Dies Strigis 16 Quartème

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Elle

Dragonale 58:10-2

« Loup naquit le dernier ; parce qu'il est le dernier, il unit la boucle ; de cette union, naît la continuité perpétuelle de toute chose. Loup est instinctif; il est le feu ; il est l'ombre ; par lui les choses demeurent et la mort exerce son œuvre »


Je venais de passer une matinée complète à écouter déblatérer le professeur Flinch, le Primordial d'Ours, un homme brun ; barbu ; bourru, d'une cinquantaine d'années à la stature moyenne, sur le perfectionnement de la magie de Transmutation et ce, sans que je n'arrive à modifier ne serait-ce que la couleur du plumage d'un canari.

 « Pour réussir – rappela la voix perçante et forte du Primordial Flinch – vous devez connaître ce que vous voulez transmuter. Pour pouvoir visualiser correctement le changement, chaque partie de l'objet doit s'imprégner dans votre esprit. Comprenez ce que vous avez en face de vous.» La théorie était bien plus simple que la pratique, jusqu'à présent, la seule chose que j'avais réussi à faire, c'était légèrement décolorer une de ses ailes et ça me dépitait. À mon premier cours de transmutation, j'avais été intriguée par cette forme de magie inconnue, cette matière n'étant pas enseigné à Manticore. Elle m'avait fascinée dès le jour où notre professeur s'était métamorphosé, devant nous, en l'une de nos camarades, vêtements compris. Nous avions été informé que vouloir modifié l'essence même d'un objet, demandait beaucoup d'énergie et une excellente pratique de la visualisation. Pratique que les élèves de Dragon apprenaient, dès la première année du parcours de choix et que je m'efforçais à comprendre, de mon côté. Travailler dur ne me dérangeait pas, les exercices supplémentaires ainsi que les échecs répétés étaient mon quotidien depuis des années. Mon besoin de prouver ma valeur aux yeux de ma nouvelle patrie était tel que je tentais de faire de mon mieux, peu m'importais la charge de travail. Je voulais simplement montrer que j'en étais capable, même si cela ne montrait aucun résultat.


Je ne comprenais pas où je péchais exactement, si c'était ma façon de visualiser l'objet ou mon cerveau qui ne semblait pas câblé pour ce genre de magie. Mon esprit n'arrivait juste pas à se concentrer sur tous les aspects du canari. Je voyais l'aile et en même temps, les insectes voletant dans la poussière d'un rayon de soleil attirait mon attention ; le bec et son chant m'emmenait ailleurs. La théorie de la visualisation était aussi complexe à comprendre qu'à mettre en pratique. Je me refusai pourtant à demander à nouveau de l'aide à mon professeur. Ayant vite compris qu'il manquait d'intérêt pour la plupart des élèves qui ne rentraient pas dans ses critères, je ne voulais pas mettre sa patience à l'épreuve en retentant l'expérience, vaine, d'obtenir plus d'explications de sa part.

Je me faisais à l'idée que cette matière n'était pas faite pour moi quand je sortit de son cours accompagnée de mon amie Angie, tout aussi morose que je ne l'étais, en m'imaginant la nouvelle note basse qu'il me donnerait certainement pour cet exercice. Son regard dépité face à mon travail ne pouvant signifié qu'un nouveau F pour faible, m'étant désormais coutumier avec lui.

  « Je n'ai même pas réussi à le rendre blanc – ce plaignit Angie, râlant sur ses capacités, aussi piètres que les miennes – encore une heure et le beige aurait peut être pu passé au blanc cassé. Enfin bon. On va manger ? » Mon pas devenu plus allègre en descendant du quatrième étage vers la salle de représentations. L'idée me rendait de meilleur humeur, avec un peu de chance, nos emploi du temps coïncidaient et je pourrais espérer le voir, tout en mangeant un morceau. L'humeur maussade revint au galop une fois la table des primordiaux en vue, complètement vide. La chance n'était décidément pas avec moi aujourd'hui. Ne pas le voir me décevait, même si j'aurais pu m'en douter, il était rare de voir tout le monde réunis à l'heure du déjeuner, la salle des représentations restant ouverte pendant plusieurs heures pour coïncider avec les différents horaires des cours de tout niveaux. Je n'avais pas souvent la chance de l'y voir, en dehors du souper où tous était conviés à la même heure. Contrairement au repas du soir ayant une connotation plus solennelle, le midi nous lâchait la bride et l'on pouvait voir des groupes de représentations plus hétéroclites se former, s'installant à n'importe quelle table peu importe l'Esprit tutélaire auxquels ils appartenaient.


