Dies Lýkos 20 tertème Phénière
Lui
Dragonale 62 :12-9
« Ours marchera devant toi, il sera avec toi ; tant que tes actes seront emprunts de courage, il ne t'abandonnera pas. Ne redoute pas sa présence ; regarde vers l'horizon car Ours t'ouvre la voie. »
La douleur lancinante dans mon crâne me fit maudire une fois de plus l'existence de la bête, tandis que je me préparais en grimaçant pour me rendre à une audience privée avec le Pape. L'attitude dangereuse du monstre, ce Dies Lyncis m'avait fait forcer sur la drogue que je prenais pour passer la plupart des pleines lunes et ce n'est que vers la fin du Dies Strigis que j'avais recouvert à peu près mes esprits, accompagné de ce qui pourrait être assimilé à la plus monumentale gueule de bois que j'eusse connu. Différents états m'avaient habités une fois que je m'étais réveillé, de la colère envers le monstre à la désolation de ne pas pouvoir accompagner Amélia à l'appréhension de ma matinée de Dies Lýkos quand j'avais découvert sur mon bureau la missive papale m'informant de mon rendez-vous.
Je grommelai sur le déroulement de ce Dies Lyncis catastrophique en me le remémorant tout en faisant mon nœud de cravate. Cela faisait plus de vingt-cinq ans que je prenais ce philtre chaque mois sans le moindre défaut de dosage, le monstre et moi n'en étions pas à notre premier combat pour le contrôle de mon corps, alors pourquoi ? J'avais senti que c'était différent. Le monstre cherchait réellement à sortir cette fois ci, notre intérêt pour ma belle représentation aux cheveux roux et les mentions qu'il en avait faites par le passé, m'avait fait pencher pour un excès de sécurité. Pour elle. Je ressentis la vive impression de mon cerveau venant heurter douloureusement les parois de ma boîte crânienne à chacun de mes mouvements. Fichu monstre.
Je ne pouvais pas tout à fait lui en vouloir, bien qu'il soit facile de mettre toute la faute sur lui, cela se serait produit tôt ou tard, ma méthode n'aurait pas fonctionné éternellement, mon corps aurait fini par s'accoutumer à la potion sédative ou quelque chose l'aurait suffisamment motivé pour vouloir, à tout prix, obtenir les rênes. Quelque chose ou quelqu'un. Ma grimace s'accentuait en nouant la cravate autour de mon cou, je ne pourrai pas perdre un jour et demi tous les mois, il était pourtant exclu que je mette en danger cette représentation. J'allais devoir trouver une solution, plus tôt que prévu, qui couvrirait les années qu'elle comptait passer à étudier. « Ou alors – grogna une voix caverneuse dans ma tête – tu me laisses sortir. » Voilà une idée tout à fait exclue. Le monstre prenant de plus en plus la parole ces derniers temps, cela me démontrait que, soit j'avais moins de contrôle sur lui, soit son but lui était trop important pour se laisser arrêter par son manque de matière, enfermé comme il l'était derrière la cage dans mon âme.
Je fus enfin prêt à partir après avoir descendu l'équivalent d'un litre d’élixir minutes contre les maux de tête, le goût amer de la poudre de peau de salamandre séchée ainsi que l'odeur piquante de la menthe poivrée me firent presque regretter ma potion de l'avant-veille, mais si je voulais tenir la journée sans m'énerver sur qui que ce soit, il me fallait en passer par là. Un dernier regard dans le miroir pour m'assurer que ma tenue convint pour un rendez-vous, même informel, avec le Pape, j'attrapai une bouteille d'alcool infusé de mon cru et me dirigeai vers les quartiers papales. Ceux-ci se trouvaient dans la grande tour suspendue dont l'entrée donnait sur le troisième étage du donjon. Le pressentiment que la discussion n'allait peut être pas me plaire, me fit ralentir le pas, suffisamment pour arriver pile à l'heure, devant les grandes portes de bois rouge sombre gardées par deux prêtres gardiens, impassibles.
