Dies Drákon 21 Tertème Phénière
Elle
Dragonale 33 : 3-3
Dragon dit à Phénix :
« Voici venu le temps de l'air ; le temps du savoir ; le temps de l'avenir ; le temps du printemps. Souffle, souffle tes prophéties ; fais filer le temps de tes mots ; dans l'air de l'aurore dévoile les secrets du futur»
Tout le monde s"était levé une heure avant l'aurore pour se préparer à l'ascension Phénière. J'étais la seule qui n'avait pas souhaité m'extirper de mon lit plus tôt, râlant sur la moindre personne qui tentait de m'arracher à mon oreiller. Je n'avais besoin que de dix petites minutes pour me préparer, étant donné que mon but était de rentrer me coucher après la cérémonie, je n'allais certainement pas perdre mon temps à me doucher ou me maquiller pour une heure, et sans cette perte de temps, il me fallait cinq minutes pour enfiler mon uniforme, deux pour me brosser les dents et deux autres pour rejoindre la cathédrale. Enfin, ça, c'était si je ne me rendormais pas. Mon dortoir étant devenu étrangement silencieux, je m'apprêtais à replonger ma tête dans mon oreiller quand j'entendis une porte claquer. Au début, je me mis à grommeler contre le manque de civisme de certains envers leurs camarades de représentation, ensuite, j'ai regardé vers l'horloge, dans l'espoir de pouvoir grappiller encore quelques minutes de repos dans le calme. Je ne crois pas m'être jamais levé aussi vite. Cinq minutes, c'était tout ce qu'il me restait. Le stress a du me plonger dans une faille temporel, car il réussit miraculeusement à me faire arriver à l'heure, du moins, les portes n'étaient pas encore fermées quand j'entrai dans la cathédrale, essouflée d'avoir couru, les poumons en feu, les boucles de mes cheveux roux décoiffés me tombant dans les yeux. Plusieurs centaines de regards sur soi, c'était suffisant pour mettent mal à l'aise n'importe qui, surtout quand on sait qu'on ressemble à un épouvantail froissé, malmené par le vent.
La gêne me fit rapidement trouver une petite place, sur les bords de la salle, entre deux jeunes clercs, leurs regards réprobateurs me firent prier le Dragon de ne pas m'être attiré plus d'embêtements et d'inimité des ecclésiastiques. Un court instant, le poids d'un regard, de plus en plus familier se fit sentir, posé sur moi. J'avouai ne pas avoir pensé à sa présence sur l'estrade aujourd'hui. Son absence à la messe de Loup m'avait fait croire qu'il endossait le rôle de Cardinal de manière exceptionnel. Le voir, là, devant nous, m'indiquait que je m'étais complètement trompée et me faisait envier mes camarades qui avaient pris la peine de s’apprêter pour l'ascension Phénière. Le courage de lui rendre son regard me manqua, j'attendis donc que son attention se focalise sur notre Pontife pour me laisser le loisir de l'observer, lui et la scène qui l'entourait, tant par curiosité que pour les sentiments qui m'enflammaient quand je le voyais. La tenue cardinalice en soie noire dont il se vêtait pour les cérémonies lui seyait terriblement bien, les courbes de sa musculature athlétique se dessinaient agréablement, dans le tissu soyeux de sa soutane, l'air sérieux qu'il affichait et la contracture de sa mâchoire taillant ses pommettes glabres, lui donnait une aura de laquelle j'eus du mal à me défaire. Il dut s'en rendre compte, car je le surprit à détourner son attention de la procession de grands prêtres, habillés exceptionnellement d'une soutane pourpre cintrée d'une corde tressée d'or, apportant devant chacun des cardinaux, une vasque à pied pleine d'un liquide doré. J'étais très curieuse de participer pour la première fois à un événement d'envergure dans ma nouvelle spiritualité, alors quand le Pape se mit à entonner l'accueil les nombreux clercs sur l'estrade et l'inflexion de Dragon dans la voix du vieil homme, m'aidèrent à reporter mon attention sur l'événement plutôt que sur mon Primordial.