Non loin de nos places habituelles à la table de Loup, la vue d'Aurore Martin une représentation de Chouette d'une vingtaine d'années, des cheveux blond coupés très courts avec laquelle je m'étais lié d'amitié durant les congés Phénière, me remonta le moral. J'aimais discutée avec elle, son intelligence et notre passion commune pour les plantes nous avaient rapprochées et l'absence des membres habituels du groupe d'amis que nous partagions avec Angie me fit la convaincre d'aller nous installer avec elle. Nous la vîmes d'abord se contracter légèrement à notre approche, avant de me voir. Ses grand yeux verts gris se remplissaient encore d'étonnement quand elle me regardait, ce même si ce n'était pas la première fois que je la rejoignait pour manger. Elle m'avait dit, l'une des fois où je l'avais rejointe à la bibliothèque, ne pas être habituée à voir des gens s'intéresser à elle et le rendait bien aux autres en retour, ne s'attachant ni aux ragots, ni aux conventions sociales établies au Saint-siège.

Je savais bien qu'Angie la prenait pour une originale, elles n'avaient rien en commun, toutes deux ne se supportant que parce que j'appréciais leurs compagnies respectives. Elles ne faisaient l'effort d'échanger quelques mots que pour me faire plaisir. D'ailleurs, la conversation à table ne tourna qu'autour de notre cours précédent avec l'acariâtre Primordial d'Ours. Ma camarade pris grand soin d'accaparer la majeur partie de la conversation pour se plaindre de l'homme. Elle réussit à déblatérer sa mauvaise humeur durant une bonne vingtaine de minutes, avant de finalement nous laisser pour l'après-midi, en se rendant toute guillerette à son cours d'équitation.

 « Je ne comprend vraiment pas pourquoi vous êtes amies – me dit Aurore, une fois qu'Angie fut hors de vue – elle est tellement égocentrique qu'elle n'a pas remarqué qu'aucune de nous ne l'écoutait vraiment. » Pour être honnête, c'était plutôt moi qui ne comprenais pas pourquoi Angie passait du temps avec moi. Elle avait été la première à m'avoir témoigné de la gentillesse et pour ça je lui montrais une loyauté sans faille, même si ce n'était pas vraiment le genre de personne avec qui je me serai liée d'amitié de prime abord. Le peu d'amis que j'avais ainsi que mon statut social ne me permettait pas vraiment de faire la fine bouche.

 « Elle n'est pas égocentrique, disons simplement qu'elle parle beaucoup. Et puis, elle m'apprécie, tu devrais vraiment lui laisser une chance. » Que mes seules amies s'entendent un minimum, voilà tout ce que je souhaitais pour passer une année relativement tranquille et sans accroc.

  « Si tu le dis – soupira t-elle n ce levant – tu viens ? On a cours d'astromie ensemble. » Notre emploi du temps avait été changé à la dernière minute ce matin, faisant sauter, une fois encore, notre cours d'histoire de la spiritualité. Je n'avais, jusqu'à présent, vu la professeure de ce cours qu'une seule fois. C'était une vieille femme avec de long cheveux blanc, un air de fouine et, m'en étant rendu compte après une après-midi complète avec elle, une tendance hypocondriaque extrême. Elle avait passé l'entièreté de ses heures de cours à nous battre ses cartes de tarot en nous expliquant la nouvelle maladie qu'elle sentait s'étendre en elle, lui déchaussant les dents et lui donnant des plaques bleuâtres. C'était venu, d'après elle, à cause du crapaud cornue à langue de feu qui s'était échappé des enclos de la Primordiale Moreau et qui, on ne sait comment, avait réussi un tour de force en entrant dans le donjon ; montant jusqu'aux appartements de la vieille bique pour se rouler dans ses draps avant de mystérieusement disparaître. L'histoire, complètement tirée par les cheveux, n'avait eu aucun témoin, la pauvre bête avait d'ailleurs été retrouvée plus tard dans les écuries, mais cela n'avait pas empêché la vieille belette de prendre un congé, en arguant que pour sa santé, seul un bon bol d'air frais de la campagne pouvait guérir ses maux.


