter et même si cela ne m'enchantait toujours pas, le mécanisme automatisé de l'événement s'était huilé avec le temps et sa récurrence.
Tout le clergé attendait que j'entre en premier, comme le voulait la coutume, pour entamer le rituel d'ouverture des grandes portes et laisser rentrer le peu de gens venant assister aux messes durant cette période difficile de l'année. Même si le tertème Phénière annoncait l'arrivée du printemps, l'implantation du Saint-siège Dragonale dans les hauteurs montagneuses rendait les chemins enneigés difficilement praticables et peu de gens sortaient de chez eux pour entamer l'ascension, en dehors des Diès Drákon saints.
Un courant d'air froid se répandit dans la salle, faisant vaciller les flammes inextinguibles des torches, tandis que la procession du clergé commença, leurs voix résonnant contre les hauts murs portant les tapisseries de nos Esprits tutélaires. Je montais sur l'estrade de pierre pour me placer derrière un autel, usé par des siècles de dévotions, orné de runes consacrées surplombé d'un immense vitrail représentant Dragon, la moindre de ses écailles rouges travaillé avec une finesse que seul un art consciencieux et une magie bien maîtrisée pouvaient réaliser. De sa gueule naissait une flambée sombre dans laquelle se dessinait nos Esprits tutélaires, créations de son être. Si je me concentrais suffisamment sur lui avant que ne commence l'office, je pouvais espéré qu'une fois tout le monde assis, l'on ne remarque pas mon air morose et l'ennui que je sentais monter face aux prochaines quinze à soixante minutes de messe, dont la durée se trouvait étrangement lié aux humeurs du pontife à mon égard.
Avec un soupir, je fini par me retourner vers l'assemblée présente, installée sur les longs bancs arque-lunés au bas de l'estrade sombre, mon regard sauta négligemment entre les amas de noirs parfois relevés de couleurs que représentaient les prêtres, grand prêtres et évêques de notre spiritualité, avant de s'arrêter un instant sur Élise qui se trouvait au milieu d'un groupe de jeunes coqs nouvellement ordonnés, heureuse de l'intérêt qu'ils lui portaient, bien que sa tenue améthyste, dans les limites du règlement vestimentaire de la spiritualité, puisse en être la raison.
Me désintéressant très vite de son manège hebdomadaire, je portai mon attention vers un grand cercle de place vide sur l'avant de la salle au milieu duquel je trouvais mon amie Amélia, assise et silencieuse. Il devait bien y avoir un mètre autour d'elle et ce spectacle continuait à me désoler chaque Diès Lýkos qu'elle ce forçait à passer ici, à me soutenir dans cette épreuve rébarbative, ce dont je ne me sentais pas assez reconnaissant. Son naturel pétillant et joyeux disparaissait dès qu'elle entrait en ce lieu, aspiré par la tristesse causée en partie part sa mise à l'écart du corps ecclésiastique. Ce n'était pas un fait méconnu que les sangs mêlés étaient mal vus au sein du Dragon, l'on pourrait même qualifier certains de nos plus haut représentants de spéciste, mais Amélia était un cas jugé bien pire aux regards de la majorité, car sa mère était un gobelin du feu éternel, une créature de magie dont chacune des cellules était créée par Dragon. La pauvre avait été séduite par un jeune prêtre fringant ayant fait le pari cruel de pouvoir en mettre une dans son lit, et ce qui devait arrivé arriva, la gobeline victime de l'homme avait mise au monde un bébé avant de disparaître à jamais dans les flammes éternelles.
Plus jeune, je n'étais pas certain de m'être lié d'amitié avec Amélia pour les bonnes raisons, sa nature surnaturelle l'avait rendue plus engageante et familière. J'avoue avoir profité d'une partie de son exclusion sociale pour en bénéficier également, mais avec le temps et sans nous soucier de notre différence d'âge, nous sommes devenus très proches. Les années passant, elle est devenue un pilier aimée de tous les élèves comme des professeurs et après son accession au titre de Primordiale de Chouette, plus personne ne lui démontrait d'hostilité ouvertement. Seul la mise à l'écart du clergé perdurait, tenace. L'heure d'entamer l'accueil était imminente quand, tel une ombre bleu marine, la douce silhouette bien en chair de celle que je tentais d'oublier apparu, se glissant sur l'une des nombreuses places vides aux côtés d'Amélia, dont les grand yeux gris s’écarquillèrent de surprise face à la présence de quelqu'un dans le « cercle de la honte » comme elle le mentionnait parfois. Je la vis lui faire un petit sourire contrit, une fois installée, tandis que le cercle s'élargissait un peu plus autour d'elles.
