Dies Eláfi 11 Quintème
Lui
Dragonale 81:12-6
Dragon dit à ses gardiens :
« À votre naissance, j'étais là ; pendant votre vie, je suis là ; quand vous mourrez, je serais là. Ainsi, telle est ma loi et tous se plieront, car, moi aussi, au crépuscule de la création, mon feu s'éteindra à son tour. »
« J'ai déjà dit que j'y réfléchirais, Élise, pourquoi ne vas-tu pas embêter Oreus ? » Ma collègue ne me quittait presque plus. À chaque fois que nos horaires coïncidaient, j'étais certain de la retrouver sur mon chemin. J'essayais de ne pas trop m'en irriter, après tout, j'aurais dû être habitué à ses excentricités, mais son attention constante était bien plus difficilement supportable. Mon amitié avec Amélia en pâtissait également, Élise se montrait de plus en plus jalouse envers elle et, la récente perte de mon amie n'aidant pas, sa propension à la tolérance pour ce genre de comportement avoisinant zéro, je la voyais beaucoup plus rarement que ce dont j'avais l'habitude.
« Oh, s'il te plaît, Nathan, tu le connais aussi bien que moi, il ne ratera une fête pour rien au monde. De plus, je me fiche bien d'Oreus. – me gourmanda-t-elle en utilisant ces grands yeux de biche comme arme. – Si je ne t'embête pas avec ça, tu trouveras une raison de nous fausser compagnie ! » Je me pinçais l'arrête du nez pour éviter de m'énerver sur elle tout en continuant à monter les escaliers. Je sentais bien qu'elle ne lâchera pas l'affaire tant qu'elle n'aura pas eu une réponse satisfaisante et je n'étais pas certain de pouvoir la supporter dans mes pieds encore cinq jours. La fête du printemps arrivant, le corps professoral organisait, comme à chaque saison, sa propre soirée, jumelle de celle des étudiants. Et si, les années précédentes, on m'y avait traîné, sans que je n'y oppose trop de résistance, s'était seulement grâce à la présence de mes amis durant ces soirées.
Pour Amélia, ce sera trop tôt, je n'étais même pas certain qu'elle se remettra complètement de la perte de Sêbb, et, sans eux, je n'avais aucune raison valable de me rendre à ce genre de soirée. Durant notre ascension du donjon, elle continuait à me supplier de l'accompagner, ne serait-ce qu'une heure ou deux. Dans d'autres circonstances, son insistance aurait réussi à me faire fléchir, rien que pour ma tranquillité, seulement j'avais une excellente raison de ne pas céder. La pleine lune tombant ce soir-là, il était hors de question que je sois où que ce soit, ailleurs qu’assommer et dans ma chambre à la nuit venue.
« Mais si, laisse-nous y aller. Que je lui montre ce que veut dire le mot non. » gronda le monstre devenant de plus en plus actif, trop à mon goût. Lui, ainsi que le parfum écœurant que portait Élise, me rappelant l'odeur du camphre rehaussé d'épices avec des zestes d'agrumes, me donnait mal de tête. Ce mélange, aussi étonnant que désagréable, me donnait envie d'éternuer en me donnant une raison de m'éloigner un peu plus.
« Dit-moi, tu n'aurais pas un peu de travail en retard ? » Lui demandais-je dans l'effort désespéré de changer de sujet.
« Si, c'est bien pour ça que nous allons en salle des professeurs, n'est-ce pas ? J'ai quelques copies de premier cycle à corriger. »
Ah, parfait, j'allais pouvoir m'en débarrasser.
« Toi peut-être, mais je dois aller à la bibliothèque. Je te rejoindrai après ? » Je crus qu'elle allait mordre à l'hameçon, surtout que nous étions déjà arrivés à destination. Les immenses rayonnages de bois massif nous entouraient, encerclant l'espace aux alentours des escaliers à vis, de quantité de savoir. L'entrée de la salle des professeurs se trouvait dans le fond de l'étage. Je pensais la partie gagnée quand je vis ses yeux bruns s'étrécir, son rythme cardiaque ralentit tel celui d'un prédateur cherchant à se fondre dans le décor pour traquer une proie. J'oubliais, à tort, que sous ces allures superficielles, elle n'en restait pas moins la Primordiale de Lynx.