Les piques de douleur s'enfonçant encore dans mon crâne, c'est le parchemin d'invitation que je leur présentai qui fit le travail social à ma place, l'assurance que j'allais gronder au lieu de parler, me tint la bouche fermée et ce jusqu'à ce qu'on me permette d'entrer dans le grand bureau pontifical. Le vieux Saint se trouvait assis sur un fauteuil que je savais être confortable, attablé au centre d'un bureau en croissant de lune posé sur un somptueux tapis, dont les nombreux passages avaient laissé des traces d'usures. Un feu brûlait dans la grande cheminée de granit, me faisant regretter le port d'une veste de costume. La génuflexion devant le Pape était de rigueur pour tout le monde, peu importe le rang que l'on avait, aucun n'était supérieur au sien, seul Dragon et ses tutélaires se trouvaient au-dessus de lui. L'homme m'ayant presque élevé, la dernière fois que j'avais tenté de m'agenouiller devant lui en privé, il m'avait tapé sur la tête avec une encyclopédie, je devais avoir huit ou neuf ans durant les faits et le souvenir vivace de la couverture rigide sur mon crâne me revenait à chaque fois que je venais le voir. C'était une très grosse encyclopédie. L'air renfrogné qu'il affichait me fit tenter de le dérider en mimant un début de révérence.
« Nathan – bougonna-t-il d'une voix fatiguée - si tu ne veux pas que j'aille chercher un livre encore plus gros, tu as intérêt à arrêter tes pitreries et à venir t'asseoir. Nous avons à discuter. » Dragon. Si c'est moi qui l'ai énervé ainsi, viens-moi en aide, sinon je ne survivrai pas à l'heure qui suit. Les prières envers notre Déitée n'avaient pas beaucoup de sens à mes yeux, mais il était amusant de penser que je demandais de l'aide à Dragon pour nous protéger de sa propre représentation primordiale. Avec soulagement, je constatai en m'asseyant que l’élixir commençait enfin à faire son effet, ce qui allait m'être fort utile à n'en point douter. Posant mon présent devant moi, je n'eus pas le temps d'émettre le moindre son que la réprimande fusa
« Ôte-moi d'un doute, j'avais bien mentionné que c'était un rendez-vous informel n'est-ce pas ? Depuis quand m'amènes-tu des cadeaux quand nous nous voyons ? » Mon envie de taquiner le vieil homme fondit avec l’affaissement de ses épaules et la lueur de fatigue dans ses yeux bordés de profondes rides.
« J'ai pensé qu'il me fallait peut être un cadeau d'excuse – dis-je, pour crever l’abcès – c'est votre infusion corsée préférée. Cela compense, j'espère, mon écart de conduite. - D'épais sourcils blancs et fournis se rejoignirent, accentuant les plis de son front, une légère surprise fugace passant sur son visage avant qu'il ne devienne complètement impassible. - Pour quelle raison penses-tu devoir t'excuser ?- Me demanda-t-il d'une voix plate - y aurait-il plusieurs raisons pour lesquelles tu devrais t'excuser ? » Loup ! Est-ce que j'avais fait quelque chose sans le savoir ? Parfois je me demandais jusqu'où s'étendaient les pouvoirs du vieux Pontife, tant il arrivait à m'embobiner.
« Et bien, je crois que je suis désolé de ne pas avoir suivi votre parchemin à la lettre durant ma messe la semaine dernière ? Je me doute que vous avez dû recevoir quelques lettres de mécontents coincés. » Les derniers mots eurent le mérite de le faire sourire, un court instant, l'action suivante fut faite pour me sortir un paquet impressionnant de parchemins, dont plusieurs venaient des cardinaux présents ce jour-là. Tous les membres du clergé semblaient avoir envoyé une missive au Saint-Père.
« Parmi tous les parchemins que tu vois, il y en a bien quelques-uns qui m'ont vaguement parlé de ta réinterprétation singulière des paroles de Loup et de Dragon. Je t'en aurai certainement voulu si tes mots n'avaient pas été empreints de justesse. Nous savons tous les deux pourquoi tu l'as fait et je ne te blâmerais jamais quand la seule chose que tu veux c'est la protéger. - s'arrêtant un instant, il soupira plus pour lui que pour moi – Je n'aime pas la tournure de certaines mentalités dans ma spiritualité. Pauvre petite » Ses paroles pouvaient se prêter autant pour Amélia que pour la représentation qui faisait battre mon cœur, je ne tenais toutefois pas à porter cette information à ses oreilles, donc je me tins, silencieux attendant de savoir ce qu'étaient toutes les lettres restantes.