« Mes enfants – clama-t-il avec une force étonnante – Au sein même de la cathédrale de Dragon, l'aurore d'un nouveau jour point et dans les premiers rayons de ce jour saint, nous entamons l'ascension de Phénix. Avec lui le vent souffle, avec lui arrive le printemps. Unifions nous dans la prière envers le troisième né parmi les quatre grands » Différents paragraphes du Dragonale, le livre sacré de Dragon, furent déclamés, un chœur de prêtres en bure rouge entonnait des cantiques à la gloire de Phénix qui nous apportait la sécurité et l'avenir des hommes. La spécificité de l'espèce me surpris en éveillant un sentiment dérangeant en moi, je ne connaissais pas bien les terres de Dragon, pourtant j'étais certaine que, comme dans mon ancienne patrie, d'autres créatures que l'homme devait vivre dans les forêts luxuriantes ainsi que dans les montagnes de Dragon. Les peuplades d'elfes des neiges et de trolls vivaient, bien que très peu nombreuses, dans les bois enneigés et les steppes glacées que j'appelai autrefois « chez moi », certains élèves au saint-siège Manticale avaient un parent d'une autre espèce ou étaient eux même des sang-mêlé directs. Je me souvins vaguement que mon oncle, le frère de ma mère avec lequel j'avais eu très peu de contact, s'était uni cinq ans plus tôt avec un demi-elfe. Je doutai donc qu'aucune des représentations de Dragon n'ait un parent d'une autre espèce, il me semblait que personne ne l'affirmait ouvertement. J'envisageai, dans un coin de ma tête, de faire de futures recherches à ce sujet quand le Pape leva ses bras frêles vers le ciel, ses doigts fins et veineux illuminés par les rayons de l'aurore filtrant à travers l'immense vitrail, une brume de magie d'un rose doré chatoyant s'élevait du sol de pierre veiné de rouge de la cathédrale, recouvrant l’entièreté de sa surface.
« Phénix, gardien de l'aurore éternel et porteur de renouveau, nous te rendons hommage en ton jour sacré. Que ton souffle d'air nous enveloppe, que tes rayons éclairent nos esprits et nous apportent la sagesse de tes mots, éclaire-nous de la sagesse de tes prophéties. » Tous se levèrent, ce que j'imitai, baissant la tête tandis que la brume d'or rosé s'élevait un peu plus encore, nous arrivant jusqu'à la taille, apportant le pépiement d'oiseaux migrateurs, un vent de fraîcheur et les odeurs de milliers de fleurs en éclosion.
« Par l'air et la brume de Phénix, nous purifions nos âmes en nous dirigeant vers un avenir d'espérance et de détermination. Que cette aurore soit une promesse de renouveau. En ce jour d'équinoxe, célébrons l'équilibre en nous-mêmes, unifions nos voix pour la paix et l'avenir que Phénix nous offre. » Les paumes du Pape ouvertes vers le ciel se mirent à briller d'or. Le reste de son corps s'entourant d'un halo rouge vif il appela chacun d'entre nous à répéter après lui, la prière sacré de Phénix.
« Ô Phénix – psalmodia t-il - souffle de notre avenir Troisième gardien, Déitée de l'air. Nous te prions d'inspirer nos esprits. En cette aurore sacrée, nous t'offrons notre foi. Par la volonté et la grâce de Dragon, à tes côtés nous marchons vers l'aurore qui se termine. Veille sur nous tous, aujourd'hui et à jamais. Allons en paix, et portons avec nous, la promesse d'un nouveau printemps. » Le Pontife tremblait quand il abaissa enfin ses bras, ses paumes prirent le même rouge que le reste de son corps. Une douce brise enveloppa l'assemblée, dispersant la brume en la dirigeant vers le vieil homme fatigué. Elle prit l'aspect d'un petit oiseau, qui me fit penser à une corneille de fumée rose mordorée, tournoyant autour de l'estrade, avant de disparaître illuminée par les rayons de l'aube.
Je trouvais étrange que Phénix nous apparaisse sous l'aspect d'une corneille, la vision que j'en avais, tirée de dessin dans mes livres, le dépeignait comme un oiseau immense aux ailes d'une envergure impressionnante et à la traîne de multiples queues plumeuses aux couleurs de l'aube. Tout était si différent ici que plus rien ne m'étonnait, je rajoutai toutefois cette information sur la liste de mes nombreuses recherches à effectuer sur ma spiritualité. Je m'imaginai d'ailleurs que, vu l'épuisement du Pape et la disparition de la brume, la messe était terminée, pourtant personne ne bougea ce qui me fit attendre la suite avec intérêt et une pointe d'impatience.