Depuis, ses heures de cours s'annulaient à la chaîne, parfois reprises par l'un de nos professeurs ou carrément échangées, je priais à chaque fois pour des cours en plus avec mon Primordial, mais il semblerait qu'aujourd'hui je n'obtiendrai rien de ce que je voudrais. Enfin, ce n'était ni un cours de bio-zoologie spirituelle ni un nouveau cours de transmutation, rien que pour ça, je pouvais remercier Dragon. Nous montâmes toutes deux vers le dernier étage du donjon, là où se trouvait notre salle de cours, si on pouvait l'appeler ainsi. L'étage tout entier ce trouvait sous un dôme de verre immaculé qui projetait des prismes solaires partout dans la pièce. Le sol était couvert d'une épaisse moquette bleu de nuit, moelleuse ; duveteuse, donnant envie de s'y allonger pour une très longue sieste. Des étagères garnies de livres couvraient l'entièreté des pans de murs qui n'étaient pas occupés par des cartes du ciel ou des tapisseries de Cerf. Plusieurs instruments astronomiques d'une taille démesurée, trônaient dans le dôme, tel un astrolabe au centre de celle-ci ou d'un télescope, deux fois plus haut que moi. D'épais coussins moelleux étaient disposés pour les élèves, devant un grand tableau nu, et c'est naturellement là bas que nous nous dirigions tous, en attendant le début du cours.

Notre professeur, le vieux Primordial de Cerf, John Han, arrivait d'une démarche raide, sa canne à la main. Il demeurait, et de loin, notre professeur le plus âgé, les soixante-dix ans largement dépassés. Pourtant il ne fallait pas mentionné le mot « retraite » associé à son nom, à moins de vouloir subir son courroux. Car malgré son allure de vieux dégarni à longue barbe blanche, il avait, parait-il, encore assez d'énergies pour assommer les « jeunes gens que nous étions» à coup d'encyclopédie astronomique. Le livre étant l'un des plus volumineux que je connaisse, je n'envisageais de le contrarier d'aucune façon ; sur quel que sujet que ce soit. Sans compter que les cours du vieillard restaient dans le top de mes préférés. Je pouvais l'écouter parler de sa matière durant des heures, de la course des étoiles, des changements dans le ciel à chaque saisons, le laisser nous conter l'histoire derrière chaque constellation ou même parler du pouvoir des astres influant sur la pratique de la magie. La première heure de chacun de ses cours, était utilisée pour nous faire méditer ; nous apaiser intérieurement, sans quoi, d'après lui, nous n'étions pas préparés à nous ouvrir aux étoiles. Si certains raillaient cette partie en la nommant « heure de sieste » aucun d'entre eux n'osaient plus réellement s'endormir depuis la dernière côte cassée à coup de canne bien placés.

 « Cet après-midi – entama notre professeur, une fois la méditation terminée – nous allons aborder un sujet de philosophie sur nos Esprits tutélaires. Je sais bien que ce n'est pas la partie du cours que vous préférez – dit-il en entendant certains souffler – , mais il est important de connaître son Esprit pour se comprendre soi-même. » Aurore et moi sortions nos carnets de notes, écoutant le vieil homme entamer son récit. 

 « On dit de Cerf qu'il symbolise la confiance, qu'il incarne une force et une noblesse différente des autres Esprits. On l'appelle Cerf le Confiant, Cerf le Pur ou le Fort. Cependant, regardez-moi aujourd'hui. Ai-je l'air d'un homme fort ? Vous parais-je comme quelqu'un de noble ? Avez-vous confiance en moi ? - certains d'entre nous hochèrent la tête à cette dernière mentions, mais la plupart restèrent muets, attendant la suite – Je suis heureux d'apprendre que vous êtes plusieurs à avoir confiance en moi, pour le reste, je vais vous dire, je pense n'avoir jamais été, ni fort ni noble. Il faut que vous sachiez qu'avec les Esprits, il est nécessaire de ne pas s'arrêter qu'à l'image qu'on essaie de vous en donner. Toutes les représentations de Cerf ne sont pas fortes physiquement, ou nobles dans leurs attitudes. On peut en trouver qui ne seraient pas dignes de la confiance d'un blaireau.» Se posant quelques instants, il laissa les rires de certains ainsi que les murmures offusqués de quelques Cerf s'éteindre.