La sang mêlée et l'apostate, unit contre les préjugés.
La profondeur de deux puits bleus de gris se posant sur moi effaçait le moindre désagrément qui me tourmentait, bien que je ne sache pas pourquoi elle se trouvait là. Les représentations faisaient souvent la fête le soir du Diès Lýkos, aucun cours n'étant dispensé le Diès Drákon. Sa présence en ce lieu comblait un vide que je ne pensais pas avoir. Cela me motiva à donner un peu de vie à ma voix pour rendre cette messe crépusculaire moins assommante qu'à l'accoutumée.
« Enfants de Dragon – tonnais-je, réclamant ainsi l'absolu silence pieu - je vous accueille au cœur de ce lieu sanctifié pour que nous puissions ensemble renaître avec le crépuscule de ce Diès Lýkos » Le parchemin du Pape, toujours très précis, m'indiquait les temps de recueillement entre chacun des paragraphes retranscrits, j'invitai la foule à placer la paume de leurs mains devant leurs visages pour entamer le premier, plus court, suivant l'accueil.
« Dragon nous offre la possibilité de faire nos propres choix, sans intervenir dans nos vies, mais pour nous donner la chance de rester dans le droit chemin, il nous a offert des parts de son être. Ainsi, après le jour de notre création, Loup naquit au dernier crépuscule de la semaine, scellant notre spiritualité de sa présence. Nous le révérons aujourd'hui, comme le ciment qui nous unis, le fil rouge de nos esprits, le pont entre nos âme et le divin. » Je connaissais cette présentation par cœur, à force de la répéter, pourtant j'usai pour la première fois de la puissance contenue dans ma voix grave et profonde, galvanisé comme je le fus par ce bleu gris tournant au turquoise, fixé sur moi, tandis que les minutes s'écoulaient.
« Loup, Esprit protecteur de la famille et de la loyauté, veille sur nous en son jour dédié. Guide invisible de nos vies, il nous rappelle la valeur du devoirs envers les nôtres. En ce jour de Loup, nous nous rassemblons pour honorer la grandeur de sa justice et son éternel droiture. Puisse-t-il nous accorder la clairvoyance face à nos erreurs ainsi que la force de surmonter les doutes de nos épreuves. » Nous arrivions au moment où il était coutume de chanter, le pontife me soulignait régulièrement cette partie avec beaucoup trop de point d'exclamation. Habituellement, j'occultais complètement cette partie en entamant un nouveau recueillement, mais aujourd'hui je souhaitais bouleverser mes habitudes. La litanie commença par un fredonnement de basse vibrant de force dans ma cage thoracique , précédant le chant grondant qui remontait dans mes cordes vocales
« Ô Loup, dans le crépuscule tu nous unis. Grand Loup, protecteur de notre famille, puisses-tu nous aider à rester réunis. Toi, Esprit gardien de nos vies, guide-nous, intègre et loyal, sur le chemin de l'unité. » Les exclamations de surprises continuaient encore quand je mis fin au grondement modulé de ma voix, la satisfaction d'en avoir étonné plus d'un fit naître un imperceptible sourire alors que je ne quittait pas des yeux la jeune femme qui me soutenait de l'intensité de son regard.
« Nous offrons, durant ce crépuscule, nos prières les plus sincères et nos intentions pleines de droiture, comme hommage à l'un de nos guides éternels. De son enseignement, nous apprenons l'importance de la communauté, de la loyauté et de la protection des nôtres. Que chaque pas que nous faisons sur le chemin qui nous mène au Dragon soit emprunt de sa force, que chaque parole que nous prononçons soit inspirée par sa vérité, et que chaque action que nous entreprenons soit imprégnée de sa justice. » Une idée me vint alors que j'entamais le second recueillement prévu. J'étais certain qu'elle me vaudrait une bonne tape sur les doigts plus tard, mais en attendant je la trouvais excellente.