« Ce que tu vois là – finit-il par reprendre – ce sont toutes les missives que m'ont envoyées les cardinaux, les évêques, les grands prêtres et les prêtres de notre spiritualité ayant assisté à la messe du Dies Lýkos. Toutes ces lettres font mention de l'événement qui c'est déroulé à la fin de ton office. J'ai même eu le droit à tout un tas de théories farfelues et alambiqués. Certains m'ont même fait porter plusieurs parchemins. » Je commençai à voir où il voulut en venir, la suite de son discours donna raison à ce que je craignais.
« Tout ça, en une semaine – grinça t-il – mais j'ai beau regarder, je ne vois pas un seul message de ta part. Pas une demande de rendez-vous, pas une explication, pas un mot. Donc, vu que tu viens de me confirmer implicitement que c'est bien toi qui a officié la semaine dernière, as-tu une raison valable pour ne pas être toi-même venu me parler de ce qui s'y était passé ? » Je n'eus pas la moindre raison à lui donner. Rien de ce qui me venait n'était suffisamment acceptable pour effacer le mécontentement de son visage. J'avais compté sur les clercs pour faire un rapport à ma place, mais avec le recul, je pouvais comprendre que le vieil homme avait attendu de mes nouvelles. N'étant pas réellement cardinal, je lui avais apporté, par le passé, un regard différent de ceux qui l'entouraient.
« Je ne peux que m'excuser auprès de votre Sainteté pour ce manquement. J'espère que vous pourrez me pardonner cet écart de comportement. » Je baissai la tête en signe de pénitence, chose que je ne faisais qu'avec les personnes qui possédaient mon respect. L'homme devant moi pouvait se targuer d'être le seul à l'avoir.
« Quand ne t'ai-je pas pardonné Nathan ? Maintenant que tu es là, tu vas peut-être pouvoir me donner tes impressions sur ce qui s'est déroulé ? Et de mon côté, je te ferai part des nombreux messages que j'ai reçu. Ce sera ta punition pour ne pas être venu me voir parmi les premiers. » Voilà la quenelle. Le rendez-vous allait durer bien plus longtemps que je ne l'avais souhaité. Mettant de côté ma réticence à parler de la jeune femme, j'évoquai, en partie, ce qui s'était déroulé à la fin de la messe en reprenant certains des mots d'Amélia sur sa qualité en passant l'événement plutôt comme une reconnaissance de Loup vis-à-vis de mon travail, et ce, même si je n'y croyais pas, plutôt que d'incriminer injustement ma pauvre représentation. Le Pontife m'a regardé sans mot dire, jusqu'à ce que j'eus fini de donner mon point de vue sur cette histoire, un silence s'installant entre nous, seul le crépitement du feu s'entendit durant plusieurs minutes.
« Dans tous les parchemins que j'ai reçus – mentionna t-il enfin, tapotant la pile de missive sur la table – il ne doit pas y en avoir un seul qui ne mentionne pas la jeune Torner. Que ce soit pour lui mettre sur le dos une farce de très mauvais goût ou bien la comparer à un fléau qui s'abat sur notre spiritualité. Les plus sages m'ont fait part d'un possible message que nous feraient parvenir les Esprits, mais même eux pensent que ce n'est pas de bon augure. On me reproche encore d'avoir accepté une apostate parmi nous, son renvoi a été plusieurs fois demandé, je pen - » Je me levai, si brusquement que l'assise sur laquelle je me trouvai, bascula sur le sol, mes poings s'écrasant sur la table alors que je grondai sourdement sur l'homme qui m'avait pratiquement élevé.
« Elle n'a rien fait – m'énervai-je – ce n'est pas un fléau ni un poison. Je ne laisserai personne la renvoyer où que ce soit. C'est MA représentation ! » Je tremblai de la fureur du monstre, remuant et grognant dans mon esprit. En alimentant le flux de magie qui le retenait, les maux de tête revenaient avec force.