 « Il est nécessaire et ce, tout au long de votre vie, d'apprendre à vous rapprocher de la part spirituelle qui fait de vous, la représentation de votre Esprit. » Le concept m'était assez étranger, même si je le comprenais. Étant une représentation de Loup, je comprenais mal ce qui était sensé être «protecteur » chez moi, surtout vis à vis de la famille. L'instinct n'étant pas non plus ma qualité la plus évidente, je m'étais déjà posé la question de ce qui faisais de moi un Loup.

 « Il y a longtemps, quand j'étais jeune comme vous, j'ai été vaniteux, arrogant et bien trop fier d'appartenir à la noblesse de Cerf, je me sentais fort, grand et puissant. Même quand je suis entré comme professeur, j'ai continué à l'être. Pourquoi aurais-je changé quoi que ce soit ? Après tout, si Cerf m'avait accepté, c'est bien parce que j'étais comme lui n'est-ce pas ? Si vous pensez comme ça, sachez jeune gens, que vous vous trompez lourdement. Toutes les Chouettes ne sont pas sages, tous les Lynx ne sont pas patient et tous les Ours ne sont pas stupides.» Quelques murmures choqués vinrent ponctuer le discours sans philtre de notre professeur, tandis que je continuais à l'écouter, fascinée et impatiente de connaître la suite.

 « Au fond de moi – continua-t-il – je n'étais pas réellement satisfait. Quelque chose clochait dans mon lien avec mon spirituel. Je pressentais que Cerf attendait plus de moi et c'est ainsi que j'ai commencé de longues recherches sur son histoire et la lente introspection de mon âme. Je ne vous dis pas que c'est facile, ça m'a pris des années avant de comprendre pourquoi j'étais un Cerf et ma réponse risque de vous choquer. - Son regard balaya l'ensemble des représentations dans la pièce avant de continuer – c'est la peur qui a fait de moi un Cerf.» Au début, sa déclaration fut suivit d'un brouhaha général. Les représentations de Cerf présente regardaient penauds, leur Primordial comme si c'était la première fois qu'ils le voyaient et moi-même j'avais du mal à imaginer ce Primordial rayonnant de confiance en lui, comme un homme peureux. Le calme ne revenant pas, notre professeur appela au silence avant de reprendre son récit.

  « Réfléchissez autrement – dit-il – que représente t-il physiquement? Un cerf. Qu'est ce donc un cerf, avant d'être le roi de la forêt ? C'est une proie. La vie des proies est régie par la peur. Mon Spirituel m'apprend que, plus qu'Ours ou Loup, je dois vous protéger, pas de l’extérieur, mais des affres de la peur ancrée en chacun d'entre nous. » À ce stade de son récit, nous étions tous soit fascinés, soit abasourdis par le discours de notre professeur. Comment pouvait-il nous protéger et de quelle peur parlait-il ?

 « Rappelez-vous ce que je vous ai dit au début, je n'ai jamais été fort ou noble. Je me suis caché derrière mon Esprit tutélaire pour masquer un manque de pouvoir et un cruel défaut de confiance et d'assurance. C'est en prenant conscience qu'il me fallait combattre la peur profonde qui vivait en moi que je me montrais enfin digne de Cerf. J'ai compris qui il voulait que je soit un homme qui se bat pour préserver les représentations que vous êtes de la peur d'avancer ou d'être qui vous êtes. » Les Esprits étaient ils tous aussi complexe ? Je doutais qu'ils attendent réellement quelque chose d'aussi noble venant de chacun d'entre nous. Pour ma part, je ne ressentais rien de spéciale émanant de mon lien. Toutefois, je n'étais pas dans le corps des autres pour comprendre comment cela fonctionnait chez eux.