« Depuis le premier crépuscule de Diès Lýkos, Loup parcours les terres pour donner à tout être doué de raison, le sens du devoir, de la famille, de la justice et de l'honneur. Si Loup en tant que tutélaires accepte que les louves s'occupe des petits des autres, qui sommes nous, en tant que représentation de son créateur, pour rejeter les enfants des autres ? Qui sommes nous pour ne pas accepter les cadeaux de Dragon, d'où qu'ils proviennent ? » Les nombreuses grimaces sur les visages présents m'apprirent que j'allais sûrement recevoir une petite missive du Saint-père dans la soirée, mais les expressions amusées et ravies des deux seules femmes qui m'importaient dans l'assemblée valaient bien ce futur désagrément.
« Le soleil ce couchant annonce la fin du crépuscule de Loup, unifions nos pensées une dernière fois avant que ses rayons ne baignent nos âmes et remercions-le pour sa protection. Offrons-lui notre gratitude et notre dévotion, que le feu noir de sa magie continue à vivre par nos liens, aujourd'hui et à jamais. » Des gobelins du feu éternel apparurent, portant une bassine de pierres rougeoyantes qu'ils vinrent poser à mon côté. Le liquide transparent se teinta de noir lorsque j'y plongeai ma main, signifiant à tous que Loup unissait la fin de cette messe.
« Nous sommes tous les enfants de Dragon, le grand primordial nous garde et nous guide. En ce jour sacré de Loup, nous renouvelons notre engagement sur le chemin spirituel qui nous mène à lui, par le symbole que je trace, je m'engage à suivre son précepte jusqu'à m'en retourner à ses écailles » De l'index, je fit un point sur mon front avant de le placer sur ma lèvre pour y tracer une ligne jusqu'à mon menton. Cela fait, chacune des personnes présente se leva pour recevoir l'unification de ma main, des plus hauts membres du clergés, jusqu'au représentations. Les Primordiaux de la spiritualité se plaçant au même rang que nos cardinaux, je n'eus pas à attendre longtemps avant de voir le visage familier d'Amélia, plus heureux qu'à l'accoutumée, arriver devant moi suivi de celui d’Élise. Je savais qu'elle irait m'attendre au dehors, une fois que je l'aurai unie, pour que nous puissions nous rendre en salle des représentations, mais mon esprit était occupé par tout autre chose à ce moment là car j'appréhendais la proximité prochaine d'une certaine représentation.
Mes gestes se faisaient de plus en plus fébriles alors que j'unifiais les deux dernières prêtresses ceinturées de corde, symbole de leur récente ordination dans la spiritualité. Elles laissèrent leurs places à la seule élève ayant assisté à ma messe. La timidité dont elle faisait preuve en s'approchant fit remuer le monstre autant que l'odeur de sa peau exhalant son parfum sucré mélangé à sa transpiration ; sa crinière rousse ramenée en partie sur son épaule, faisait ressortir la myriade d'éphélides sur son visage pâle. Elle ficha Ses beaux yeux turquoises piquetés d'or dans les miens en se rapprochant suffisamment pour que l'accélération de son rythme cardiaque me fut perceptible. Aucune génuflexion n'étant nécessaire après une messe, je pus m'abreuver de l'eau de ses yeux sans la quitter un seul instant ; sortant distraitement ma main du liquide unit, j'approchai de son front quand le contact, infime, de sa peau contre mon doigt, créa une série de petits picotements qui m'électrisèrent tant que je me permis de placer ma main sur sa joue, en traçant doucement du pouce la fin du symbole d'unification sur sa lèvre. La surprise que lui provoqua mon geste ne la fit pas reculer. Mes doigts s'attardant quelques secondes sur sa peau me procuraient une douce chaleur, du moins jusqu'à ce que la bête ne susurre « à moi » au fond de mon être, me rappelant amèrement de sa possessivité, ce qui me fit mettre un terme à notre contact.