« Ça doit faire des années que je ne t'avais pas vu t'énerver de la sorte. Si tu te rasseyais, peut être que nous pourrions continuer notre discussion plus calmement ? Je crois que tu as présumé trop rapidement de ce que j'allais dire. » Le calme de son ton ainsi que le subtil chevrotement dans la voix du vieillard n'échappant pas à mon ouïe fine, je retrouvai mon sang-froid une fois que l'ordre fut remis, seul l'imperceptible tremblement dans mes avant-bras, témoignait de mon excès de colère précédent.
« Bien, donc j'allais dire, avant que tu ne m'interrompes si grossièrement, que je pensais qu'ils avaient tord. Pas tous , mais la plupart. Je ne vais pas la punir ni la renvoyer, la pauvre n'a rien fait qui mérite un tel sort. Je ne pense pas non plus que ce soit une simple farce. Tous les membres hauts placés de cette spiritualité savent qu'elle est ici par la volonté directe d'un de nos Esprit tutélaire. Volonté qui, d'après ce que j'ai ressenti, viendrait de Dragon. Ou du moins quelque chose qui lui est lié. » J'y avais réfléchi, depuis l'incident du feu sombre, mes connaissance spirituels étant limitées, je n'avais rien trouvé, dans les livres avalisés par le clergé, qui puisse m'expliquer pourquoi un Esprit tutélaire s'intéresserait à une représentation en particulier.
« J'ai envoyé certains prêtres, parmi ceux qui n'ont aucun problème avec elle, faire des recherches pour moi. Cela pourrait prendre un peu de temps. Je suppose, vu ta réaction, que tu voudras que je te fasse parvenir le résultat de mes trouvailles ? » Je souhaitai dire non, il me fallait me désintéresser d'elle, pour son bien, moins j'en savais, mieux elle se porterait. Mes sentiments me firent pourtant acquiescer, écrasant par leurs forces, la faiblesse de mes convictions. Au même moment, l'un des prêtres gardiens vint annoncer l'arrivée d'une grande prêtresse de soin, ce qui me fit l'interroger, mon inquiétude à peine masquée, sur son état de santé.
« Je suis juste vieux, Nathan – tenta t-il de me rassurer quant la femme entra, la capuche argentée rabattue ainsi que le fascia de soie argenté cintrant sa soutane noire, indiquaient à tous son rang, dans la spiritualité – je vais aussi bien que tout autre homme de mon âge, ne t'en fais pas. Tu peux y aller, nous avons fini pour aujourd'hui.» Parfois, j'aimerai croire aux mensonges que l'on me profère, surtout dans ce genre de cas où l'on me mentait pour mon bien. Je ne pouvais toutefois empêcher mes oreilles d'entendre sa respiration s'accélérer autant que son rythme cardiaque ni bloquer mon odorat face à sa transpiration. Si cela n'avait pas été moi, l'impassibilité de son visage, contrôlé pour ne montrer aucun signe de nervosité et masquer la contraction de ses mâchoires, en aurait trompé plus d'un. Mais je n'étais pas quelqu'un d'autre. Le tout maintenant était de faire comme si je croyais à son histoire.
« Vous n'êtes pas si vieux – tentai-je de rire avec lui – juste un peu fripé par les années. Une couche de crème et il n'y paraîtra plus. » La toux qui le secoua en même temps que son rire ne fit que m'inquiéter un peu plus, je m'empêchais de faire le moindre commentaire. Je le connaissais, il ne voudrait pas que je le plaigne et je ne le ferai pas. Pas devant lui.
« Au fait, Nathan – m'appela t-il d'une voix essoufflée – pas de messe pour toi ce soir. Je m'en occuperai et c'est un ordre. Je souhaite vérifier quelque chose et tu as l'air d'être aussi fatigué que moi, ce qui est assez inquiétant pour un jeune homme de trente-deux ans alors repose toi. Tu devras être levé tôt demain pour la cérémonie du Phénix. N'oublie pas que je vous veux tous, une heure avant l'aurore. » L'irritation fut le premier sentiment qui vint remplacer mon inquiétude, l'insistance du Pape à nous préparer avant de grandes cérémonies saisonnières, ce malgré nos années de pratiques, était aussi inutile que d'essayer de l'en dissuader. Ce n'est qu'après avoir quitté son bureau que l'ensemble de ses paroles atteignirent mon cerveau. Pas de messe ? Une surprenante déception m'étreint l'estomac en me rendant compte que j'avais attendu toute la semaine cet événement, dans l'espoir de l'y retrouver, juste pour pouvoir poser mes doigts contre elle. Je me réprimandai à cette pensée.