« Ainsi, - fini par tonner le Pontife – commence un nouveau cycle, sous l'égide du gardien de l'aurore et du printemps. Phénix unira de son air les représentations qui souhaitent rejoindre Dragon et le servir jusqu'à retourner à sa présence éternelle. Venez à moi, enfants de Dragon et recevez l'unification de ma main. » Je fus surprise d'assister à un événement aussi spirituel que celui-ci. À Manticore, le corps monacal était terriblement secret, les représentations la rejoignaient dans des offices privés auxquels seuls les hauts moines pouvaient accéder. Les représentations qui s’avancèrent à lui, portaient la bure bleu marine des aspirants prêtres et s’alignèrent dans une chorégraphie millimétrée en avançant un à un, vers le vieux Pontife qui bruissait du pouvoir de Dragon. Le halo rouge qui l'entourait perdait pourtant en intensité au fur et à mesure que je le voyais marqué chacun d'entre eux, avant de leur faire boire le philtre d'obédience sanctifié.
Ce qui me subjugua, fut les fumés colorées qui s'échappaient de chacun d'entre eux, une fois marquée et leurs vœux prêtés pour rejoindre le cardinal de leurs anciennes représentations. Moi qui avais attendu le lien avec mon Esprit tutélaire pendant plus de quatre ans, j'imaginais mal vouloir m'en départir, même en voyant le bonheur béat sur les visages des nouveaux ordonnés. Aucun Loup ne s'était présenté pour devenir prêtre, seuls deux Sanglier quittèrent leur tutélaire pour faire partie des nouveaux membres du clergé et à la différence des autres, les vapeurs vert sapin qui s'en échappèrent ne se dirigeaient pas vers le Cardinal de Sanglier, mais vers notre Pape, dont le dos ce courba en recevant les morceaux de l'Esprit.
« Aujourd'hui, mes enfants ont franchi un pas sacré, en quittant leurs Esprits tutélaires, ils se sont unies à Dragon, notre créateur. Recueillez vous pour leurs âmes unis par notre Déitée Primordial sacré pendant que j'appelle à se présenter, devant les primordiaux du Loup et du Sanglier, les clercs ordonnés qui souhaitent prendre la place cardinalice. Prions que Sanglier et Loup acceptent l'un d'entre eux. » Les rayons de l'aurore avaient terminé de baigner le vitrail, quand quelques évêques se présentèrent devant le Primordial de Sanglier, un seul grand prêtre gardien se dirigea vers mon Primordial, le regard sombre et froid qu'il porta sur lui différait totalement de ceux, intenses, que je lui connaissais. Un à un, ils exprimèrent leur dévouement et leur désir de servir le tutélaire, la force de leur foi s'entendait, vibrante de déférence, , mais aucun ne fut choisi ce qui sembla n'étonner personne.
Pour ma part, j'étais occupée à me demander pourquoi aucun d'entre eux ne trouvait grâce aux yeux des deux Esprits quand un regard sombre et brumeux s'imposa à moi, effaçant tout questionnement en bordant ma vision d'un flou de ténèbres, mes oreilles s'assourdirent en partie et j'entendis à peine le Pape appeler à l'unification, nous signifiant la fin de la cérémonie. L'ombre brumeuse guida mes pas, étrangement légers, dans la file de mes camarades de représentations, le chœur de prêtres entonnant le dernier cantique, leurs voix de ténors m'atteignirent sourdes et voilées alors que j'avançai, pas à pas le cœur battant.
« Ô Dragon, premier des quatre grands. Né du néant, créateur de nos êtres. Toi qui termines l’œuvre, Nous nous unifions en ce jour sacré. À Sanglier, la force tranquille, Cerf, le noble confiant, Ours, le féroce courageux, Lynx, la patiente solitaire, Chouette, la sage généreuse, Loup, la loyauté protectrice. En ce jour d'unification, Nous élevons nos voix en dévotions Sous ton aile, nous nous rassemblons À ton feu sombre nous nous unifions » La fin du chant s'éteignit quand ce fut enfin mon tour de recevoir l'onction d'union, mon corps embrumé par l'être sombre, je ne pouvais que céder à sa volonté quand mes yeux s'aimantèrent à deux onyx sombres, luisants, semblables au regard de fumées dans mon esprit. Engourdie par la transe de la brume sombre, mes oreilles bourdonnaient désormais, me coupant de tous les sons extérieurs alors que je m'agenouillais devant mon primordial, mue par la volonté profonde de la présence brumeuse, sans quitter un instant les puits ténébreux de ses yeux, m'engloutissant de leurs sombres profondeurs.