« Tu cherches à te débarrasser de moi ? Demanda t-elle, très calmement, toute joie ayant déserté sa voix autant que ses yeux – Tu peux me le dire. » J'avais mal joué, si je continuais dans ce sens, j'avais l'assurance de devoir surveiller ma nourriture pour les six prochains mois. Il me fallait une parade à ma bourde, sans quoi, je pouvais tout aussi bien commencer à cuisiner moi-même.
« Mais non – finis-je par lui dire – tu peux rester avec moi si tu veux, je ne voulais simplement pas t'ennuyer avec mes recherches. » Quand je sous entendais parfois, avec Amélia, que ma collègue souffrait d'un sévère dérèglement de l'humeur, ce n'était pas peu dire. Elle venait de reprendre un ton enjoué, sans la moindre trace audible de son état précédent, si vite que s'en était désarmant.
« Ah ! Je me disais bien que j'avais du mal comprendre. – me souriait-elle en ajoutant – Tu sais quoi ? Je vais t'aider à trouver tout ce qu'il te faut. Qu'est-ce que tu cherches ? » Je me résignai à cette nouvelle fin d'après-midi qu'elle gâchait de sa présence en lui faisant une liste sommaire de ce qui pourrait m'intéresser.
« Tu peux chercher pour moi dans ta section les livres sur les poisons. Animaux et surnaturel. Tu me trouveras dans la catégorie alchimie. » J'avais déjà fouillé dans cette partie et lu la majorité des livres qui s'y trouvaient, tous ceux que je ne possédais pas moi-même, mais je préférais rester ici plutôt que de partir dans la catégorie spirituelle. Je gardais secrètes mes recherches liées à Anna ainsi qu'au pouvoir qu'elle semblait avoir et, n'ayant pas le désir de me faire interroger sur mes lectures, je me contentai de les remettre à plus tard. Je fini par m'installer à l'une des nombreuses tables d'études avec un livre intitulé « Nectar ou poison ? Le funambule alchimique, un recueil déjà lu, mais suffisamment bien écrit pour que je prenne plaisir à le parcourir à nouveau.
Élise me rejoint mécontente, deux exemplaires dans les mains.
« Je pensais que nous irions en salle des professeurs ? » Chuchota-t-elle pour ne déranger aucun des prêtres ou élèves étudiants autour de nous.
« Je croyais te l'avoir dit ; mais je préfère faire une rapide lecture avant d'emprunter des livres. Ça m'évite d'en prendre une dizaine pour rien. » En plus, comme nous nous trouvions dans la bibliothèque, les risques qu'elle passe son temps à bavasser étaient amoindrés par son respect du règlement. Au fond, j'espérais même qu'elle préfèrerait partir dans la, très confortable, salle de repos, à deux pas de là, mais c'était trop demandé. Le mieux que je puisse obtenir fut qu'elle s'installe silencieusement, la mine boudeuse, en se plongeant dans son propre travail.
Au moins, elle ne me dérangeait pas trop ainsi. Cela me permettait de me concentrer. Du moins tenter de l'être. Dès le soir de ma discussion avec le Pape, je m'étais penché sur la mort de mon ami, plus pour donner une raison à ma peine que dans le but d'en trouver la cause. Le poison ayant été écarté, je n'avais aucune raison de chercher sur cette voie, seulement c'était la seule que je connaissais et il existait bien trop de poisons dans le monde, invisibles même avec des tests magiques, que je ne pouvais pas m'empêcher d'y trouver une hypothèse.
Je m'étais même penché sur certaines plantes, dont j'avais appris l'utilisation très jeune, auprès de ma mère. Certaines d'entre elles ne poussent que dans des conditions spécifiques ou sur le territoire de Manticore, mais la proximité des frontières par rapport à la communauté religieuse de Sêbb me laissaient cette possibilité ouverte. Dès la quatrième ou cinquième lecture de la même phrase, je compris que quelque chose me déconcentrait. Un vieux souvenir se frayait un passage dans mon esprit, douloureux, comme tous ceux de cette époque. Nous nous trouvions dans une forêt gelée, comme il y en avait beaucoup sur le territoire. Une grande femme bien en chair m'avait mené, le nez en l'air, à la recherche d'un buisson que j'avais trouvé quelconque, du haut de mes cinq ans.