 « Ce n'est que quand j'ai compris la voie à suivre que je me suis réellement uni avec Cerf et qu'il m'a pris comme Primordial en m'offrant le pouvoir de percevoir vos plus grandes peurs. Non pas l'émotion, mais le sujet même de la peur. - Nous devions tous avoir l'air interloqués à ce stade car il soupira - Les Esprits tutélaires offrent un pouvoir à leurs primordiaux, une fois qu'ils l'ont choisi, souvent lié à la tâche que nous nous trouvons ou à ce qu'ils attendent de nous. Tous nos pouvoirs ne vous sembleront pas forcément utiles, Sachez que chacun d'entre eux ont une raison précise d'exister. Ainsi, je peux connaître l'existence de votre plus grande peur et vous aider à l'accepter ou s'il le faut, la combattre. » Le vieil homme se leva pour venir marcher entre les coussins, en nous proposant une petite démonstration. Une couche de brume blanche et scintillante vint s'enfiler sur la main du Primordial, tel un gant de soie éthéré.

  « Je m'excuse d'avance si certain d'entre vous n'apprécient pas être touchés, à l'époque j'aurai pu pratiquer ma magie simplement en vous regardant, mais aujourd'hui l'exercice est devenu un peu trop difficile pour ma vieille carcasse. » Il toucha la tête d'une Lynx brune à binocle épaisse, la faisant pâlir comme un linge, les yeux troublés. Une araignée apparu, brumeuse, provoquant plusieurs hoquets de dégoût parmi nous, moi y compris.

 « Ici nous trouvons une peur très classique, de choses physiques telle que les araignées. Profitez en, je ne les ferai pas apparaître à chaque fois. - il balada son regard au milieu des élèves ; s'approcha d'une autre représentation, un de mes camarade de Loup – Sachez qu'il y a plusieurs formes de peur en ce monde, que je classifierai, par facilité, comme peurs tangibles et intangibles. Ici par exemple, nous avons une peur du vide très commune - S'éloignant un peu, vers un grand Ours à boucle rousse il ajouta, posant sa main sur son épaule - Ici encore, nous retrouvons une autre peur intangible des fonds marins. - balayant la classe d'un regard pénétrant, il donnait l'impression de chercher quelque chose de précis – Il faut que vous compreniez que les peurs ne sont pas un fardeau dont il faut avoir honte, ce sont elles qui nous façonnent et qui font de nous ce que nous sommes ou allons devenir et je peux vous aider à les accepter, si vous le souhaitez. » Il s'arrêta devant mon amie Aurore, frémissante à mon côté, doucement il posa sa main ganté sur ses cheveux court et, baissant un peu la voix dans un timbre plus doux qu'à l'accoutumé il ajouta

 « Les peurs peuvent être stimulées par notre cerveau et notre conscience des choses, elles sont également créées par notre coeur. Souvent ce sont des peurs de sentiments telles que l'absence, la perte ou le rejet. » La pauvre devenait livide en baissant des yeux humides, la mâchoire serrée. Le regard compréhensif qu'il lui lança ne fit qu'accentuer son malaise. Heureusement, il n'insista pas et haussa le ton pour attirer à nouveau l'attention du reste de la classe sur lui.

 « Pour tout ceux qui en ressentiraient le besoin, je rappelle que mon bureau est ouvert à tous et que je respecte l'anonymat de chacun d'entre vous. » Passant à moi, il me tendit sa main, vibrante de magie scintillante, attendant la mienne. J'étais hésitante quand je la lui donnai, j'avais peur de sa capacité d'acuité, il y avait tant de choses que je gardais en moi, le rejet de mes parents, l'abandon de mon ancienne spiritualité, j'avais même peur de l'intensité des sentiments que j'éprouvai pour mon primordial et je priais pour qu'il n'en perçoive rien.

Tout d'abord, je ne ressentis absolument rien, aucun son n'émanait du Primordial, ce qui m'inquiétais, jusqu'à ce qu'il fronce ses épais sourcils en me fixant longuement. Un voile d'un blanc luisant apparut sur ses yeux, son gant de magie s'intensifia plus encore. Une pression se fit ressentir dans ma tête, contractant mon estomac, mon beau Primordial m'apparut alors et avec lui les grand yeux de fumée noir qui semblaient ne jamais me quitter. Un picotement dans la paume de ma main fut la seule chose que je sentit avant qu'un feu noir ne jaillisse, sortant des pores de ma peau sans que je ne comprenne comment le contrôler. J'eus à peine le temps d'envisager de me retirer de l'emprise du Primordial, qu'il chuchota très bas « C'est ainsi », ses yeux reprenant leur teinte de brun habituel, sa magie disparaissant en même temps que les flammes de jais, laissant derrière elle, une odeur âcre de chair brûlé ; de la peau à vif.