Ce n'était peut-être pas une si mauvaise chose que je n'officie pas ce soir. Cette pensée mitigée en tête, je me mis en quête de trouver Amélia, pour m'excuser de ne pas avoir été présente avec elle hier soir, pour la messe de Chouette, et lui dire que je ne ferai pas celle de Loup ce soir, pour me « reposer ». Le seul endroit où elle aimait passer du temps, quand elle ne donnait pas cours, était la salle des professeurs et c'est naturellement que je m'y rendis, avalant en grandes enjambés les trois volées du grand escalier central du donjon qui m'en séparait. Notre salle de repos, une vaste pièce confortablement meublée, était le seul lieu de tout le saint siège qui n'appartenait qu'à nous, c'est là-bas que j'y retrouvais la plupart de mes collègues,souvent bien installés dans les différents fauteuils et canapés donnant sur l'âtre brûlant ou attablés, en pleine discussion, autour d'une grande table ovale. C'est là que je rejoingnis Amélia, occupé à s'énerver contre Liam, devant l'air ravi de Sêbb, qui pour une fois ne se trouvait pas être la cible de ses remontrances.
« Tu ne peux pas prolonger tes vacances à chaque ascension – râlait ma petite collègue en fixant durement notre bedonnant collègue Liam – ce n'est pas pédagogique de ta part d'abandonner ta charge de cours, surtout que tu donnes deux fois plus de travail au prêtre qui devra assurer tes cours ainsi que ton poste de chancelier. » En tant que chancelier, Liam s'occupait de toute la gestion administrative du Saint-siège, des professeurs, de notre emploi du temps de cours à nos réunions, tout était organisé par lui. J'eus d'abord cru reconnaître la sempiternelle discussion qu'ils avaient tous les deux à l'arrivée des longues vacances, cette fois cependant, le ton montait plus que d'habitude, ce qui me faisait penser qu'il devait sûrement y avoir eu un précédent, car cette attitude ne ressemblait pas à Amélia.
« Je n'y peux rien si ma famille habite loin ! Râlait-il avec force – J'ai trois jours de carriole pour m'y rendre, si je ne prolonge pas, je n'y resterai qu'un jour. Je ne suis pas un Primordial, moi je ne peux pas faire seulement l'allée, et revenir en claquant des doigts comme Sêbb ! De toute façon, je n'ai pas d'explication à te donner. J'ai la chance d'avoir une famille et je veux en profiter » C'était un coup bas, tout le monde connaissait la situation d'Amélia, elle ne quittait jamais le Saint-siège ou ses environs, la famille de son père biologique n'ayant pas reconnu son existence, elle n'était même jamais sortie de ces murs. Les regards sombres que Sêbb et moi lançâmes à Liam, lui firent comprendre son erreur quelques secondes trop tard, après qu'Amélia se soit évaporée au centre d'un nuage aigue-marine. Sêbb commençait à s'énerver contre lui quand je suivis l'action de mon amie, indifférent aux états d'âme de Liam. Mes appartements se trouvant au même étage que les siens, je m'y rendais bien plus rapidement de cette façon. Je la trouvais l'air irrité, penché sur un livre à son bureau.
« Toi – me dit elle mécontente de me voir – Tu viens t'excuser de m'avoir laissé tomber hier ? J'espère que tu as une bonne explication, parce que je ne suis vraiment pas d'humeur. » J'avais bien un mensonge à fournir, même s'il n'était pas excellent, c'était le plus vraisemblable à donner, compte tenu du secret, que je cachais à tous, même à elle, sur ma nature. « Je n'ai pas une bonne excuse Amélia – avouais-je en m'asseyant - j'ai beaucoup trop bu au soir de Lyncis. Je n'ai dessaoulé que tard en Strigis et ma monumentale gueule de bois m'a empêché de réfléchir clairement jusqu'à ce matin. D'ailleurs si je n'avais pas eu rendez-vous avec le Pontife, je ne serais pas sortie de mon lit aujourd'hui non plus. » Un bon mensonge doit receler un soupçon de vérité, cela évite bien souvent le manque de cohérence avec la réalité. Amélia pouvait décider, altruiste comme elle l'était, d'utiliser le pouvoir de guérison mineur que lui avait accordé Chouette, elle me soulagerait sans peine de mon mal de tête, encore légèrement présent, qui coïncide avec un abus d'alcool excessif.