« Tu vois ça, mon petit ? - m'avait dit ma mère – c'est de l'ombrelle de Minuit. Elle ne s'ouvre qu'une fois la lune apparue dans le ciel. Comment tu l'as trouvé ? » L'incertitude de mon souvenir me rendait mes propres réponses floues, alors que le visage de ma mère, lui, restait péniblement net, autant que le souvenir des feuilles d'un vert profond, presque noir à la tige courte, courbé de dizaines de petites fleurs argentées. J'avais pris ça comme un jeu, ce jour-là, elle m'avait fait sentir, déterré, écrasé, frotté et sentir encore la moindre partie de la plante, sans qu'aucune odeur ne s'en dégage, à aucun moment en dehors de la neige ou du buisson auprès duquel elle poussait. Je ne comprenais pas pourquoi cela refaisait surface, je cherchais du poison et l'ombrelle était loin d'en être un. Pour mon espèce, c'était même un remède. Je grognais de frustration face à la douleur inutile de ce rappel, quant les bords de ma mémoire se floutèrent d'une brume d'ombre. Attiré par mon lien avec Loup, un morceau des paroles de ma mère me revint sur la particularité de cette petite plante.
« Si tu cherches de l'ombrelle – m'avait dit ma mère, tendrement, ses grands yeux noirs, semblables aux miens, remplis d'une tendresse infinie – cherche un buisson de mûres sauvages. Elle ne pousse que dans la terre environnante. Pense aux mûres, mon petit loup, et tu trouveras toujours ce dont tu as besoin. » Pensez aux mûres. Je pensais sans cesse à des mûres dernièrement. À de petites fleurs blanches qui poussaient sur ses buissons, plus exactement à l'odeur délicatement sucrée qu'elles exhalaient. L'Esprit de brume sombre étira ses babines en un sourire lupin avant de disparaître, comme il le faisait souvent depuis. Depuis qu'Anna avait fait son arrivée.
Bon sang, je n'avais pas vu autant Loup depuis sa présence dans notre spiritualité.
Il était clair que mon souvenir avait été exhumé par lui ; mais que souhaitait-il que je comprenne ? Si je me mettais à théoriser, je pouvais penser qu'en cherchant du poison, je tombais sur un souvenir venant du territoire de Manticore, ancienne patrie d'Anna. Mon schéma n'avait aucun sens. Loup ne m'aurait pas montré quelque chose qui incriminerait la jeune femme dans cette histoire. Alors qu'était-ce ?
« Nathan ? – m'appela Élise, posant sa main sur la mienne – Tu as l'air d'avoir mordu sur un clou de girofle, quelque chose ne va pas ? »
« Ce n'est rien, je n'ai juste pas pris le bon livre. – lui dis-je distraitement en lui retirant ma main. – Arrête de me toucher, s'il te plaît, je t'ai déjà dit que je n'aimais pas ça. Tu permets ? » Je repartis vers les rayonnages, sans attendre sa réponse, autant pour me vider l'esprit que dans la volonté de comprendre ce que me voulait Loup. Les prêtres m'avaient prévenu, un nombre incalculable de fois, quand j'étais plus jeune, que les voies des Esprits étaient impénétrables et leurs paroles, remplies de mystères. Je n'avais pas pris le temps de comprendre de quoi il en retournait à l'époque, mais avec le temps, les rares fois où il m'avait fait l'honneur de s'adresser à moi, j'avais dû réfléchir, parfois des semaines entières, à ses mots sibyllins.
Sauf le jour où il m'a fait intervenir pour l'acceptation d'Anna. Ça, il avait été très clair là-dessus.
Résignez, j'allais vers la section spiritualité quand les chuchotements commencèrent, si bas, que je n'y prêtai pas de suite attention. Ce n'est qu'à nouveau installé sur les inconfortables chaises de la bibliothèque, la couverture de cuir souple du Dragonale, usée par les nombreuses lectures entre les mains, que les chuchotements m'irritèrent. J'en cherchais d'ailleurs la provenance, quand mon regard tomba sur une belle crinière rousse, dos à moi. J'aimais la voir, là, dans les rayonnages d'alchimie. J'en ressentais des bouffées possessives à son encontre, les mêmes que je devais absolument réprimer, si je ne voulais pas me lever pour la rejoindre. Je tentais de me concentrer sur l’ignoble parfum d’Élise pour occulter sa présence, quand celle-ci me chuchota, caustique.
« C'est elle qui devrait lire le Dragonale, pas toi ! Franchement, tu sais qu'elle parle De Manticore à d'autres élèves ? Cette apostate est sans gêne, on n'aurait jamais dû l'accepter au sein de Dragon. »
Pardon ? S'était donc ça le sujet des nombreux chuchotements autour de nous ?