 « Vous possédez une peur très singulière ma chère – me dit-il en tenant sa main blessée contre lui – je n'avais jamais ressentis cela avant. Je sens que votre peur à tout de l'intangible car cela concerne votre âme, pourtant.. Pourtant mon pouvoir me dit qu'il y a quelque chose de réel derrière. Un symbole de matière. » Il se tut, l'air de ne pas savoir si il voulait continuer ou non, la douleur crispant les traits de son visage. Pour ma part, j'étais, encore une fois, dans l'incompréhension totale, pourquoi du feu venait de sortir de ma main et quel rapport y avait-il entre les peurs que je ressentais et mon âme ? Je ne pouvais pas non plus mettre de côté la terreur que je ressentais d'avoir brûlé mon professeur, j'allais très certainement avoir de gros ennuis. La pensée d'être renvoyée pour l'avoir agressé, même involontairement, me traversa l'esprit et j'eus beaucoup de mal à contenir mon angoisse. Restant coite, devant le Primordial Han, celui-ci me fixa encore une longue mains de secondes en réfléchissant, je sentais qu'il voulait approfondir cette découverte, cependant son air fatigué ainsi que son front brillant de transpiration eurent finalement raison de lui.

 « Le cours d'aujourd'hui est terminé - dit-il, interrompant mon débat mental - Pour la semaine prochaine, je veux un parchemin sur vos pistes de recherches à propos des possibles attentes de vos Esprits tutélaires. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser » Je le regardai claudiquer d'un pas incertain vers ses appartements, me mordant la lèvre d'inquiétude. À l'instant, je vis la silhouette d'Aurore tenter de m'échapper vers les escaliers. Mettant de côté mes préoccupations, je la rattrapai avant qu'elle n'atteigne la volée de marche. Elle n'avait toujours pas repris des couleurs, ses yeux rougis et gonflés me disaient qu'elle avait pleuré ou qu'elle s'apprêtait à le faire. Je voulais lui dire qu'elle pouvait me parler, si elle en ressentait le besoin, qu'elle n'avait pas à avoir honte de quoi que ce soit, mais j'avais peur de la gêner devant une tel profusion de sentimentalisme.

 « Tu veux qu'on aille travailler à la bibliothèque avant d'aller à la messe de Chouette ? » lui demandais-je alors, en toute simplicité. C'était une autre manière de lui montrer que j'étais là, quoi qu'il arrive et, au fond, je sentais que j'en avais besoin sûrement autant qu'elle. Son regard de gratitude fut tout ce dont j'avais besoin pour comprendre que c'était exactement ce qu'il fallait à mon amie. Aucun mot sur le cours ne fut prononcé, j'avais besoin de temps pour assimiler les paroles du Primordial Han ainsi que pour comprendre la raison de l'existence de cet être de fumée, semblant vivre à l'intérieur de moi. Jusqu'à mon arrivé à Dragon, je n'avais qu'une conscience partielle de mon âme, je la savais nécessaire pour pratiquer les arcanes ; pour nos rites religieux, mais c'était tout. Les évocations récentes de cette dernière me firent envisager de faire des recherches, plus en profondeur sur cet être ; sur mon âme.

Les troubles de la journée ne s'effaçant pas complètement, le souvenir de son visage me revint en repensant, encore, au feu sombre qui avait brûlé le vieux professeur. Les événements tournaient souvent autour de mes sentiments pour mon Primordial, même si j'avais d'abord pensé que cela pouvait provenir de nos contacts, l'incident de l'après-midi avait réduit à néant cette théorie, me laissant avec cette seconde hypothèse, très agréable, à explorer. Après tout, mes sentiments m'appartenaient, bien qu'ils ne resteront qu'à sens unique. Si je pouvais comprendre comment ce pouvoir fonctionnait, je pourrais espérer ne plus créer de problème. Nous passâmes le reste de l'après-midi dans le calme, savourant, l'une comme l'autre, le réconfort de nos silences.

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