Je le vis plonger ses mains, dans la vasque de liquide doré, en l'honneur de phénix, le geste qu'il eut par la suite, fit éclater la bulle brumeuse dans laquelle je me trouvais, ses mains attrapèrent les côtés de mon visage et d'une légère pression, il me releva vers lui en traçant de ses deux pouces, les traits Phénière sur mes joues. Aussi proche que je l'étais, je pouvais presque sentir le musc divin de sa peau pâle, ce qui accéléra les battements effrénés de mon cœur en déclenchant un feu brûlant dans mes entrailles. En une fraction de seconde, la folle pensée de me mettre sur la pointe des pieds et d'aller poser mes lèvres sur les siennes me traversa , mais une voix sépulcrale s'éleva dans mon esprit au moment même où la cathédrale s'assombrit ; l'immense vitrail se teintant de différentes nuances de noir, le Loup de verre, sortant du feu de Dragon, s'illumina telle une braise ardente, attirant à lui le moindre regard. Des exclamations paniquées s'entendirent dans ce lieu plongé dans les ténèbres, il y était presque impossible d'apercevoir quoi que ce soit, mais la profondeur de deux braises ainsi qu'un murmure appartenant à mon primordial m'alerta sur la marche à suivre.
« Va t-en vite de là » fut tout ce qu'il me dit, avant de me repousser vivement vers la petite porte donnant sur la coursive ouest, desservant la tour de Loup. Notre contact rompu, les ténèbres se dissipèrent, bien plus lentement qu'elles n'étaient apparues, je pus jeter un dernier regard vers lui, dont les mains tachées d'ombre s'étaient déjà posées sur une autre représentation. L'avertissement contenu dans sa voix me fit me détourner de la scène, la tête basse en m'éloignant de la foule, considérablement réduite, sans comprendre la portée de ce qui venait de se produire. Ce contact bref, mais intense avec mon professeur me submergeait d'autant d'émotions que la présence de l'être de brume à la voix sourde et caverneuse. Pourquoi m'être apparu ainsi, qu'avait-il voulu me dire par « unis-toi à ton âme » juste au moment de l'unification ? Et pourquoi mon primordial m'avait-il fait quitter si précipitamment les lieux ?
Une main sur mon visage me mit sur la piste quant à ma seconde interrogation, un liquide noir tachant mes doigts. La couleur sur mes joues, qui aurait normalement dû être dorée, symbolisait mon tutélaire et impliquait que, d'une manière ou d'une autre, j'avais à nouveau influé le cours d'une messe spirituel. Si mon primordial ne m'avait pas fait déguerpir avant que ne cesse l'ombre, j'aurai très certainement été la proie des clercs restants, les mêmes qui ne s'étaient toujours pas remis de l'incident du feu sombre, deux semaines plus tôt. Je n'avais pas le temps de réfléchir plus à tout cela, il fait que je rentre au plus vite à la tour de Loup pour enlever la moindre trace de l'onction. Peu important que cela soit mieux vu de les porter jusqu'au crépuscule, j'étais désormais en vacances et personne ne pouvait me forcer à quoi que ce soit. Le silence m'accueillit quand je pénétrai dans la tour, la majorité des représentations de Loup étaient, soit déjà parties, soit encore dehors, ce qui me laissait le champ libre, autant pour mettre de l'ordre dans mon esprit que pour me débarrasser de la moindre trace pouvant me relier à l'incident spirituel.
La première idée qui me vint à l'esprit, en me débarbouillant de tout ce noir, fut de me rendre chez le Pape pour jurer sur le feu de l'éternel que je n'avais rien à voir avec cet événement. C'eût été la meilleure solution, si j'avais la certitude de ne pas être mêlée à tout ça. Mais l'avais-je ? J'affichai un rictus face à mon reflet dans le miroir. Pour faire un tel serment, je devais en être certaine. Si cela fonctionnait comme à Manticore, un serment sur le feu égalait un serment sur la terre, l'un, comme l'autre, ne menait qu'à une chose en cas de mensonge ou de violation. La mort. Je n'étais pas prête à me jeter dans ma propre tombe, mais je devais comprendre pourquoi ces événements m'arrivaient et quelle était cette présence qui s'animait en moi. Fatiguée par tant d'interrogations, je m'en retournai dans la chambre pour me jeter sur mon lit. Il était un peu plus de huit heures du matin, je n'avais pas cours et, quelle que soit cette brume noire, elle pourrait attendre quelques heures que les couloirs se désertent et que je dorme encore un peu.
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