Je concentrai mon ouïe, sans me rendre compte que je serrai les poings si fort que mes ongles rentraient dans ma peau, blessant la chair de mes paumes. Les seuls qui discutaient ouvertement d'Anna étaient des prêtres et prêtresses de bas échelons. Aucune des représentations présentes ne parlait d'elle, ce qui me rassurait au moins sur son insertion sociale parmi les élèves. La pauvre ne semblait pas indifférente aux échanges qui la ciblaient, la voir tressaillir à chaque messes basses faisait hurler le monstre en accentuant le mal de tête que je ne pensais pas avoir, avant son apparition.
Inspire. Le camphre et l'écorce d'orange.
Expire.
« L'apostate est encore là », entendis-je chuchoter, les yeux fermés.
« On ne devrait pas lui laisser l'accès à tout le donjon, imaginez ce que pourrait rapporter cette païenne ! » Je me remémorais mon échange avec le Pape, décidé à intervenir. Ce sont les mots terriblement déplacés de l'un des hommes de foi qui mirent le feu aux braises de ma rage.
« Cette jeune femme est une erreur, le Pape n'aurait jamais dû l'accepter. Il a sûrement dû se passer quelque chose ultérieurement pour qu'elle puisse venir chez nous. » Le ton graveleux me fit sortir de mes gonds, autant que la méchanceté qui ressortait des paroles d’Élise.
« Elle devrait s'en aller, elle doit être consciente que personne ne veut d'elle ici. » Je sautai sur mes pieds, la colère broyant toutes onces de réflexion. À ce moment, je ne souhaitai que la rattraper, elle qui fuyait ceux qui lui montraient si peu de considérations. Elle avait atteint le grand escalier central, au cœur de la bibliothèque, quand je la rejoignis, encore inconscient de la présence d’Élise derrière moi.
« Anna », prononçais-je, d'un petit grondement désespéré, si différent de ma voix habituelle que je me demandais qui de moi ou du monstre avait réellement prononcé son nom. Elle ne se tourna qu'un court instant, juste le temps de me laisser voir ses si beaux yeux teintés d'un gris intense, brillant de larmes, avant qu'elle ne baisse la tête, face à nous. Le monstre réclamait le sang pour sa peine, savoir ce qui la faisait pleurer n'était pas ce qui lui importait, ni à moi d'ailleurs. Que ce soit le bras qu’Élise avait glissé sur nous à notre insu ou les murmures de dédains des nombreux clercs présents, cela nous importait peu. Ce qui était certain, en revanche, c’était que ça allait cesser, ici et maintenant. Ma réaction, amplifiée par la colère du monstre, fut brusque ; mais au moins, personne ne pouvait se tromper sur mon geste ou mon intonation. Je retirai vivement mon bras, m’éloignant d’Élise, tel un chat échaudé, indifférent à son regard désabusé.
« Je t'ai déjà demandé d'arrêter de me toucher, Élise. - l'avertis-je d'un grondement sourd, peu enclin aux concessions – je n'ai pas besoin que tu sois toujours collé à moi. Quant à vous, – dis-je, me détournant d'elle pour fixer les clercs présents. – Vous allez tous cesser immédiatement vos commentaires désobligeants envers ma représentation. C'est un ordre, non pas du primordial, mais du Cardinal de Loup. — Un sourire dur et mauvais apparu sur mon visage en leur remémorant le titre que je portais grâce à nos lois. — Je vous rappelle qu'elle est là par la volonté d'un de nos esprits tutélaires qui est, lui-même, motivé par Dragon. N'oubliez jamais que Loup est au dessus de vous tous. Cherchez-vous à contrarier l'Esprit que vous insultez ses choix ? » La peur visible sur leurs visages ne devait pas être due qu'à la simple pensée de mettre en colère l'un de nos tutélaires. Je ne savais pas à quoi je ressemblais exactement quand je m'énervais, mais pour avoir déjà vu des expressions similaires chez d'autres, je connaissais mon effet sur les gens. La colère que je déversais sur eux semblait être un bon moyen de calmer celle du monstre, je n'hésitai donc pas à pousser le vice.
« Faites passer le mot aux autres. Ce sera votre seul avertissement avant que je n'en réfère à Loup. Je ne veux plus entendre quoi que ce soit à ce propos. Jamais. Est-ce bien clair pour vous ? » L'odeur de leur peur était une délicieuse fragrance qui réveillait une soif enfouie profondément. Je ne menaçais personne ouvertement, mais le ton était tout aussi explicite. Tout le monde connaissait les attraits de Loup pour ces possessions. Loup était loyal et protecteur. Loup était la famille. Peu importe les sentiments bien plus profonds qui avaient motivé cet éclat de colère, qu'il ait été dominé par le monstre ou non, personne n'avait besoin de connaître les détails, mais tous devaient se plier à ma volonté et nous voulions la savoir à l'aise et en sécurité.