Une fois rompu, la moindre flamme dans la cathédrale se colora de noir, enveloppant le lieu d'une obscurité éthérée, la pénombre irréelle accentuait les contours fantomatiques tandis qu'elles semblaient aspirer la moindre lueurs environnante. L'événement ne dura qu'un court instant, le temps que je me retourne pour la quitter des yeux, les feux reprirent leurs couleurs et des prêtres couraient un peu partout, alarmés par ce qui venait de se produire. Ma curiosité n'étant pas aussi forte que l'intérêt irrépressible que je ressentais pour elle, je me retournai dans le but de lui dire quelque chose, mais je fus aussi déçu que soulagé par son départ. Que lui aurais-je dis de tout façon ? Que pourrais-je d'ailleurs lui dire ?
Il était exclu que la moindre des pensées qui se formaient dans ma tête ne franchisse mes lèvres. Toutes les idées vaines qui se déroulaient dans mon esprit me torturaient. Je devais bâillonner ce cœur fragile qui galopait dans ma poitrine. Heureusement, personne ne s'attendait à ce que je gère quoi que ce soit, une fois la dernière onction d'union prodiguée, je pouvais dont me soustraire à l'effervescence paroissiale. Le pontife ne m'en tiendra pas rigueur et même si cela arrivait, il aura suffisamment à faire, dans les jours à venir, avec les parchemins de nombreux clercs intrigués ou apeurés pour être intéressé par mon cas. Quant à moi, j'avais aussi matière à réfléchir. L’électricité de sa peau contre la mienne en mémoire, je partis rejoindre Amélia, piaillant sur ce qu'il venait de ce produire, devant l'attention feinte d’Élise. J'accompagnai les deux femmes au souper, prenant plaisir à voir l'air souriant de ma petite collègue, jacassant tout le chemin, joyeuse, en total opposé à l'humeur terne qu'elle affichait une heure plus tôt.
Ce soir, la conversation ne manqua pas autour des tables, les rumeurs se répandant comme la poussière face au vent, les théories fleurirent tout aussi vite, allant d'une simple « blague », tenue par certains professeurs, à l'intervention divine, des clercs encore réfractaires à la présence d'une apostate. Cette dernière me faisait grogner, mais aucune ne réussit totalement à me sortir de mon état pensif, surtout quand la personne au centre de celui-ci ce trouvait absente. C'est la voix calme et fluette d'Amélia qui réussit à m'extraire de mes réflexions en abordant à son tour le sujet
« Ces grenouilles de bénitier qui crient à l'affront envers Dragon sont des imbéciles -grommela-t-elle suffisamment fort pour faire rire Élise et grimacer certains de nos collègues – Si notre Déitée avait quoi que ce soit à dire sur cette pauvre représentation, il l'aurait fait le jour de son marquage et pas durant la messe donnée pour son Esprit tutélaire. La couleur noir est lié à Loup, peut être qu'il souhaitait nous dire quelque chose ? Je tenais d'ailleurs à te dire que j'ai apprécié cette office, tu semblais différent aujourd'hui. Peut-être que Loup nous a montré qu'il l'a tout autant aimé ? Tu devrais réessayer la semaine prochaine» Au fond de moi je doutais que l'événement se reproduise, même si je n'avais pas vraiment réfléchi à la question, les étincelles que je ressentais en la touchant ainsi que les réactions de la bête me préoccupaient d'avantage qu'un événement spirituel mystique. Sauf si cela la concernait. Mais cela la concernait-il ? Les feux sont ils devenus noir parce qu'elle a reçu l'onction d'unification de Loup ? Le plus censé restait l'hypothèse d'Amélia, pourquoi sinon Loup s'intéresserait à l'union d'une représentation ?
Le premier morceau d'une toile embrumée se dévoilait dans mon esprit. Je me rappelais m'être posé une question similaire, deux mois plus tôt, quand nous avions discuté de l'intégration d'une belle apostate aux cheveux roux, au sein de la spiritualité.
Mon lien spirituel palpita d'une douce chaleur ; la bête remua dans sa cage. Tous deux restèrent silencieux face à la question que je me posais.
Pourquoi Loup s'intéressait-il à une représentation ?
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