« Je suppose que tu vas m'expliquer pourquoi tu as autant bu ? » me demanda t-elle en se levant pour venir utiliser un peu de sa magie bienveillante sur moi « Seulement si tu me racontes pourquoi votre discussion trimestriel a tourner au vinaigre avec Liam » Le soin qu'elle fit s'écouler en moi m'évoquait une brise fraîche aux senteurs de neige et de pins et finit de guérir la moindre trace de douleur qui me restait du philtre trop corsé du soir du dies Lyncis
« Nous nous sommes disputés à propos de ta représentation, Anna Torner – me dit elle après s'être rassise à son bureau, les sourcils froncés face à mon air soudainement attentif à la mention de la jeune femme – je n'ai pas apprécié qu'il continue à l'appeler « Apostate » alors qu'elle fait partie intégrante de notre spiritualité. Il l'a accusé d'avoir triché à l'un de ses exercices, même si il n'a pas pu nous expliquer comment elle aurait pu le faire. Sêbb s'est un peu moqué de lui pour avoir perdu face à une élève. Il nous a martelé quelque chose à propos d'un feu noir ainsi que d'un possible subterfuge qu'elle aurait appris, je cite « dans sa patrie païenne » ce qui n'a fait que m'énerver un peu plus. Alors forcément, quand ils ont commencé à parler des vacances, j'étais encore irritée et je le lui ai fait savoir. La suite, tu l'as connais déjà. » Le discours d'Amélia mit le monstre dans une colère froide, m'imposant le besoin de protéger l'honneur de ma représentation en grondant contre Liam, allant même jusqu'à user de violence à son encontre. Seule mon amie me ramena à la réalité du moment, en m'informant qu'elle attendait mes propres explications.
« Tu sais bien pourquoi j'ai bu Amel'. L'approche des vacances, l'absence de famille. Parfois je m'en sors mieux, d'autres fois non. j'ai juste poussé le bouchon trop loin cette fois. » Utiliser les propres insécurités de mon amie pour lui mentir était risible, mais je savais qu'elle ne m'interrogerait pas d'avantage à ce propos, même en sachant pertinemment que je ne buvais jamais autant. Nos familles respectives n'étant pas notre sujet de prédilection, bien que ce soit pour des raisons différentes, j'avais l'assurance de préserver mon secret, au moins cette fois si, ce qui me garderait en vie, un mois de plus. Si cela se reproduit à la prochaine pleine lune, il faudra que je trouve une meilleure excuse. Le silence d'Amélia ainsi que le regard inquisiteur qu'elle porta sur moi me fit douter de mon affirmation précédente, l'ambiance plus lourde que cela créait me m'étant un peu mal à l'aise. Je finis par y trouver une parade en l'annonce du Pontife. L'absence de messe pour moi ce soir sembla la ragaillardir plus que moi.
« Vu que tu es censé te reposer, je te propose de manger avec moi ce soir, comme ça on ne descend pas en salle des représentations, tu n'as pas à te coltiner Élise ce soir et je n'aurai pas à voir la vilaine tête de Liam avant l'aurore. » L'idée fut trop tentante pour que je décline l'invitation. Amélia cuisinait si bien qu'il serait désolant de ne pas profiter de son talent en la matière. Je n'arrivais pourtant pas à être totalement présent, mes pensées s'évadant vers un doux visage auréolé d'une crinière rousse, les différentes informations que l'on m'avait données à son propos, papillonnaient autour de mes rêveries. Loup, des flammes noires, du feu sombre, tout s'entremêlait en un chaos inextricable. La mention du feu sombre ne m'était pas tout à fait inconnue, mais j'avais beau chercher, le souvenir de l'avoir lu, vu ou entendu quelque part m'échappait totalement.
Ce n'est que très tard dans la nuit, la tête appuyée contre le carreau de l'arche-nêtre de ma chambre, que je pus finalement m'endormir un sourire aux lèvres, un nouvel attrait pour la cérémonie de l'aurore, guidant mon esprit.
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