Malheureusement, elle avait disparu, sûrement depuis un moment et avec elle absente, sans être certain qu'elle ait conscience que rien n'existait entre Élise et moi. Le monstre tournait en gémissant furieusement contre ceux qui avaient provoqué cette situation. Les conventions sociales m'obligeaient à donner une brève excuse à ma collègue. Je prétextais donc un accès de fatigue ainsi qu'un vif mal de tête, pour me téléporter sans plus de cérémonie, dans mes appartements. Comment tout ce monde pouvait se regarder en face tout en la traitant aussi mal ? Dragon, tu ne devrais pas permettre ce genre d’infamie parmi les fidèles de ta foi.
Je ne devrais pas être si furieux, après tout, je les voyais faire avec Amélia d'aussi loin que je me souvienne.
Toute cette rage m'était étrangère, mais la présence d'Anna bouleversait beaucoup de choses dans ma vie.
« Cette succube blonde devrait être heureuse que ce ne soit pas moi qui soi aux commandes », grommela le monstre tandis que ma poitrine se gonflait d'un sentiment de tristesse au rappel de prunelles grises luisantes de larmes. Amélia n'était pas Anna, les battements frénétiques de mon cœur me le rappelaient trop souvent. J'avais besoin de trouver le moyen d'évacuer ce trop plein de chagrin que créait ses yeux. Je ressentais le besoin de la savoir heureuse, son bonheur m'importait bien plus que ce que je ne voulais bien l'admettre, mais face à moi-même, je pouvais tenter de me leurrer, la vérité était là. C'est une petite boulette de papier froissé qui attira mon attention en me donnant une idée, sans doute stupide, qui pourrait la faire sourire.
J'attendis que la nuit tombe pour mettre mon idée à exécution, mes pouvoirs étant exacerbés par l'astre lunaire. Il m'était plus facile de travailler une fois la lune haute dans le ciel. J'eus du mal à mettre en pratique ce que j'avais en tête, il me manquait une partie du matériel qu'il me fallait pour la réalisation de mon projet et le temps me manquait pour me permettre de chômer. Le patron me prit une partie de la nuit, la transmutation de la plupart des matériaux que je ne possédais pas, utilisa l'autre moitié. L'exercice me prit plus d'énergie que je le pensais. N'étant pas le plus doué, je du m'y reprendre à plusieurs fois avant d'obtenir ce que je souhaitais. En tout, cela me pris cinq nuits et ce n'est qu'au début du jour de l'événement que j'eus totalement terminé.
J'étais satisfait du rendu, malgré le temps que cela m'a pris. J'avais été accompagné de la plus belle source d'inspiration ainsi que de la plus grande des volontés, suscitée par deux lacs turquoises constellés d'or. Éreinté, mais heureux, j'écrivis quelques mots rapides, d'une écriture moins soignée que ce dont j'avais l'habitude, avant d'appeler à moi Silmi.
« Le loup a appelé celle-ci. Que peut-elle faire pour le Loup ? » J'avais déjà réfléchi à ce que j'allais lui demander, j'entamais un jeu très dangereux en faisant cela. Je tenais pourtant plus que tout à la voir sourire et il me fallait quelqu'un de confiance pour procéder sans trop de risque.
« Silmi – grognais-je fatigué – j'ai besoin de toi, mais avant, tu dois jurer sur le feu de l'éternel que jamais tu ne révéleras quoi que ce soit de notre conversation ainsi que de toutes celles que nous aurons à ce sujet ou même sur quelques sujets qui s'en rapprochent, de près ou de loin, de toutes les manières possibles. Volontairement ou involontairement. » Plus que pour toute autre créature, les gobelins de Dragon étaient soumis aux promesses d'une manière très stricte. s'était un serment sur son essence même. La seule conséquence qui existait à la violation, même infime, de celui-ci était la mort. Elle connaissait les risques que cela comportait, toutefois, elle n'hésita pas un instant, avant de jurer sur l'éternel, sans demander plus d'informations ni de contreparties.
J'avais entraîné une alliée dans mon histoire. Pour mon bonheur ou ma perte, elle était désormais avec moi.
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